Le roman Le Père Goriot de l'immense écrivain français Honoré de Balzac est une œuvre magistrale de la littérature réaliste, empreinte de profondeur et de critique sociale. "On perd beaucoup lorsqu’on vit parmi les démons, mais on perd tout lorsqu’on devient démon à son tour." C’est l’histoire poignante d’un père, Jean-Joachim Goriot, consumé par un amour inconditionnel pour ses deux filles, Anastasie et Delphine. Après une vie d’efforts acharnés et de sacrifices, amassant une fortune grâce à son commerce de pâtes italiennes, Goriot offre tout à ses filles, veillant à ce qu’elles épousent des hommes riches et s’installent dans la haute société. Pourtant, une fois sa fortune dissipée, il se retrouve abandonné, relégué à finir ses jours misérablement dans une pension délabrée des quartiers les plus pauvres de Paris. Balzac tisse cette tragédie à travers les yeux d’un autre personnage clé : Eugène de Rastignac, un jeune étudiant ambitieux. Eugène agit comme un miroir entre deux mondes : celui de la bourgeoisie parisienne, avec ses faux-semblants et sa quête insatiable de richesse et de pouvoir, et celui de la misère humaine la plus crue. Ébloui un temps par la splendeur factice des princesses et des aristocrates qu’il côtoie, Eugène est confronté à l’abîme de l’inhumanité lorsqu’il observe les filles de Goriot. Ces dernières, aveuglées par leur égoïsme et leur soif de paraître, refusent de rendre visite à leur père mourant ou même d’assister à ses funérailles, préférant participer à un bal mondain. C’est à travers Eugène que Balzac exprime son indignation contre l’hypocrisie de la société parisienne. Rien n’est plus cruel que l’épitaphe laissée sur la tombe de Goriot : "Ici repose Monsieur Goriot, père de la comtesse de Restaud et de la baronne de Nucingen, enterré aux frais de deux étudiants pauvres." Le personnage d’Eugène de Rastignac n’est pas sans rappeler Julien Sorel, héros du Rouge et le Noir de Stendhal, tous deux jeunes hommes ambitieux tentant de s’intégrer dans une société bourgeoise qu’ils méprisent autant qu’ils désirent. Mais Le Père Goriot est bien plus qu’un roman. C’est une clé d’entrée dans l’univers balzacien et un acte d’accusation contre la bourgeoisie, révélant son visage impitoyable et annonçant, en filigrane, les révoltes à venir. La question centrale que Balzac pose à travers cette œuvre demeure intemporelle : "Que suis-je sans richesse ? Le sort de Goriot attend-il tout homme dépourvu de fortune, rejeté même par ses proches ?" Ce roman, longtemps célébré par les penseurs de gauche, dévoile la sauvagerie dissimulée au cœur des sociétés bourgeoises. Une œuvre bouleversante, qui, bien des années après sa publication, continue de résonner avec une acuité troublante. Par Le monde littéraire