LLV LE MAG
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February 19, 2025 at 08:29 PM
Gabon 🇬🇩 😞 « J’en ai marre
 » : rencontre exclusive avec Ali Bongo, le reclus de Libreville Entre lassitude et amertume, l’ancien prĂ©sident gabonais a reçu Jeune Afrique dans sa rĂ©sidence de la SabliĂšre. Ses appels Ă  la libĂ©ration de son Ă©pouse et de son fils sont autant de cris dans le dĂ©sert et son tombeur, Brice Clotaire Oligui Nguema, refuse de le voir. Marwane Ben Yahmed - envoyĂ© spĂ©cial Ă  Libreville PubliĂ© le 19 fĂ©vrier 2025 Ce 9 fĂ©vrier, Ali Bongo Ondimba (ABO) a fĂȘtĂ© son 66e anniversaire, seul, dans son immense villa de la SabliĂšre. Enfin presque seul : sa mĂšre JosĂ©phine Kama, alias Patience Dabany du temps de sa gloire musicale, Ă©tait, comme toujours, Ă  ses cĂŽtĂ©s. Sa sƓur, Pascaline, l’une des rares Ă  pouvoir lui rendre visite quand elle le souhaite, Ă©tait Ă  Los Angeles oĂč elle dispose d’une rĂ©sidence. Quant Ă  ses fils Jalil et Bilal qui vivaient encore avec lui il y a quelques mois, ils ont quittĂ© le Gabon pour Londres. Sans doute l’ancien prĂ©sident gabonais, destituĂ© le 30 aoĂ»t 2023, mis Ă  la retraite d’office et placĂ© en rĂ©sidence surveillĂ©e depuis, espĂ©rait-il pouvoir le cĂ©lĂ©brer en compagnie de son Ă©pouse Sylvia et de son fils Nourredin, incarcĂ©rĂ©s au lendemain du putsch. Certes, il a pu leur parler au tĂ©lĂ©phone quelques jours avant, fin janvier, mais il attendait plus, cette libĂ©ration qu’il appelle de ses vƓux et Ă  laquelle il croyait, lui qui pensait que son tombeur, Brice Clotaire Oligui Nguema s’y Ă©tait engagĂ© auprĂšs de l’un de ses pairs d’Afrique centrale, avant le 15 janvier. Il n’en a rien Ă©tĂ©, et seul il demeure. Aucune nouvelle de ses anciens proches, comme son directeur de cabinet de l’époque, Maixent Accrombessi, par exemple. Personne ne se bouscule au portillon, sans doute de peur d’ĂȘtre mal vu des nouvelles autoritĂ©s
 Seul son ancien Premier ministre Alain-Claude Bilie-By-Nze est venu s’entretenir avec lui rĂ©cemment. BlindĂ© et mitrailleuse AprĂšs en avoir formulĂ© officiellement la demande auprĂšs du Palais de bord de mer, nous avons pu lui rendre visite, comme ce fut le cas en mai dernier. Rendez-vous fut pris, dĂ©but fĂ©vrier, Ă  15 heures. Nous accĂ©dons assez facilement Ă  l’entrĂ©e du gigantesque compound ultra-sĂ©curisĂ©, situĂ© Ă  l’extrĂ©mitĂ© de ce quartier huppĂ© et calme de Libreville. Des civils, certainement employĂ©s Ă  l’entretien de la villa, dĂ©ambulent ici et lĂ . À quelques encablures du grand portail noir en fer forgĂ© qui donne accĂšs Ă  la demeure, un blindĂ© hĂ©rissĂ© d’une mitrailleuse lourde veille, ainsi qu’un autre qui sĂ©curise l’entrĂ©e de service. Des membres de la Garde rĂ©publicaine (GR) nous demandent la raison de notre prĂ©sence avant de nous laisser passer. Un militaire en civil nous accueille sur un petit parking, prĂ©venu de notre arrivĂ©e. Il nous introduit par une allĂ©e qui longe la maison d’ABO, nous fait passer par un terrain de tennis qui visiblement n’a pas servi depuis longtemps puis, par un escalier en ardoises qui mĂšne Ă  une grande terrasse au milieu de laquelle trĂŽne une immense piscine rectangulaire. À perte de vue, une pelouse impeccablement tondue et une vĂ©gĂ©tation luxuriante, comme si nous Ă©tions en pleine forĂȘt tropicale. ABO nous attend sur cette terrasse, assis Ă  une longue table en bois. Polo et jogging bleus, baskets aux pieds, il tue le temps avec des sudokus ou des mots flĂ©chĂ©s. PoignĂ©e de mains, salutations d’usage. PrĂ©cisons que nous nous connaissons bien, l’auteur de ces lignes l’ayant interviewĂ© plus d’une dizaine de fois depuis sa premiĂšre Ă©lection, en 2009. « Ça suffit ! » Je lui demande comment il va. AprĂšs un long soupir, il rĂ©pond : « J’en ai marre
 Cela fait dĂ©sormais un an et demi que Sylvia et Nourredin sont emprisonnĂ©s. Ils leur ont tout pris, tout confisquĂ©. Je veux qu’ils soient ici, auprĂšs de moi. Nous sommes coupĂ©s du monde, surveillĂ©s, ça changerait quoi pour eux ? Je garantis que nous nous tiendrons Ă  carreau, mais au moins ma femme et mon fils vivraient dans des conditions plus dĂ©centes, avec moi ». Si l’ancien chef de l’État est persuadĂ© qu’ils ont subi des traitements dĂ©gradants voire des actes de torture, et si une plainte a Ă©tĂ© dĂ©posĂ©e Ă  Paris par ses avocats, lesquels ont pu voir leurs clients comme les autoritĂ©s consulaires d’ailleurs, rien ne l’atteste pour l’instant. « Nous avons eu une rĂ©union au Palais, une fois, avec ma famille et Brice [Clotaire Oligui Nguema, le prĂ©sident de la transition]. On m’a montrĂ© des comptes qui soi-disant m’appartenaient avec Sylvia. Dont un en Afrique du Sud et l’autre en Malaisie, que je n’ai jamais ouverts ! Si on avait autant volĂ© que ce que l’on nous reproche, l’argent du pĂ©trole ou que sais-je, les diffĂ©rents ministres des Finances qui se sont succĂ©dĂ© le sauraient ! Tout ce dont on accuse mon Ă©pouse est faux, les dĂ©tournements, les nominations Ă  ma place. Elle n’a jamais eu ce pouvoir, Ă©tant absente la plupart du temps. » Un chihuahua blanc passe discrĂštement sur la terrasse, longeant le mur noirci par l’humiditĂ© de la villa. ABO commande Ă  un majordome indien deux jus de carottes au gingembre, signe qu’une nouvelle grĂšve de la faim n’est pas Ă  l’ordre du jour, contrairement Ă  une rumeur tenace et aux dĂ©clarations de ses avocats. Il poursuit : « Cette rĂ©union n’a servi Ă  rien. Depuis, j’ai demandĂ© cinq ou six fois Ă  voir Brice Oligui, sans succĂšs. Ça suffit ! S’il ne les libĂšre pas
 » Comment lui-mĂȘme est-il traitĂ© ? « Mieux, nous explique-t-il. J’ai pu rĂ©cupĂ©rer mes mĂ©decins, un orthophoniste. Pascaline veille Ă  amĂ©liorer mon quotidien, la nourriture. » De fait, ABO s’exprime de maniĂšre plus fluide que lors de notre dernier entretien, en mai 2024 [Ali Bongo Ondimba a Ă©tĂ© victime d’un AVC en octobre 2018, ndlr]. Son Ă©locution est meilleure, le dĂ©bit plus rapide. Sur le plan de sa motricitĂ©, en revanche, pas d’amĂ©lioration. Sa jambe droite est toujours rĂ©calcitrante, il se dĂ©place donc avec beaucoup de difficultĂ©, mĂȘme s’il refuse toute assistance et tient Ă  marcher seul. Outre la lassitude, on sent poindre chez l’ancien prĂ©sident un agacement certain. Et une certaine dĂ©connexion. Amertume Il ne reconnaĂźt ni sa dĂ©faite Ă©lectorale, ni la liesse qui s’est emparĂ©e des rues de Libreville Ă  l’annonce de sa chute. De mĂȘme se plaint-il du Parti dĂ©mocratique gabonais (PDG), dont il fut le chef incontestĂ©. Blaise LouembĂ©, jadis son ministre, portĂ© Ă  la prĂ©sidence de la formation le 30 janvier ? « Tout cela est contraire aux textes du parti. Moi seul pouvais convoquer ce congrĂšs. J’avais donnĂ© mes instructions aux responsables qui sont venus me voir – je continuais Ă  diriger le PDG, avec un adjoint dans un rĂŽle exĂ©cutif – ils sont sortis de chez moi, se sont ruĂ©s au Palais, voilĂ  le rĂ©sultat
 » Amer, Ali Bongo soupire une nouvelle fois. La nuit tombe progressivement. Nous le quittons pour reprendre le chemin du parking. Il se lĂšve pĂ©niblement, nous salue et se dirige vers la maison, emportant ses sudokus. Avec pour seul programme, l’acrimonie et la solitude, en attendant la libĂ©ration de sa famille


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