Africa Conflict Monitor
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February 21, 2025 at 08:36 AM
🇨🇩 L'Événement | RDC M23 : la délicate équation sécuritaire de Kinshasa dans la province de l'Ituri La déroute de l'armée congolaise dans le Nord-Kivu et le Sud-Kivu devant l'avancée des rebelles du M23 a également des répercussions majeures sur l'Ituri, frontalier de l'Ouganda. D'autant que Kampala cherche à tout prix à sécuriser sa zone d'influence. Publié le 21/02/2025 à 5h40 GMT Lecture 5 minutes La ville de Bunia, capitale provinciale de l'Ituri, en décembre 2021. ©️ Alexis Huguet/AFP En plus du front ouvert contre Kigali, la présidence de Félix Tshisekedi doit aussi composer avec les desseins jugés incertains de l'Ouganda de Yoweri Museveni, accusé de souffler le chaud et le froid sur la crise congolaise. L'exécutif congolais n'est pas dupe du soutien de longue date d'une frange de l'appareil politico-militaire ougandais au M23, notamment documenté par le groupe d'experts des Nations unies (ONU, AI du 19/06/24). En position de faiblesse, tant sur le plan militaire que diplomatique après la débâcle de ses troupes à Goma et dans le Sud-Kivu, Kinshasa sait toutefois l'importance de ne pas braquer Yoweri Museveni. Conscient de jouer une partition serrée, Félix Tshisekedi a eu un échange téléphonique, entre le 15 et le 16 février 2025, avec son homologue ougandais. Celui-ci intervenait à la suite d'un incident survenu lors du sommet conjoint de l'East African Community (EAC) et de la Southern African Development Community (SADC), qui s'est tenu le 8 février à Dar es-Salam. Lors de son intervention par visioconférence, le chef de l'État congolais avait qualifié le M23 de "coquille vide", suscitant l'agacement du président Museveni, qui ne cache pas une certaine sympathie pour les revendications du mouvement rebelle. L'ultimatum de Muhoozi Kainerugaba En échangeant avec lui, Félix Tshisekedi cherchait surtout à se prémunir des intentions du fils de Yoweri Museveni, le général Muhoozi Kainerugaba, dans la province frontalière de l'Ituri. À la tête des Uganda Peoples' Defence Forces (UPDF), ce dernier fait régulièrement montre de sa proximité avec le président rwandais, Paul Kagame, qu'il surnomme "mon oncle". Le 15 février, il a adressé sur le réseau social X un ultimatum dans lequel il enjoignait les forces – sans préciser lesquelles – présentes à Bunia, la capitale provinciale de l'Ituri, de déposer les armes. Faute de quoi, celles-ci seraient considérées comme des "ennemis" et combattues comme telles. Les sorties du général Muhoozi Kainerugaba, qui prétend vouloir défendre la communauté hema dans cette province, alimentent le climat de suspicion de Kinshasa à l'égard de l'Ouganda. Les autorités congolaises ont noté ces dernières semaines un important déploiement d'unités des UPDF le long de la frontière, en particulier dans les localités ougandaises de Paidha, Hoima, Ntoroko, et Bundibugyo. Des chars de combat déployés Sur le sol congolais, les UPDF ont également renforcé leurs moyens, avec l'arrivée de quatre chars de combat ainsi que des 4x4 militaires à Boga, dans le territoire d'Irumu. Trois jours après l'ultimatum du fils du président Museveni, des troupes des UPDF sont entrées à Bunia, où les officiers supérieurs ougandais ont été reçus par le gouverneur militaire de la province de l'Ituri, le général Johnny Luboya Nkashama. Les échanges ont officiellement porté sur la coordination et l'harmonisation des opérations entre les UPDF et les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC). Depuis novembre 2021, les deux armées sont engagées dans l'opération Shujaa, du nom de cette offensive militaire conjointe sur le sol congolais contre le groupe armé d'origine ougandaise et d'obédience islamiste des Allied Democratic Forces (ADF). Depuis la résurgence, fin 2022, des hostilités avec le M23, la présence sur le sol congolais des UPDF gêne le pouvoir de Kinshasa, méfiant à l'égard des intentions de son voisin. L'Ouganda a longtemps fait preuve d'une grande bienveillance à l'égard des rebelles, leur chef militaire en tête, Sultani Makenga, dont une partie de la famille est installée à Kampala (AI du 17/05/24). Les effectifs minorés des UPDF L'État congolais sait également que Kampala minore les effectifs réels des UPDF déployés dans le cadre de Shujaa. Plutôt que les 4 000 soldats avancés, ils seraient en réalité 7 000 sur le sol congolais. Malgré ces éléments, Kinshasa continue de tergiverser sur le maintien, ou tout du moins, sur la suspension de Shujaa, même si la question est de nouveau sur la table. En cause : la crainte d'ouvrir un second front contre Kampala qui viendrait alimenter à son détriment le réchauffement des relations avec le Rwanda. L'appareil sécuritaire ougandais est pourtant loin d'être unanime sur l'attitude à adopter vis-à-vis de Kigali. Certains officiers supérieurs craignent la position hégémonique du Rwanda dans l'Est congolais, en particulier dans la zone d'influence ougandaise. Le déploiement récent des UPDF à Bunia viserait ainsi à contenir les ambitions expansionnistes du M23 dans l'Ituri. Il aurait aussi pour but de combler un probable effondrement de l'appareil d'État dans la zone après la déroute des FARDC au Nord-Kivu et au Sud-Kivu. Celui-ci se ferait au profit de leur ennemi juré, les ADF, supposées disposer de cellules dormantes à Bunia. Stratégie opportuniste S'il n'a jamais caché sa volonté d'étendre sa présence sur le territoire, le M23 avance à tâtons sur le dossier iturien, où il sait qu'il devra composer avec le positionnement encore incertain de Kampala. Sa stratégie opportuniste d'extension, qui évolue en fonction des circonstances et de la situation sur le terrain, est avant tout guidée par la volonté d'exercer une pression maximale sur la présidence de Félix Tshisekedi. Dans cette optique, les rebelles pourraient préférer d'autres objectifs, en poussant leur avantage vers le sud, jusqu'aux portes de l'ex-Grand Katanga, le cœur de l'économie congolaise. En Ituri, le M23 doit aussi composer avec l'écosystème complexe et mouvant des autres groupes armés, qui essaiment dans la province. Les rebelles entretiennent des contacts de longue date avec le groupe Zaïre, qu'ils cherchent à rallier à leur cause par l'entremise de l'ancien chef de guerre Thomas Lubanga. Ce dernier, qui n'a toujours pas digéré l'invalidation en septembre 2023 de sa candidature à la députation nationale, œuvre pour que Kampala s'aligne sur les objectifs du M23. Si le contact avec Zaïre est établi, le groupe rebelle demeure toutefois circonspect sur cette alliance qu'il juge encore peu opérationnelle. Les efforts du général Johnny Luboya De leur côté, les autorités provinciales s'activent pour éviter que les autres mouvements ne prennent position en faveur du M23. C'est en particulier le cas du gouverneur de l'Ituri, le général Johnny Luboya Nkashama. Cet ancien cadre des services du renseignement RCD-Goma s'activait jusqu'à présent pour inciter les différents groupes à rejoindre le Programme de désarmement, démobilisation, relèvement communautaire et stabilisation (PDDRC-S). Depuis la chute de Goma, il entend les convaincre de ne pas s'allier avec le M23 et de considérer ce dernier comme leur ennemi commun. Parmi les groupes visés figurent Zaïre, mais aussi le Front patriotique et intégrationniste du Congo (FPIC), la Coopérative pour le développement du Congo (Codeco) et la Force de résistance patriotique de l'Ituri (FRPI). C'est vers ce dernier groupe que le général Muhoozi Kainerugaba s'est tourné pour réclamer la sécurisation d'un couloir de passage pour ses troupes de Boga à Bunia. ©️ Copyright Africa Intelligence. Reproduction et diffusions interdites (photocopies, intranet, web) sans autorisation écrite - 6398886

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