Abdou Pagoui
Abdou Pagoui
February 17, 2025 at 07:16 PM
#interview : 𝗠𝗼𝗻𝘀𝗶𝗲𝘂𝗿 𝗠𝗮𝗺𝗮𝗻 𝗪𝗮𝗱𝗮, 𝗽𝗿𝗲́𝘀𝗶𝗱𝗲𝗻𝘁 𝗱𝗲 𝗹’𝗔𝘀𝘀𝗼𝗰𝗶𝗮𝘁𝗶𝗼𝗻 𝗡𝗶𝗴𝗲́𝗿𝗶𝗲𝗻𝗻𝗲 𝗱𝗲 𝗟𝘂𝘁𝘁𝗲 𝗰𝗼𝗻𝘁𝗿𝗲 𝗹𝗮 𝗖𝗼𝗿𝗿𝘂𝗽𝘁𝗶𝗼𝗻 (𝗔𝗡𝗟𝗖), 𝘀𝗲𝗰𝘁𝗶𝗼𝗻 𝗱𝗲 𝗧𝗿𝗮𝗻𝘀𝗽𝗮𝗿𝗲𝗻𝗰𝘆 𝗜𝗻𝘁𝗲𝗿𝗻𝗮𝘁𝗶𝗼𝗻𝗮𝗹 La corruption est un phénomène endémique. Pour y faire face, il faut une forte volonté politique, des gouvernants qui font preuve d’intégrité, une justice réellement indépendante, etc. C’est aussi les préconisations duprésident de l’Association Nigérienne de Lutte contre la Corruption (ANLC), M. Maman Wada. Dans l’entretien qui suit, il parle aussi de la nécessité de dissoudre la COLDEFF, une structure de recouvrement et non de lutte contre la corruption, créer une structure plus efficace à l’image de la HALCIA avec des membres disposant de compétences et d’expertise avérées. En outre, la lutte contre la corruption doit être envisagée dans un cadre commun ouvert sur la base des instruments internationaux ratifiés par le Niger. Dans tous les cas, il y a lieu d’allier la prévention à la répression. Entretien. L’Autre Républicain : C’est contre toute attente qu’on a appris le limogeage du bureau de la Commission de lutte contre la délinquance économique, financière et fiscale (Coldeff). Quelle est votre réaction à propos de ce changement intervenu ? Monsieur Maman Wada : A la création de la Coldeff, nous avons attiré l’attention des citoyens nigériens et des décideurs que l’ordonnance créant cette institution n’avait pas décliné des critères clairement définis pour y être membres. Ces critères pouvaient être par exemple le niveau d’études, l’expérience et l’expertise dans le domaine, l’intégrité. Pour ce dernier cas, il fallait une enquête de moralité rigoureuse. Au lieu de tout cela, on a assisté à une addition de personnes dont le choix répondait à la subjectivité et non à l’objectivité et au professionnalisme. De plus, le recouvrement des biens présumés spoliés sur le principe de transiger conformément aux dispositions de l’ordonnance qui crée la Coldeff ne suffit pas à lui seul pour lutter efficacement contre la corruption et les infractions assimilées. Même en transigeant devant certains dossiers et certaines personnes qui pèsent lourd dans la société, les membres de la Coldeff ne pourront rien faire. Des gens plus puissants qu’eux vont l’affaiblir et la désorganiser. Même le nouveau bureau n’y pourra rien. Des dossiers comme le MDN (NDLR : Ministère de la Défense Nationale) sont plus forts que la Coldeff. En changeant le bureau avec les mêmes acteurs, on n’a rien fait. Il faut dissoudre la Coldeff et ramener la Halcia (NDLR : Haute Autorité de Lutte contre la Corruption et les Infractions Assimilées), dont le travail est associé au fonctionnement de la justice. L’Autre Républicain : Quelle est votre appréciation du travail de la Coldeff de sa création à aujourd’hui ? Maman Wada : La Coldeff a récupéré des biens (plus de 57 milliards) c’est déjà une bonne chose même si aux yeux de l’opinion la mission n’est pas satisfaisante. Mais elle ne peut pas garder son harmonie et l’audace devant certaines personnalités ou certains dossiers. De plus la Coldeff n’étant pas une institution de lutte contre la corruption, beaucoup de pratiques corruptives relevant des passations des marchés publics lui échappent. La récupération des biens par la Coldeff peut être contestée devant les tribunaux par des personnes dont le droit à la défense a été refusé. C’est un travail difficile que la Coldeff a eu à faire jusque-là puisque le recouvrement les a divisés. Par ailleurs, la Coldeff aurait dû s’intéresser à l’enrichissement illicite. C’est là qu’elle découvrira le pot aux roses notamment les nombreuses villas construites ou achetées à Niamey ou ailleurs par les agents publics, civils et militaires. L’Autre Républicain : Peut-on dire que la Coldeff est plus pertinente que la HALCIA en matière de lutte contre la corruption ? Maman Wada : Il faut tout de suite relever la différence entre la Halcia et la Coldeff. La Halcia est une institution nationale de lutte contre la corruption conforme aux articles 5 et 6 de la Convention des Nations Unies contre la Corruption, et aux articles 5,19 et 20 de la Convention de l’Union Africaine sur la Prévention et la Lutte Contre la Corruption et les Infractions Assimilées. Pour être membres de la Halcia il faut avoir BAC+5, avoir 10 années d’expérience dans le domaine de la lutte contre la corruption et subir une enquête de moralité. La Halcia dispose d’une équipe de plusieurs dizaines de gendarmes spécialisés dans les enquêtes. La Halcia faisait aussi le recouvrement. Elle peut perquisitionner, elle peut s’auto saisir et ses dossiers traités sont transmis au Procureur de la République qui ouvre « immédiatement une information judiciaire ». Les membres de la Halcia ne sont pas coptés dans leur grande majorité. Ils sont élus par leurs pairs. Ils prêtent serment devant les juridictions compétentes. La Halcia collabore avec les institutions sous régionales de lutte contre la corruption pour des échanges d’informations ou pour faciliter des actions anti-corruption. 𝗟𝗮 𝗖𝗼𝗹𝗱𝗲𝗳𝗳 𝗳𝗮𝗶𝘁 𝗹𝗲 𝗿𝗲𝗰𝗼𝘂𝘃𝗿𝗲𝗺𝗲𝗻𝘁 𝘀𝗲𝘂𝗹𝗲𝗺𝗲𝗻𝘁. 𝗦𝗲𝘀 𝗺𝗲𝗺𝗯𝗿𝗲𝘀 𝘀𝗼𝗻𝘁 𝗰𝗼𝗽𝘁𝗲́𝘀 𝗲𝘁 𝗮𝗱𝗱𝗶𝘁𝗶𝗼𝗻𝗻𝗲́𝘀 𝘀𝗮𝗻𝘀 𝗰𝗿𝗶𝘁𝗲̀𝗿𝗲𝘀 𝗼𝗯𝗷𝗲𝗰𝘁𝗶𝗳𝘀 𝗱𝗲 𝗰𝗼𝗺𝗽𝗲́𝘁𝗲𝗻𝗰𝗲, 𝗱’𝗲𝘅𝗽𝗲́𝗿𝗶𝗲𝗻𝗰𝗲 𝗲𝘁 𝘀𝗮𝗻𝘀 𝗲𝗻𝗾𝘂𝗲̂𝘁𝗲 𝗱𝗲 𝗺𝗼𝗿𝗮𝗹𝗶𝘁𝗲́ 𝗽𝗿𝗲́𝗮𝗹𝗮𝗯𝗹𝗲. 𝗘𝗹𝗹𝗲 𝗻𝗲 𝗿𝗲𝘀𝗽𝗲𝗰𝘁𝗲 𝗽𝗮𝘀 𝗹𝗲𝘀 𝗱𝗿𝗼𝗶𝘁𝘀 𝗮̀ 𝗹𝗮 𝗱𝗲́𝗳𝗲𝗻𝘀𝗲 𝗲𝘁 𝗻𝗲 𝗰𝗼𝗿𝗿𝗲𝘀𝗽𝗼𝗻𝗱 𝗽𝗮𝘀 𝗮𝘂𝘅 𝗰𝗿𝗶𝘁𝗲̀𝗿𝗲𝘀 𝗱𝗲 𝗹𝗮 𝗖𝗼𝗻𝘃𝗲𝗻𝘁𝗶𝗼𝗻 𝗱𝗲𝘀 𝗡𝗮𝘁𝗶𝗼𝗻𝘀-𝗨𝗻𝗶𝗲𝘀 𝗲𝘁 𝗱𝗲 𝗹’𝗨𝗻𝗶𝗼𝗻 𝗔𝗳𝗿𝗶𝗰𝗮𝗶𝗻𝗲 𝗰𝗼𝗻𝘁𝗿𝗲 𝗹𝗮 𝗰𝗼𝗿𝗿𝘂𝗽𝘁𝗶𝗼𝗻. L’Autre Républicain : Sur une radio privée, vous avez préconisé la dissolution de la Coldeff, pouvez-vous préciser le fond de votre pensée ? Maman Wada : Effectivement sur les antennes de la radio privée Anfani, nous avons dit qu’il faut dissoudre la COLDEFF, c’est pour rechercher l’efficacité. Des membres d’une institution divisée, même si on change le bureau, ils ne peuvent pas faire le travail dans la sérénité et l’efficacité. Ce qui la divise est toujours là. L’insuffisance de l’ordonnance portant création, organisation et fonctionnement les mettra toujours en difficulté pour ne pas dire en conflit. Si tous les dossiers ne peuvent pas être traités par la COLDEFF, ce n’est pas un nouveau bureau qui va faire la différence. L’Autre Républicain : La lutte contre la corruption dépasse le cadre national lorsqu’on considère toutes les dimensions de la grande corruption. Quelle conduite à tenir par notre pays pour être à jour sur le terrain de lutte contre cette gangrène qu’est la corruption ? Maman Wada : Il faut d’abord une volonté politique clairement affichée de la part des autorités en place à combattre la corruption sous toutes ses formes. S’agissant de la grande corruption, elle est transnationale, elle se fait dans les transactions nationales et internationales, particulièrement dans la passation des marchés publics. Quels que soient les marchés à passer, il faut nécessairement respecter les principes de concurrence pour éviter les ruptures d’égalité entre les citoyens, les règles d’intégrité et d’honnêteté et combattre les pratiques corruptives à tous les niveaux. Bannir systématiquement les entreprises corrompues ou mafieuses des marchés publics. Il faut aussi la tolérance zéro contre la corruption et les infractions assimilées. Ces conditions sont nécessaires pour une volonté politique de lutte contre la corruption, surtout contre la grande corruption. Mieux, cela se fait dans le cadre de la coopération internationale entre les services de détection et de répression pour l’extradition, l’entraide judiciaire, les enquêtes conjointes, le recouvrement des avoirs, etc. Cela n’est possible que dans un cadre commun de lutte contre la corruption, un cadre plus large comme celui couvert par la Convention des Nations Unies contre la Corruption. La volonté politique pour combattre cette gangrène devenant de plus en plus faible au niveau de certains États-parties, il n’est pas exclu que l’humanité s’oriente vers la création de la Cour Pénale Internationale pour la répression de la grande corruption. Mais il faut rappeler que le Niger a ratifié la Convention des Nations Unies contre la Corruption en 2008 et celle de l’Union Africaine en 2006 L’Autre Républicain : Que faire pour poursuivre ceux qui sont adeptes des paradis fiscaux ? Maman Wada : Aujourd’hui, il y a des paradis fiscaux qui collaborent de plus en plus. Les Etats parties à la Convention des Nations Unies qui les abritent sont aussi tenus de collaborer et faciliter le travail de détection, de gel, de confiscation et de rapatriement des avoirs. Des juges et des avocats compétents et convaincus de la lutte contre la corruption peuvent obtenir des résultats. Mais il faut toujours vouloir lutter contre ce phénomène de corruption. L’Autre Républicain : On pense que la transition militaire serait plus favorable à lutter contre la corruption. Avez-vous l’impression que c’est le cas présentement au Niger ? Maman Wada : C’est très discutable ! C’est dans les méthodes que les choses diffèrent. La lutte contre la corruption ou plutôt le recouvrement avec les transitions militaires finit, dans la plupart des cas, dans l’impasse puisque la justice est écartée de la procédure. La force seule est privilégiée au détriment du droit. Cette fois-ci, l’ordonnance n°2024-05 du 23 février 2024 exclut beaucoup de dépenses publiques de la législation relative à la passation des marchés publics, ce qui ouvre la voie à toutes les pratiques corruptives. Il n’y a de contrôle à priori et à postériori, pas de transparence et pas redevabilité. La lutte contre la corruption (pas le recouvrement) est un travail de longue haleine qui exige de la volonté, des compétences, un cadre juridique et institutionnel approprié, une justice indépendante et débarrassée de la corruption mais surtout une approche double : la prévention et la répression. L’Autre Républicain :  Vous avez observé les faiblesses et atouts des régimes successifs au Niger dans le domaine de la gouvernance. Que faire pour inverser la tendance ? Maman Wada : Il faut d’abord réviser les textes législatifs pour prendre en compte les insuffisances observées dans les mécanismes de lutte contre la corruption : on peut citer entre autres la protection des dénonciateurs, des experts, des témoins et des lanceurs d’alerte. Aussi, faut-il prévoir des mécanismes de prévention avant la répression conformément à la Convention des Nations-Unies. Il faut avoir de citoyens bien sensibilisés, sinon bien éduqués dans le sens de l’intégrité, de la redevabilité, du contrôle citoyen de l’action publique. Les citoyens doivent refuser la corruption et la combattre sans faiblesse. De plus, des médias et des organisations de la société civile crédibles et engagées dans la lutte contre la corruption sont d’une contribution inestimable. Les gouvernants ne doivent pas être des corrompus ou soutenir et encourager des entreprises ou institutions corrompues. Ils doivent donner l’exemple aux citoyens par leurs pratiques et leurs engagements à lutter contre le phénomène de la corruption quel que soit l’auteur. Ils doivent récompenser les agents intègres et punir les corrompus. Il faut enfin avoir une justice indépendante, débarrassée des juges portés sur la corruption mais surtout reconnaitre aux juges intègres leur mérite et les valoriser. Interview réalisée par Elh. M. Souleymane L’Autre Républicain du jeudi 13 Février 2025 https://www.lautrerepublicain.com/2025/02/interview-monsieur-maman-wada-president-de-lassociation-nigerienne-de-lutte-contre-la-corruption-anlc-section-de-transparency-international/
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