La Banque mondiale revoit le seuil de pauvreté : les défis d’Haïti sous le nouveau seuil à 3 $ par jour [https://lescientifique.org/] *Introduction* Depuis plus de trois décennies, le Groupe de la Banque mondiale mesure la pauvreté dans le monde afin de suivre les progrès vers l’éradication de l’extrême pauvreté. En juin 2025, l’organisation a annoncé une mise à jour majeure de ses seuils de pauvreté, dont le principal — pour les pays à faible revenu — passe de 2,15 \$ à 3 \$ par personne et par jour (World Bank, 2025a). Ce changement, fondé sur les dernières données de parité de pouvoir d’achat (PPA), repositionne Haïti, pays à faible revenu, au cœur de la cartographie mondiale de la pauvreté. --- *Des seuils mieux adaptés à la diversité économique des pays* Jusqu’à récemment, la Banque mondiale utilisait principalement un seuil universel d’extrême pauvreté, adapté aux pays les plus pauvres. Ce seuil, initialement établi à 1 \$ en 1990, a été actualisé en 2008 (1,25 \$), en 2015 (1,90 \$), en 2022 (2,15 \$) et désormais en 2025 à 3 \$ (World Bank, 2025a). Ces mises à jour visent à refléter les évolutions du coût de la vie mondial en se fondant sur les PPA. Depuis 2017, trois niveaux de seuils sont désormais reconnus : * 3 \$ pour les pays à faible revenu (comme Haïti), * 4,20 \$ pour les pays à revenu intermédiaire inférieur (ex. : Bangladesh, Nigeria), * 8,40 \$ pour les pays à revenu intermédiaire supérieur (ex. : Brésil, Afrique du Sud) (World Bank, 2025a). Ces seuils correspondent à la médiane des seuils nationaux de pauvreté dans chaque groupe de pays. Cela permet des comparaisons plus pertinentes entre pays ayant des structures économiques comparables (Ferreira & Sánchez-Páramo, 2017). *L’impact pour Haïti : plus de 7 millions de personnes dans l’extrême pauvreté* Avec la révision du seuil à 3 \$, le portrait de la pauvreté en Haïti se révèle encore plus préoccupant. Selon les dernières estimations, environ 58,7 % des Haïtiens vivaient déjà sous le seuil de 2,15 \$ en 2021 (World Bank, 2023). Avec le nouveau seuil à 3 \$, ce taux grimpe à environ 60–65 %, ce qui représente près de 7,5 millions de personnes sur une population totale estimée à 11,8 millions (UNDP, 2024). Par comparaison, en 2012, environ 40,4 % de la population haïtienne vivait avec moins de 3 \$ par jour (World Bank, 2015). Cela montre que, malgré une décennie de politiques sociales, les progrès ont été freinés, voire annulés, par les crises successives (politiques, sanitaires, climatiques). *Un nouvel indicateur : l’écart de prospérité* En 2024, la Banque mondiale a introduit un nouvel outil : l’indicateur d’écart de prospérité, qui mesure le fossé entre les niveaux de subsistance dans les pays à faible revenu et ceux des pays à revenu élevé (World Bank, 2025b). Appliqué à Haïti, cet écart souligne une réalité alarmante : un Haïtien moyen vit avec moins de 7 % du revenu moyen d’un habitant d’un pays développé (Bertelsmann Stiftung, 2024). Cet écart pose de sérieux défis en matière de justice sociale et de stabilité régionale. *Des données mieux collectées, une pauvreté mieux comprise* L’évolution des méthodes d’enquête sur les ménages a permis d’affiner les mesures de la pauvreté. Aujourd’hui, elles prennent en compte non seulement les revenus et la consommation à domicile, mais aussi les dépenses en services (transports, repas à l’extérieur), le logement et les biens durables (World Bank, 2025a). Ces ajustements méthodologiques sont essentiels pour un pays comme Haïti, où de nombreux ménages consomment informellement ou en nature. *Une pauvreté multidimensionnelle qui dépasse le revenu* Haïti présente également un taux élevé de pauvreté multidimensionnelle : *41,3 %* des Haïtiens sont privés simultanément d’accès à l’éducation, à la santé, à l’eau potable et à des conditions de vie décentes (UNDP & OPHI, 2023). Cette approche non monétaire complète la vision fournie par les seuils de revenu et éclaire les politiques publiques sur les multiples leviers d’intervention possibles. *Conclusion* Le relèvement du seuil international d’extrême pauvreté à 3 \$ par jour ne se limite pas à un ajustement statistique : il redéfinit l’ampleur de la pauvreté, en particulier dans des pays comme Haïti. Alors que plus de 7 millions d’Haïtiens vivent sous ce nouveau seuil, il est urgent que les politiques nationales et les appuis internationaux s’ajustent à cette nouvelle réalité. La lutte contre la pauvreté ne peut réussir qu’en combinant données rigoureuses, stratégies ciblées et solidarité globale. Références Bertelsmann Stiftung. (2024). BTI 2024 Country Report Haiti. [https://bti-project.org](https://bti-project.org) Ferreira, F. H. G., & Sánchez-Páramo, C. (2017). A richer array of international poverty lines. World Bank Blogs. UNDP. (2024). Human Development Indicators: Haiti. UNDP & OPHI. (2023). Global Multidimensional Poverty Index: Haiti Country Profile. World Bank. (2015). Poverty and Equity Global Practice – Haiti. World Bank. (2023). Poverty & Equity Brief: Haiti – April 2023. World Bank. (2025a). Global Poverty Update 2025: Revising International Poverty Lines. World Bank. (2025b). Introducing the Prosperity Gap Index. World Development Indicators. https://lescientifique.org/