Abdou Pagoui
Abdou Pagoui
June 2, 2025 at 05:41 PM
#international 📰 La triple menace venue du Sahel ParGeneviĂšve GoĂ«tzinger Tribune Les chiffres ne mentent pas, une litanie anxiogĂšne, nourrie de victimes assassinĂ©es, d’armes subtilisĂ©es, d’annĂ©es de pouvoir confisquĂ©es. Les chiffres racontent la nouvelle histoire du Sahel central et le risque qu’il fait aujourd’hui peser sur toute l’Afrique de l’Ouest. Le pĂ©ril est d’abord institutionnel, celui d’une rĂ©gression dĂ©mocratique sur le long terme dans un espace rĂ©gional oĂč cette valeur est dĂ©sormais remise en question. La dĂ©cision est tombĂ©e : au Mali depuis le 13 mai, il n’y a plus de partis politiques. Leur dissolution a Ă©tĂ© prononcĂ©e en bloc. Le gĂ©nĂ©ral prĂ©sident Assimi GoĂŻta entame un second quinquennat et n’exclut pas de prolonger son « mandat » au-delĂ  de ces cinq annĂ©es. La perspective d’élections s’éloigne et le retour Ă  l’ordre constitutionnel est renvoyĂ© aux calendes grecques. Pour avoir rendu compte d’une manifestation populaire le 3 mai place de l’IndĂ©pendance Ă  Bamako, aux cris de « libertĂ©, dĂ©mocratie, Ă©lections », la chaine francophone TV5 Monde a vu sa diffusion suspendue depuis le 9 mai dernier. Assimi GoĂŻta emboĂźte le pas Ă  son homologue burkinabĂ©, le capitaine Ibrahim TraorĂ©, qui s’est octroyĂ© un contrat Ă  durĂ©e indĂ©terminĂ©e. Au Niger, pays dans lequel les coups d’État duraient traditionnellement quelques mois, le pouvoir kaki se projette Ă©galement dans la durĂ©e : 5 annĂ©es de transition renouvelables. L’expression « SaĂŻ Bazoum », qui traduite de la langue hausa signifie « Bazoum ou rien », circule dĂ©sormais rĂ©guliĂšrement sur les boucles WhatsApp. Elle est la marque d’un regret envers un prĂ©sident visionnaire renversĂ© le 26 juillet 2023 et sĂ©questrĂ© depuis cette date avec son Ă©pouse dans quelques mĂštres carrĂ©s. Manifestation ici, expression populaire partagĂ©e lĂ , le pouvoir militaire connait ses premiĂšres remises en cause. 35 annĂ©es aprĂšs les confĂ©rences nationales et l’instauration du multipartisme, ce contre-modĂšle adossĂ© Ă  une puissante rhĂ©torique anti-française et dopĂ© par une utilisation efficace des rĂ©seaux sociaux, trĂ©buche sur la rĂ©alitĂ© de ses rĂ©sultats en matiĂšre de sĂ©curitĂ© et sur l’aspiration universelle des peuples Ă  la libertĂ©. Le pĂ©ril est ensuite humanitaire, avec la multiplication de pogroms sur une base ethnique qui fait craindre un scenario Ă  la rwandaise. C’est l’un de ces regards que l’on n’oublie pas : celui bouleversant d’un jeune garçon, seul rescapĂ© au milieu de cadavres de femmes, d’hommes et d’enfants. Au-delĂ  de la peur, il exprime une totale incomprĂ©hension. Le carnage commis dĂ©but mars dans le village peul de Solenzo au Burkina Faso a Ă©tĂ© largement documentĂ© par l’ONG Human Rights Watch. Il a Ă©tĂ© perpĂ©trĂ© par des miliciens des Volontaires pour la dĂ©fense de la patrie et des soldats de l’armĂ©e rĂ©guliĂšre du pays. Ce jour-lĂ , 130 civils ont Ă©tĂ© froidement massacrĂ©s. Ces atrocitĂ©s, susceptibles selon l’organisation de constituer des crimes contre l’humanitĂ©, sont dĂ©sormais rĂ©currentes tant au Mali qu’au Burkina. SoupçonnĂ©es de collusion avec les groupes islamistes armĂ©s, des populations sont stigmatisĂ©es sur la base de critĂšres ethniques et victimes d’exĂ©cutions sommaires. Les premiĂšres images largement diffusĂ©es remontent Ă  mars 2022. Dans le village de Moura, FAMAs (Forces armĂ©es maliennes) et mercenaires russes ont exĂ©cutĂ© sommairement des centaines d’hommes, sĂ©lectionnĂ©s en fonction de leur apparence ou de leur ethnie. Des groupes d’autodĂ©fense se forment dĂ©sormais en rĂ©action aux reprĂ©sailles subies, alimentant un cycle de violences intra- communautaires. Face Ă  l’interpellation des organisations internationales, les autoritĂ©s militaires demeurent sans rĂ©action. Ces carnages sont en revanche assumĂ©s froidement par certains activistes proches du Kremlin et ardents dĂ©fenseurs des juntes sahĂ©liennes comme la Suisso-Camerounaise Nathalie Yamb. Le discours de cette adepte du complotisme 2.0 rappelle la propagande du rĂ©gime Habyarimana qui prĂ©sentait dans les annĂ©es 90 tous les Tutsis comme des « ennemis de l’intĂ©rieur ». Cette rhĂ©torique justifiait une violence prĂ©ventive contre tous les Tutsis, prĂ©parant le terrain pour le gĂ©nocide de 1994, faisant 800.000 victimes en l’espace de 100 jours. Le parallĂšle est glaçant, entre le gĂ©nocide rwandais et les pogroms en cours au Sahel. Le pĂ©ril est enfin surtout sĂ©curitaire avec un effondrement d’États, qui laisse planer la menace d’une progression djihadiste vers les pays du golfe de GuinĂ©e. ArrivĂ©s au pouvoir sur la promesse d’une restauration de la sĂ©curitĂ© et d’une gouvernance dĂ©faillante, les trois pays de l’Alliance des États du Sahel semblent engagĂ©s dans une fuite en avant qui masque en rĂ©alitĂ© leur incapacitĂ© Ă  rĂ©soudre ce flĂ©au. Les chiffres attestent d’une inquiĂ©tante rĂ©alitĂ© du terrain. De nombreuses vidĂ©os authentifiĂ©es font quotidiennement Ă©tat de villages dĂ©truits et de casernes pillĂ©es. Les GAT – Groupes armĂ©s terroristes – s’affichent avec un impressionnant butin de guerre. Les armĂ©es nationales et les miliciens d’Africa Corps (ex Wagner) sont incapables d’endiguer une lente progression vers les capitales. L’hypothĂšse d’instauration d’un califat dans l’un des trois pays n’est plus totalement Ă  exclure. Au Niger, pays oĂč le prĂ©sident Mohamed Bazoum avait rĂ©ussi Ă  juguler le terrorisme par une double approche militaire et de main tendue aux repentis, la descente aux enfers depuis le coup d’État est impressionnante. Alors que 57 militaires et environ 300 civils avaient perdu la vie pendant ses deux annĂ©es et trois mois d’exercice du pouvoir, un rapport d’ACLED sur une pĂ©riode de 17 mois, allant d’aoĂ»t 2023 Ă  dĂ©cembre 2024, fait Ă©tat de 2312 morts liĂ©es au terrorisme. L’accĂ©lĂ©ration des violences depuis le dĂ©but de l’annĂ©e rend crĂ©dible le chiffre officieux de 2000 soldats morts en 22 mois de rĂ©gime militaire. A ce bilan macabre, s’ajoute une quinzaine de prises d’otages, des NigĂ©riens mais aussi des Ă©trangers prĂ©sents dans le pays, comme l’Autrichienne Eva Gretzmacher, une femme de 74 ans installĂ©e Ă  Agadez depuis 28 ans, figure respectĂ©e localement pour son engagement dans le domaine Ă©ducatif et l’autonomisation des femmes. L’effondrement du Niger, longtemps perçu comme une digue, pourrait avoir des rĂ©percussions sur l’ensemble de la sous-rĂ©gion. La fragilitĂ© des États de l’AES et leur stratĂ©gie de citadelle assiĂ©gĂ©e, met dĂ©sormais en danger les pays de la sous-rĂ©gion, confrontĂ©s Ă  la volontĂ© des groupes terroristes de se dĂ©ployer vers le golfe de GuinĂ©e afin d’obtenir un accĂšs Ă  la mer. En avril dernier, 54 militaires ont Ă©tĂ© tuĂ©s au BĂ©nin, confirmant l’accroissement d’attaques transfrontaliĂšres de la part des djihadistes. La lutte contre le terrorisme implique de mener une politique rĂ©solument inclusive, des populations, des forces politiques, des partenaires internationaux. Les trois juntes au pouvoir ont fait le choix inverse, celui de l’ostracisation de populations entiĂšres, de la suppression des partis, de l’isolement diplomatique et de l’anathĂšme envers leurs voisins. Cela s’appelle la politique du pire. GeneviĂšve GoĂ«tzinger PrĂ©sidente de l’agence imaGGe Ancienne directrice gĂ©nĂ©rale de RFI Membre de l’AcadĂ©mie des Sciences d’Outre-Mer GeneviĂšve GoĂ«tzinger
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