
Abdou Pagoui
June 5, 2025 at 11:36 AM
*L'Événement | Kenya, Niger*
*_À Nairobi, le sinueux circuit d'acquisition d'armes de la junte nigérienne_*
Le pouvoir nigérien a dépêché des émissaires au Kenya afin de nouer un accord d'acquisition de matériel militaire au nom du ministère de l'intérieur. Des discussions avancées ont été engagées avec une société établie dans la capitale kényane pour la fourniture d'armes, dont la provenance réelle suscite néanmoins des interrogations.
Publié le 05/06/2025 à 4h40 GMT Lecture 4 minutes
La junte nigérienne du général Abdourahamane Tchiani cherche non sans mal à équiper ses forces de sécurité. La raison de ces difficultés rencontrées par le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) réside dans la réticence de certains courtiers à collaborer avec un régime putschiste. Avec ses moyens financiers limités, le CNSP ne peut se permettre de s'approvisionner en Europe de l'Est. Aussi le pouvoir militaire mandate-t-il des intermédiaires nigériens chargés de trouver d'autres solutions, quitte à acquérir du matériel de qualité inférieure.
Depuis ces derniers mois, le ministère de l'intérieur, dirigé par le général Mohamed Toumba, cherche un réseau d'approvisionnement capable d'honorer une commande totale d'environ 25 millions de dollars d'armement. À ce jour, une première tranche de 10 % de ce budget a été déclenchée afin de tester la capacité des fournisseurs identifiés à trouver les équipements militaires voulus. Cette séquence devrait permettre ensuite de débloquer un accord commercial plus important.
Selon les documents consultés par Africa Intelligence, la commande porte sur 500 AK47, 100 Kalachnikov PKM, des mitrailleuses lourdes dont 20 de 12,7 mm et 26 de 14,5 x 114 mm de type KPV, 10 grenades à main RGD-5, 20 grenades anti-chars PG7, des pistolets de 9 mm et près de 1 million de munitions de différents calibres. Pour mener cette phase de test à 2,6 millions de dollars, le ministère de l'intérieur a mandaté l'un de ses contractuels de la direction de l'achat d'armement, Alhassane Alkaly Mounkaila.
Prix trop élevés
Ce dernier, également à la tête d'une société d'import-export et de fourniture d'équipements militaires dénommée Alka & Co, créée à Niamey en 2023, est non seulement chargé de trouver le matériel souhaité mais aussi de trouver son financement. Pour le volet financier, il travaille avec Issa Hamadou Issa, à la tête de la Société générale international trading, dont le siège est à Niamey et mise à l'essai par le ministère de l'intérieur. Pour cet homme d'affaires nigérien, qui contribue à préfinancer cette commande, il s'agit de la première opération dans ce domaine sensible.
Alhassane Alkaly Mounkaila s'est déjà rendu en Serbie pour des inspections de matériel, mais les prix du marché d'Europe de l'Est se sont révélés trop élevés pour le Niger. Le binôme a donc été contraint de se tourner vers des fournisseurs d'équipements de qualité inférieure. Sur recommandation de militaires de la junte burkinabè dirigée par le capitaine Ibrahim Traoré, l'émissaire nigérien a pris contact avec une structure enregistrée au Kenya susceptible de fournir le matériel demandé à des prix particulièrement bas.
L'opaque courtier kényan
Il s'agit de la société Chalbi Industries, étroitement liée au pouvoir kényan. Sous la présidence d'Uhuru Kenyatta, l'État lui avait octroyé les licences nécessaires et avait facilité l'ouverture de son usine de fabrication d'armes à bas prix, en 2021. Cette entité est officiellement dirigée et contrôlée par deux hommes d'affaires, dont un ingénieur ayant opéré comme technicien à la Kenya Air Force (KAF), Jackson Muthari Macharia, et un ancien cadre du ministère de l'intérieur et de la police nationale, Naphtaly Kipchirchir Rono.
Spécialisé dans la production de petits calibres, Chalbi Industries assemble aussi des fusils d'assaut "made in Kenya" de type CMZ-4, inspirés du M16 et déjà utilisés par certaines unités de l'armée kényane, notamment en Somalie. Chalbi Industries a aussi développé l'importation d'armement.
Pour répondre à la demande de matériel du Niger et compte tenu de son budget limité, cette entreprise, très proche de courtiers turcs, comme Fix Defence, s'approvisionne également en Azerbaïdjan. Dans le lot proposé au Niger se trouvent des mitrailleuses lourdes de 12,7 mm du slovaque Kolarms, un modèle créé par un ancien agriculteur reconverti dans la production de matériel réputé de piètre qualité, et des pistolets du fabricant brésilien Taurus. L'ensemble comprend aussi un demi-conteneur de caisses contenant des copies de fusils d'assaut de type AK47 neufs et sous plastique, des modèles similaires à ceux produits en Iran. Contacté par Africa Intelligence, Chalbi Industries a démenti collaborer avec des fournisseurs iraniens.
Conteneurs empilés
La structure kényane se refuse systématiquement à fournir les certificats d'origine des équipements militaires vendus, comme l'exige la réglementation en vigueur. "Chalbi Industries ne traite pas, et n'a jamais traité directement ou indirectement, avec des pays sous sanctions ou visés par un embargo", a précisé à Africa Intelligence la direction de la société établie à Nairobi, qui précise "adhérer strictement aux lois internationales".
Si elle reconnaît avoir été sollicitée par le gouvernement du Niger, elle assure "qu'aucune transaction commerciale n'a été conclue" entre elle et Niamey. Pourtant, un contrat a bien été signé le 25 avril entre Chalbi Industries, représenté par son directeur, un certain J. Thuguri, et la République du Niger à travers Alka & Co. Il est clairement mentionné que "le fournisseur accepte de vendre" les biens concernés et que le certificat d'utilisateur final (CUF, end-user certificate) pour ces équipements militaires est au nom du Niger qui doit régler 30 % du prix total dans la quatorzaine.
La commande s'élève à 2,6 millions de dollars et pourrait donc, selon le plan initial du Niger, donner lieu ensuite à une nouvelle commande près de dix fois plus importante. Pour l'instant, les armes n'ont pas encore quitté le Kenya. Le matériel est stocké dans des conteneurs empilés dans un hangar de la cité portuaire de Mombasa, dans le sud-est du pays. Une cargaison d'environ 40 tonnes que les deux courtiers mandatés par le ministère de l'intérieur doivent faire acheminer jusqu'au Niger, probablement par les airs en affrétant un Antonov An-12 qui ferait deux rotations. Toutefois, sans certificats d'origine, trouver un transporteur disposé à livrer ce genre de matériel à une junte du Sahel, et s'exposer au risque d'être sanctionné peut être une tâche ardue.

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