
Abdou Pagoui
June 6, 2025 at 04:23 AM
Ils n’ont pas le monopole du patriotisme !
Il faut le dire sans détour : aimer le Mali ne signifie pas se prosterner devant des militaires en treillis, applaudis comme des rock stars par des foules en manque de mythe. Aimer le Mali, ce n’est pas agiter un drapeau entre deux injures sur Facebook, ni répéter mécaniquement des slogans vides de toute pensée critique. Aimer le Mali, c’est oser dire non, même quand la peur suinte de tous les murs. C’est refuser le chantage affectif qui voudrait faire passer la soumission pour du patriotisme.
Aujourd’hui, une caste (car c’en est une !) prétend incarner seule l’amour du pays. Colonels autoproclamés sauveurs, influenceurs déguisés en commissaires politiques, courtisans en quête de sinécures : tous s’érigent en juges du « bon Malien ». Si vous critiquez, vous êtes un vendu. Si vous doutez, vous êtes complice de l’ennemi. Si vous exigez des comptes, vous êtes « manipulé par l’extérieur ». Cette rhétorique, aussi pathétique que dangereuse, est celle des régimes qui savent, au fond, qu’ils n’ont aucune légitimité durable ni dans les urnes, ni dans les cœurs.
L’uniforme comme religion d’État
Le Mali a basculé dans une forme de césarisme tropical, où les galons valent brevet de moralité et où le treillis tient lieu de programme politique. Des colonels bombardés Généraux qui ne rendent de compte à personne se permettent de parler au nom de tous. Leurs décisions ? Unilatérales. Leurs justifications ? Mystiques. Leur vision ? Floue. Mais leur posture ? Sacralisée.
On a assassiné la démocratie avec le sourire, en la remplaçant par une comédie de souveraineté où le peuple est convoqué comme décor, jamais comme acteur. On gouverne par décret, on communique par intimidation, on censure par patriotisme. À ceux qui osent demander des comptes sur les dérives, les contrats obscurs, les accords inavoués, les exactions impunies, on répond par des menaces, des lynchages médiatiques, et parfois même, par la disparition pure et simple.
Souveraineté de pacotille, État de papier
On nous parle de souveraineté, mais où sont les institutions ? Où est l’État ? Où est le Parlement ? Où sont les juges ? Où est la presse libre ? Où est le débat public ? Remplacés par une chaîne Telegram, une poignée de figurants en uniforme et trois communicants en service commandé.
Ce que les colonels pardon Généraux appellent « transition » est en réalité une confiscation. Une confiscation de la parole. Une confiscation de la peur. Une confiscation du pays tout entier. Il ne s’agit pas de refonder quoi que ce soit, il s’agit de régner, tant que faire se peut. Et si possible, en instaurant une nouvelle norme : le silence. Mais nous ne nous tairons pas !
Le vrai patriotisme est une insoumission
Le vrai patriote, ce n’est pas celui qui répète les éléments de langage du pouvoir. C’est celui qui exige une armée disciplinée, non politique, non ethnique, non clanique. Une armée qui protège, et ne gouverne pas. C’est celui qui défend l’intérêt général même contre le pouvoir du moment. C’est celui qui ose dire que le Mali mérite mieux qu’une transition sans fin.
Le patriotisme, ce n’est pas l’obéissance à une clique. C’est l’exigence d’un pays juste. C’est le refus des combines sécuritaires entre États mafieux. C’est la dénonciation du business de la guerre. C’est la critique des compromissions, qu’elles viennent d’un président civil corrompu ou d’un colonel sans scrupule.
Parce que oui, il y a une armée d’ombres qui prospère grâce à la guerre, aux marchés opaques, aux opérations de communication sponsorisées. Et dans cette opacité, le peuple malien, lui, continue de souffrir. D’être déplacé. De mourir.
Le culte de l’armée n’est pas un projet de société
Ce que nous voyons aujourd’hui, c’est une classe militaro-politique qui n’a ni projet social, ni vision économique, ni stratégie de sortie de crise. Leur seule offre, c’est le culte de la souveraineté sans institutions, la virilité sans justice, la puissance sans responsabilité.
Et ce culte est dangereux. Parce qu’il transforme les dissidents en traîtres. Il fait des intellectuels des suspects. Il interdit la nuance. Il diabolise les ONG, les journalistes, les chercheurs, les artistes. Et surtout, il infantilise le peuple, en le réduisant à une masse à applaudir, jamais à consulter.
Mais ce peuple-là n’est pas dupe. Et il parlera. Parce que même quand tout semble verrouillé, le feu couve sous les cendres de la peur.
La patrie ne leur appartient pas
Non, ils n’ont pas le monopole du patriotisme. Le Mali ne leur appartient pas. Pas plus qu’il n’appartenait à ceux qui, hier encore, se disaient « élus » tout en pillant les caisses de l’État.
Nous avons le droit, le devoir, de dire que ce régime ne nous représente pas. Que ses postures martiales ne font pas une vision. Que sa gouvernance par le vacarme masque un vide sidéral.
Et nous continuerons à écrire, à parler, à dénoncer. Non par haine. Mais parce que le vrai patriotisme, c’est le courage de dire la vérité, même quand elle dérange ceux qui prétendent parler au nom de la nation.
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