EuroScope : la chaîne sur l’Europe
EuroScope : la chaîne sur l’Europe
February 16, 2025 at 07:19 PM
**LA PLACE DE L’ÉDUCATION DANS L’OCCIDENT MODERNE : ENTRE HÉRITAGE HISTORIQUE, SÉCULARISATION ET ENJEUX ÉCONOMIQUES** Le rapport récent du *Censis (2024)* révèle qu’en Italie, **49,7 % des citoyens ignorent la date de la Révolution française*, tandis que **30,3 % ne savent pas qui fut Giuseppe Mazzini*. Pour **19,3 %*, Mazzini aurait même été un homme politique italien de la seconde moitié du XXᵉ siècle. Par ailleurs, **32,4 %** des Italiens attribuent la fresque de la chapelle Sixtine à Giotto ou Leonardo. Ce constat va de pair avec d’autres enquêtes qui font apparaître une érosion du savoir historique dans plusieurs pays occidentaux. De nombreux observateurs en concluent que cette « inculture » résulte d’une **défaillance de l’éducation**, dont la responsabilité incombe d’abord à l’État. Dans un contexte marqué par une sécularisation croissante qui tend à « monopoliser le pouvoir symbolique », il est essentiel de comprendre comment l’école et l’université jouent un rôle central dans la formation d’esprits critiques, mais aussi dans la transmission ou la déconstruction de certaines valeurs, notamment religieuses et culturelles. --- **1. Pluralisme politique et modernité industrielle : une dynamique de concurrence culturelle** L’historien Edward Gibbon décrivait un continent morcelé en *« un grand nombre d’États indépendants, mais unis par la ressemblance de la religion, de la langue et des mœurs »*. Dans cette Europe divisée, on observait déjà une concurrence positive entre souverains pour attirer les meilleurs artistes, ingénieurs ou penseurs, tout autant que des rivalités guerrières. David Hume, dans *Of the Rise and Progress of the Arts and Sciences* (https://davidhume.org/texts/empl1/rp), soulignait quant à lui que *« rien n’est plus favorable à l’essor de la politesse et des sciences qu’une multitude d’États voisins et indépendants, unis par le commerce et la politique »*. Ce climat propice à la compétition intellectuelle et économique s’est amplifié avec la **Révolution industrielle*. Les inventions et découvertes (machine à vapeur, métiers à tisser, innovations agricoles) se sont rapidement diffusées, entraînant une **croissance démographique** sans précédent en Europe (de la fin du XVIIIᵉ au XIXᵉ siècle). Comme l’a montré l’historien Joel Mokyr, ce bouillonnement technologique a permis la convergence entre théorie et pratique : de simples procédés « empiriques » ont souvent précédé leur formalisation scientifique, tandis que de nouvelles idées circulaient à une vitesse inégalée. Les Européens ont alors inventé le concept de « croissance économique » et se sont progressivement habitués à **l’idée d’un progrès continu**. --- **2. L’héritage religieux, l’esprit du capitalisme et l’essor de l’éducation** La modernité occidentale s’est nourrie à la fois de la **démystification du principe d’autorité** et de la poursuite de valeurs religieuses. Max Weber, dans *L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme*, a analysé comment la notion de **Beruf** (vocation) contribuait à donner un sens « sacré » au travail dans les sociétés protestantes, favorisant une culture de l’effort, de la discipline et de l’épargne. L’économiste et prix Nobel Edmund Phelps parlera plus tard de **« mass flourishing »**, insistant sur la diffusion d’une prospérité permise par l’engagement de chacun à développer ses talents. Le sociologue Ernest Gellner remarquait cependant l’ironie d’une modernité qui repose sur la mobilité professionnelle rapide, alors même qu’elle est issue d’hommes traitant leur « vocation » avec un sérieux presque sacré. C’est dans ce contexte que les États ont mis en place des **systèmes d’instruction publique*, censés former de bons citoyens et répondre à l’essor des activités industrielles. La scolarisation massive devait transmettre un socle commun de connaissances (pour mieux comprendre et défendre ses droits) et développer le sentiment d’appartenance nationale. Pourtant, cette extension du rôle de l’État s’accompagne aussi d’une tentative de **« monopoliser le pouvoir symbolique »**. L’Italie, par exemple, a cherché au XIXᵉ siècle à arracher l’éducation des mains de l’Église après son Unification pour consolider l’État laïc. Ailleurs, des réformes scolaires ont souvent visé à affaiblir des autorités traditionnelles, religieuses ou régionales. --- **3. L’école contemporaine face à la sécularisation et la « crise de l’autorité »** Cette sécularisation et la perte de prestige de certaines institutions religieuses ont entraîné des effets paradoxaux. L’école est devenue un lieu où s’articulent à la fois l’instruction, l’idéologie et la socialisation. L’étude du *Censis (2024)*, révélant l’ignorance d’événements historiques clés, signale **une forme de vide culturel** qui va parfois de pair avec une diffusion d’idées « déclinistes » ou d’un discours de « décroissance » promu par certains courants. Dans des pays comme l’Italie, la France ou l’Espagne, les familles, elles-mêmes transformées par la baisse de la natalité et le recul de la pratique religieuse, délèguent plus que jamais à l’école la responsabilité éducative. Les enfants sont ainsi surprotégés, ce qui, comme le souligne Jonathan Haidt, limite leurs opportunités de « jeu libre » et de confrontation à la réalité. Dans le secondaire, l’enseignant se retrouve parfois en tension entre l’attente d’une transmission classique du savoir et l’injonction à innover, à « personnaliser » la pédagogie, au risque d’**affaiblir l’exigence**. Ainsi, certains professeurs constatent qu’une part importante de leurs élèves adhèrent à des idées simplificatrices ou confuses (refus de la croissance, soupçon généralisé à l’égard des institutions), alors même que l’école dispose d’outils censés promouvoir un minimum de rigueur et d’esprit critique. --- **4. L’université, entre massification et quête d’excellence** L’accès aux études supérieures, autrefois réservé à une élite, s’est ouvert à des franges toujours plus larges de la population. Les universités ont amélioré leur accueil administratif, leurs infrastructures, leurs horaires de bibliothèque, dans une logique de **« service à l’étudiant-consommateur »*. Cependant, cette massification s’accompagne d’une **« inflation académique »** : le nombre de diplômes délivrés augmente sans toujours répondre aux besoins réels du marché du travail. Les systèmes d’évaluation centrés sur la satisfaction des étudiants (et la recherche de bonnes notes) peuvent diluer la sélection et le sens de l’exigence. Dans certaines universités américaines, la notation est devenue si élevée qu’il est parfois difficile de distinguer les compétences réelles, poussant les recruteurs du secteur privé à exiger leurs propres tests ou entretiens approfondis. En parallèle, une véritable « bureaucratisation » de l’enseignement supérieur alourdit les processus administratifs et favorise la création de filières sans débouchés clairs. Comme le rappelle Karl Popper, il serait erroné de voir le savoir comme une simple transmission descendante. Le processus d’apprentissage, *« darwinien »*, suppose une interaction dynamique entre l’étudiant et la connaissance : chacun développe des schémas cognitifs en copiant, en testant et en corrigeant. Or, plus on prolonge la durée des études formelles, moins on laisse de place à l’apprentissage « sur le terrain » ou à la formation par l’expérience directe. --- **5. L’essor des nouveaux médias et la fragmentation culturelle** Certains accusent les réseaux sociaux, la profusion de vidéos en ligne ou encore la culture du streaming de dégrader le niveau culturel général. Toutefois, de nombreux contenus en ligne favorisent une autoformation gratuite, sous forme de MOOCs, de podcasts spécialisés ou de vidéos didactiques. Il est vrai que **« l’imaginaire commun »** se fragmente : deux jeunes de la même classe peuvent consommer des références culturelles radicalement différentes sans jamais se croiser. Cette fragmentation n’est pas forcément synonyme de déclin du savoir. Beaucoup d’adolescents peu portés sur la lecture traditionnelle développeront, à l’âge adulte, un intérêt pour la philosophie, l’histoire ou la géopolitique. Au contraire, l’abondance de l’offre culturelle peut devenir un levier si l’école apprend à décrypter et à hiérarchiser l’information. La question cruciale porte alors sur **les valeurs et croyances** : dans un monde où la **sécularisation** se poursuit, comment redonner sens à l’idée d’effort personnel, de responsabilité et de mérite? --- **6. L’incertitude de la transmission des valeurs et la question du travail** Le **travail** et l’**éthique de l’effort** ont longtemps été des piliers de la civilisation industrielle. C’était le moteur de la croissance économique, soutenu par un mélange de rationalité scientifique et de références morales héritées du christianisme. Aujourd’hui, entre critiques du productivisme, revendications d’un meilleur équilibre « vie professionnelle – vie privée » et mise en avant des inégalités, les notions d’**honnêteté**, de **thésaurisation** (l’épargne) et de **discipline** sont relativisées ou moquées. James Buchanan, prix Nobel d’économie, racontait qu’il se sentait coupable de ne rien faire devant son poste de télévision, au point de se résoudre à **casser des noix pendant des heures** pour se libérer d’une culpabilité quasi culturelle liée à l’oisiveté. Cette anecdote est révélatrice d’un certain ethos de l’homme occidental, désormais en crise dans un univers où l’on prône plutôt la réduction du temps de travail. Dans le même temps, les structures scolaires et universitaires peinent à valoriser ce sentiment d’exigence, soutenues par des discours décroissants ou des approches pédagogiques qui mettent l’élève au centre sans l’éprouver face à des défis réels. --- **Conclusion** L’Éducation en Occident se situe à l’intersection de forces multiples : héritage religieux, sécularisation, épanouissement de la science, montée de la bureaucratie, exigences d’innovation économique et fragmentation de la culture à l’ère numérique. Au-delà de l’ignorance historique ou civique que révèlent certaines études, l’enjeu est de savoir si l’école et l’université réussiront à **redonner sens** à la **responsabilité individuelle*, à la **rigueur intellectuelle** et au **goût de l’effort*. Une telle renaissance pourrait davantage émaner de l’extérieur (initiatives privées, apprentissages sur le terrain, accès libre à la connaissance en ligne) que des appareils institutionnels souvent figés. Si le capitalisme a besoin d’individus capables de s’adapter et de créer, il requiert également une **culture** suffisamment solide pour transmettre des valeurs essentielles. La vraie question n’est donc pas de rejeter la modernité éducative, mais de la **réinventer** pour qu’elle serve à la fois la liberté de chacun et le bien commun. **#éducation #occident #sécularisation #travail #culture #université #croissanceéconomique #valeurs #progrès**
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