
Le Méhari Post de Mohamed AG Ahmedou du MTRM
June 3, 2025 at 03:59 PM
Démocratiser le Mali, c’est d’abord démilitariser Kati...
Parler de démocratie ou de multipartisme intégral au Mali sans évoquer Kati, c’est comme prétendre soigner une tumeur en refusant de toucher à la masse cancéreuse. Depuis le coup d'État de 2012, et plus encore depuis celui de 2020, la ville garnison de Kati s’est érigée en centre nerveux du pouvoir malien, reléguant Bamako au rang de vitrine civile. Kati est devenue une anomalie démocratique, un État-major hypertrophié qui capte l’essentiel des leviers du pouvoir, confisque la souveraineté populaire et redéfinit les priorités nationales selon une logique de caserne.
Le mythe du soldat sauveur de la nation a fait son temps. Il est aujourd’hui le masque d’une militarisation rampante de l’espace politique, d’une économie détournée à des fins de clientélisme militaire, et d’un projet d'État autoritaire à peine dissimulé sous des discours de « refondation ». Si le Mali veut sortir de ce cycle de putschs et de simulacres électoraux, il faut affronter le problème à la racine : la démocratisation du Mali passera nécessairement par la démilitarisation de Kati.
Depuis plus d'une décennie, Kati fonctionne comme la capitale de l’État profond malien c'est-à-dire une zone d'extraterritorialité démocratique. C’est là que les décisions sont prises, que les alliances sont nouées ou trahies, que les promotions se négocient, que les orientations stratégiques sont imposées sans aucun mandat populaire. L’armée n’y est plus une institution républicaine ; elle est devenue un acteur politique, économique et même idéologique, avec ses réseaux, ses intérêts, ses barons.
La militarisation du pouvoir s’est traduite par une augmentation exponentielle des budgets de la défense, souvent justifiée par la lutte contre le terrorisme. En réalité, ces milliards servent plus à entretenir une élite militaire, à acheter des loyautés et à maintenir un appareil de contrôle qu’à protéger les populations.
Et pendant ce temps, l’éducation s’effondre, les hôpitaux sont sinistrés, les jeunes désœuvrés s’entassent dans les ghettos urbains ou fuient par milliers. L’armée, omniprésente dans le champ politique, est dramatiquement absente là où elle devrait être : sur le terrain de la sécurité citoyenne.
Démilitariser Kati ne veut pas dire dissoudre l’armée, mais la replacer sous contrôle civil effectif et en redéfinir les missions. Cela suppose trois ruptures fondamentales :
1. Le peuple malien doit pouvoir se prononcer, à travers des forums populaires, des états généraux, voire un référendum, sur ce que doit être l’armée dans une démocratie : doit-elle rester une force de coercition nationale ou devenir un outil de défense républicaine, recentrée sur la protection du territoire, dans le cadre de normes constitutionnelles claires ?
2. Il faut casser la logique de l’armée comme corporation fermée et politisée. Cela signifie : désarmement progressif des centres de pouvoir militaire hors contrôle civil, rotation des commandements, transparence budgétaire, démantèlement des privilèges économiques des corps militaires. Kati ne peut pas continuer d’être un État dans l’État.
3. Le budget de la défense ne doit plus être la vache sacrée de la République. Il faut déplacer l’investissement massif vers les secteurs de survie collective : éducation, santé, emploi, agriculture. C’est là que se joue la véritable sécurité nationale. Le soldat ne pourra jamais remplacer le professeur, le médecin ou le paysan.
Bien sûr, une telle transformation heurtera les intérêts installés. Les colonels devenus ministres, les généraux patrons de presse, les affairistes en treillis, les faiseurs de rois… tous s’opposeront à une démocratisation réelle, car elle signifierait la fin de leur rente politique.
Mais il faut être clair : on ne peut pas avoir à la fois un État militaire et une démocratie. Il faut choisir. Et ce choix ne peut être différé au nom de la "transition", de la "stabilité", ou des "menaces extérieures". La pire menace pour le Mali aujourd’hui, c’est son enfermement dans un militarisme populiste, qui fait de l’uniforme une idéologie et de l’obéissance une vertu politique.
Le Mali a besoin d’une armée. Mais d’une armée républicaine, professionnalisée, respectueuse de l’autorité civile, et surtout consciente qu’elle n’a aucun rôle à jouer dans la définition du cap politique de la nation. Ce n’est pas au colonel de décider du modèle économique du pays, ni au capitaine de signer des accords diplomatiques, ni au général de faire la morale aux partis politiques.
Tant que Kati restera le centre invisible du pouvoir, toute élection ne sera qu’un théâtre d’ombres. Tant que les colonnes de blindés continueront de peser plus que les urnes, la démocratie malienne ne sera qu’un mot creux.
Démocratiser le Mali, c’est sortir Kati du cœur du pouvoir. C’est donner enfin la parole et les ressources aux vrais piliers de la République : les enseignants, les soignants, les travailleurs, les jeunes. C’est défaire le pouvoir des armes au profit de celui des idées.
Sambou Sissoko

👍
1