
Le Méhari Post de Mohamed AG Ahmedou du MTRM
June 5, 2025 at 09:32 AM
IYAD et GAMOU: deux visages d’un même naufrage malien
On nous présente IYAD Ag Ghaly comme l’ennemi public numéro un du Mali. On nous vend El Hadj Ag GAMOU comme son contraire : un loyaliste, un rempart. L’un serait la rébellion armée, l’autre la fidélité militaire. L’un serait l’homme des ténèbres, l’autre un Général de lumière. Mais si la propagande a besoin de héros et de démons, l’histoire, elle, réclame la vérité. Et la vérité est plus brutale : IYAD et GAMOU ne sont pas des ennemis. Ils sont les deux faces d’une même tragédie malienne. L’un en a tiré sa gloire, l’autre son camouflage. Mais tous deux sont nés de l’échec structurel de l’État malien, de son incapacité à bâtir une nation inclusive, de son refus obstiné à sortir du cycle clientéliste et militaire qui régit ses périphéries.
IYAD AG GHALY: l’ennemi qu’on a fabriqué
IYAD n’est pas tombé du ciel. Il n’est pas né barbu avec une kalachnikov. Il a été, d’abord, un homme du système. En 1991, à la chute de Moussa Traoré, il n’est encore que le porte-voix des frustrations touarègues. Il négocie les accords de Tamanrasset. On l’invite à Bamako. On le consulte. On le manipule.
Dans les années 2000, Iyad est recyclé comme consul à Djeddah. Une récompense diplomatique pour bons et loyaux services, croit-on. Mais ce recyclage n’est qu’un exil doré. On ne lui donne aucune réelle place au sein de l’appareil étatique. Il revient plus islamiste, plus marginalisé, plus stratège. Dès 2012, avec la chute de Kadhafi et le déferlement d’armes au Sahel, Iyad saisit l’occasion. Il transforme sa cause touarègue en cause religieuse. Il fonde Ansar Dine, et entre dans la légende noire du djihadisme sahélien.
Mais ce basculement n’est pas un accident. C’est une conséquence. Une conséquence du mépris, de la trahison, de l’humiliation. Le système politique malien, au lieu d’intégrer les élites touarègues dans des responsabilités réelles, a préféré les utiliser, les jeter, les neutraliser. Iyad s’est radicalisé, dit-on. En vérité, il s’est adapté à un système qui ne récompense que la force et la nuisance.
El Hadj Ag GAMOU: le fidèle utile
À l’opposé apparent de cette figure menaçante, se dresse El Hadj Ag Gamou. Général de l’armée malienne, ancien compagnon d’armes des années 1990, il incarne la version « loyale » du Touareg. Celui qui a choisi Bamako. Celui qui combat les siens. Celui que le pouvoir exhibe à chaque fois qu’on l’accuse de marginaliser le Nord.
Mais que représente vraiment Gamou ? Un officier patriote ? Peut-être. Mais surtout un survivant politique. Il a navigué entre les rébellions et les armées, s’est allié un temps avec les rebelles, a servi ATT puis IBK, a disparu, réapparu, et a toujours su se rendre indispensable. Son mérite ? Être « l’ami du pouvoir », pas l’architecte d’une paix durable.
Gamou est l’illustration parfaite du « Touareg acceptable » pour le pouvoir central : celui qui ne revendique pas trop fort, qui accepte de jouer le rôle du tampon, du supplétif, du fusible. On ne lui donne pas de gouvernorat, de ministère stratégique, ni de commandement autonome. On l’utilise comme carte militaire dans un conflit que Bamako ne cherche pas à résoudre, mais à contenir.
Les deux visages d’un même échafaudage de duplicité
La guerre au Mali n’oppose pas des héros à des monstres. Elle oppose des intérêts, des frustrations, des stratégies de survie. IYAD est devenu « terroriste » parce qu’il n’y avait plus d’espace politique pour son ambition. GAMOU est resté « loyal » parce qu’il a su jouer les règles de la soumission utile. Mais les deux évoluent dans un système où l’État est faible, corrompu, sélectif dans ses alliances, cynique dans ses choix.
GAMOU n’a jamais eu les moyens de pacifier le Nord. IYAD n’a jamais eu intérêt à ce que la paix s’installe. Les deux tirent leur légitimité du conflit. L’un par la terreur, l’autre par la loyauté de circonstance. Mais tous deux dépendent de l’existence d’un État bancal, inapte à gouverner, prompt à déléguer sa souveraineté tant à des milices qu’à des barons militaires. Cette situation n’est pas accidentelle, elle est structurelle.
Le Nord comme zone d’expérimentation du non-État
Depuis l’indépendance, l’État malien n’a jamais véritablement « conquis » le Nord. Il l’a administré par intermittence, souvent par procuration, parfois par la force. Les accords d’Alger, les pactes de paix, les intégrations de rebelles dans l’armée, tout cela n’a été que cosmétique. Une façade pour calmer la communauté internationale, jamais une politique réelle de reconstruction.
IYAD et GAMOU sont les produits de ce vide. Ils sont ce que le système malien a laissé éclore en ne prenant jamais ses responsabilités. Le Nord est devenu une zone de non-droit, mais surtout de non-politique. Les chefs de guerre y prospèrent, les clans y dictent leur loi, et l’État ne revient que pour signer des accords, distribuer des postes, ou bombarder des campements.
Bamako, l’hypocrisie nationale
Ce qui rend cette tragédie insupportable, c’est le mensonge permanent. Bamako prétend combattre le terrorisme, mais pactise avec des groupes armés. Bamako loue les services de GAMOU, mais refuse de construire une armée réellement inclusive. Bamako dénonce Iyad, mais a longtemps fermé les yeux sur ses réseaux, ses financements, ses relais religieux.
IYAD et GAMOU ne sont pas responsables de l’échec national. Ils en sont les symptômes. Le vrai problème, c’est l’État malien lui-même, son élite politique, sa vision jacobine, son refus de voir dans le Nord autre chose qu’un fardeau, une menace ou une variable d’ajustement diplomatique.
Le fantasme de l’unité nationale
L’un des mythes les plus tenaces dans le discours politique malien est celui de « l’unité nationale ». On nous la répète comme un mantra. Mais de quelle unité parle-t-on ? Celle qui impose un modèle culturel mandingue comme norme ? Celle qui refuse l’autonomie mais pratique la délégation militaire ? Celle qui nie les spécificités locales tout en instrumentalisant les divisions ethniques à des fins électorales ?
IYAD a rompu avec ce mythe, violemment. GAMOU a fait semblant d’y croire, stratégiquement. Les deux ont vu que ce rêve d’unité n’était qu’un décor de façade. Un outil de contrôle. Un mensonge officiel.
Vers une troisième voie ?
Il serait tentant de penser qu’il nous faut choisir entre IYAD et GAMOU, entre la terreur et la soumission. Mais cette binarité est justement le piège. Le Mali a besoin d’une troisième voie. Celle d’un État refondé, d’un contrat social réel, d’une armée qui ne soit pas une collection de factions, d’une justice qui ne sélectionne pas ses coupables.
Cette voie ne passera ni par les armes d’IYAD, ni par les galons de GAMOU. Elle passera par une reconnaissance sincère des erreurs du passé, par la fin des logiques clientélistes, par l’acceptation que le Nord ne se résume pas à deux figures masculines, armées, violentes ou loyales. Le Mali doit écouter ses jeunes, ses femmes, ses communautés oubliées, ses intellectuels silencieux.
Deux hommes, un même mensonge
IYAD et GAMOU ne sont pas les ennemis qu’on croit. Ils sont les deux produits d’un mensonge d’État. Un mensonge sur la nation, sur la paix, sur la souveraineté. L’un en a fait un instrument de guerre, l’autre un masque de loyauté. Mais tant que le Mali se contentera de ces figures pour représenter le Nord, il tournera en rond, nourrira la colère, entretiendra le chaos.
La question n’est pas de savoir qui de GAMOU ou d’IYAD triomphera. La vraie question est : quand le Mali décidera-t-il enfin d’être une nation pour tous, pas un champ de bataille entre chefs armés et chefs d’État déconnectés ?
Écrit par l'analyste politique Sambou Sissoko.

❤️
1