Le Méhari Post de Mohamed AG Ahmedou du MTRM
Le Méhari Post de Mohamed AG Ahmedou du MTRM
June 9, 2025 at 10:07 AM
Imam Dicko humilié, le Mali trahi : quand la junte refuse la sagesse L’histoire retiendra peut-être cette scène comme un détail, un épisode secondaire dans le désordre politique de la transition malienne. Mais pour qui sait lire les signes, la tentative avortée de médiation conduite par l’imam Mahmoud Dicko en août 2021 est bien plus que cela : un tournant, un révélateur, un aveu. Ce jour-là, à Sebenikoro, dans la demeure du Chérif Ousmane Madani Haïdara, les derniers piliers moraux du pays ont tendu la main à un régime déjà enlisé. Le régime, lui, a répondu par le mépris, par le silence, par une humiliation froide. Et ce faisant, il a trahi non seulement ses promesses, mais aussi l’âme même du Mali. Une démarche patriotique sabotée Début août 2021, la transition malienne montre déjà des signes inquiétants : désorganisation, autoritarisme rampant, gestion clanique, opacité totale. Face à cela, Mahmoud Dicko, figure spirituelle influente mais non partisane, tente une approche originale : ni appel à la rue, ni pression politique, ni sermon accusateur. Il choisit le dialogue. Il réunit autour de lui les figures les plus respectées du paysage religieux et traditionnel malien : familles fondatrices, chrétiens, imams, pasteurs, chefs coutumiers. Ensemble, ils veulent parler au nom de la paix, dans un cadre neutre, solennel, sans aucune ambition de pouvoir. Juste proposer, apaiser, conseiller. Le 28 août, la rencontre a lieu à Sebenikoro. Deux heures d’échanges sincères, responsables, lucides. Une ligne commune est arrêtée : formuler des propositions constructives, dans un esprit de complémentarité avec les autorités. Pas d’opposition, pas de surenchère. Juste une volonté sincère d’aider le Mali à ne pas sombrer. Mais voilà : au sommet de l’État, cette main tendue est perçue comme un défi. Le mépris organisé du pouvoir Informé de la démarche dès ses débuts, le Premier ministre Choguel Kokalla Maïga choisit… de ne rien faire. Pire : lorsque les leaders religieux formalisent leur demande de rencontre, une réponse absurde leur est transmise, par le biais du Chérif. On exige une lettre écrite, officielle, adressée à la présidence. Une exigence grotesque, d’autant plus qu’aucune audience présidentielle ne suit jamais cette formalité. Ce que le régime inflige à Dicko et à ses pairs, c’est une mise à l’épreuve. Une infantilisation. Un test d’humiliation. Et pourtant, dans un souci d’apaisement, Dicko accepte cette humiliation. Il joue le jeu. Il fait rédiger la lettre. Il l’envoie. Il attend. Et reçoit… rien. Pas un mot. Pas un accusé de réception. Pas une fin de non-recevoir. Rien. Ce silence n’est pas neutre. C’est un message. Il dit : "Nous n’avons pas besoin de vous." Et en filigrane : "Nous ne voulons pas de témoins, encore moins de gardiens de la morale." Quand le pouvoir rejette les sages, c’est qu’il a peur Il faut le dire sans détour : si la transition malienne a ignoré cette initiative, ce n’est ni par oubli, ni par maladresse. C’est par peur. Parce que Mahmoud Dicko, quoi qu’on pense de ses idées, de ses prises de position passées, incarne une autorité non contrôlable. Il n’est pas militaire. Il n’a pas d’agenda électoral. Il ne dépend d’aucun budget d’État. Il n’a même pas de structure politique. Mais il parle. Et quand il parle, il est écouté. Voilà le vrai problème. Dicko incarne tout ce que la junte déteste : une légitimité horizontale, enracinée, incontrôlable. Une voix morale, populaire, non cooptée. Et surtout, un homme qui n’a pas besoin du pouvoir pour exister. Le régime veut des hommes dociles, encadrés, manipulables. Il veut des faux religieux de plateau télé, des patriotes de circonstance, des leaders fabriqués dans les cabinets. Pas des figures libres. Pas des consciences. Le silence comme stratégie d’humiliation Ne nous y trompons pas : ce silence n’est pas une absence de réponse. C’est une réponse. Et c’est la pire des réponses : celle qui cherche à détruire sans frapper, à humilier sans accuser, à effacer sans se compromettre. Car en ne répondant pas à la lettre, le pouvoir refuse non seulement de dialoguer, mais il refuse de reconnaître. Il nie l’existence même de l’initiative. Il nie la légitimité des figures qui l’ont portée. Il tente de les réduire à néant. C’est le comble du cynisme politique : se poser en gouvernement souverain, prétendre défendre les valeurs maliennes, tout en crachant à la figure des plus respectés représentants de ces mêmes valeurs. Dicko, encore une fois, choisit la dignité Face à cette violence symbolique, Dicko aurait pu crier à la trahison. Il aurait pu appeler ses fidèles à se mobiliser. Il aurait pu dénoncer la junte à grand renfort de fatwas politiques. Mais non. Il choisit la voie la plus désarmante : une cérémonie de prières. Il explique. Il raconte. Il témoigne. Il dit ce qui s’est passé, calmement, dignement. Et ce faisant, il révèle au peuple malien ce que le pouvoir voulait cacher : le refus du dialogue, le mépris de la société civile, le culte du silence autoritaire. Ce jour-là, les masques sont tombés. Et le régime, qui pensait humilier un homme, a en réalité démasqué sa propre faiblesse. Le vrai danger : l’isolement du pouvoir En refusant d’écouter Dicko, le régime n’a pas simplement tourné le dos à un homme. Il a fermé la porte à la société. Il a envoyé un signal clair à tous ceux qui, de bonne foi, voudraient contribuer à la sortie de crise : taisez-vous, ou partez. Et ce choix, qu’on ne s’y trompe pas, est lourd de conséquences. Car un pouvoir qui n’écoute plus, qui ne débat plus, qui ne dialogue plus, est un pouvoir qui s’effondre de l’intérieur. Lentement, mais sûrement. La transition malienne, déjà fragilisée par ses propres contradictions, s’est amputée d’un levier précieux : celui de la sagesse. Elle a confondu stabilité et contrôle, autorité et silence, unité et soumission. Mais aucun régime ne peut gouverner longtemps en piétinant ses propres références morales. Vers une junte sans garde-fous Ce rejet de la médiation religieuse marque une étape : le basculement de la transition vers une junte sans contre-pouvoirs. Après avoir marginalisé les partis, les syndicats, les médias, voici que les religieux sont eux aussi exclus. Le cercle se referme. Ce n’est plus une transition. C’est un régime. Avec ses dogmes, ses gardiens, ses tabous, et surtout son mépris des voix extérieures. Mais l’histoire du Mali, faut-il le rappeler, est pleine de ces régimes fermés qui ont fini balayés. Non par l’Occident. Non par l’ennemi. Mais par leur propre surdité. Le Mali ne se gouverne pas en silence Ce que cette affaire révèle, c’est un malaise profond. Un pouvoir qui refuse d’écouter n’est pas un pouvoir fort. C’est un pouvoir fragile, paranoïaque, replié. Un pouvoir incapable de se confronter à autre chose qu’à ses propres illusions. Dicko a été humilié. Mais il n’a jamais été vaincu. Car dans ce pays, la dignité est une force plus puissante que les galons. Et tant que des hommes comme lui continueront de parler, même sans être écoutés, le Mali ne sera pas entièrement perdu. Ce jour d’août 2021, à Sebenikoro, les autorités maliennes ont raté un rendez-vous avec l’Histoire. Et ce type de rendez-vous, dans les nations blessées comme la nôtre, ne se présente pas deux fois. Écrit par Sambou Sissoko.
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