
Le Méhari Post de Mohamed AG Ahmedou du MTRM
June 10, 2025 at 08:36 AM
LES VRAIS PATRIOTES SONT CEUX QUE LE RÉGIME VEUT FAIRE TAIRE...
Dans le Mali d’aujourd’hui, il y a deux catégories de citoyens : ceux qui prennent des risques pour dire ce qui ne va pas, et ceux qui sont grassement récompensés pour prétendre que tout va bien. Les premiers sont menacés, surveillés, calomniés. Les seconds sont décorés, promus, amplifiés. Pourtant, il faut le dire sans détour : les Maliens qui critiquent ce régime militaire rendent plus de service au pays que ceux qui sont payés pour applaudir ses dérives.
Cette vérité heurte. Elle dérange parce qu’elle brise le confort moral de ceux qui se drapent dans le drapeau national pour masquer leur lâcheté, leur cupidité ou leur aveuglement. Elle scandalise ceux qui confondent loyauté envers le pays et allégeance à des hommes en uniforme, comme si la nation malienne était la propriété d’un groupe d’officiers devenus politiciens. Pourtant, cette vérité mérite d’être martelée. Car c’est précisément en période de dérive autoritaire que la critique devient patriotique et l’adoration devient toxique.
Le régime militaire et l’illusion de l’unanimité
Depuis le coup d’État d’août 2020, reconduit par un autre en mai 2021, le Mali est dirigé par une junte qui a confisqué les institutions, suspendu les libertés démocratiques, et instauré un climat de peur. Sous couvert de "refondation" et de "souveraineté", elle a imposé le silence, criminalisé la dissidence et marginalisé toute pensée critique.
Mais ce pouvoir militaire ne tient pas uniquement par la force. Il tient aussi, et surtout, par le vacarme de ceux qui l’applaudissent. De cette armée de chroniqueurs, d’influenceurs, d’animateurs auto-proclamés journalistes, de griots numériques et de journalistes domestiqués qui se relaient chaque jour pour dire combien Assimi Goïta "aime" le Mali, combien le Gouvernement est courageux, combien l’armée est victorieuse, combien le peuple est heureux. Une symphonie de mensonges où le drame malien est maquillé en épopée glorieuse.
Or cette euphorie fabriquée est une insulte au réel. Pendant que les médias d’État organisent des émissions/interviews sur la grandeur retrouvée du Mali, les déplacés internes s’entassent dans la précarité, les zones rurales vivent sous la coupe de groupes armés, les écoles ferment, les soignants fuient, l’économie se délite, et l’avenir se rétrécit. Ceux qui osent le dire sont traités de “vendus”, “collabos de l’Occident”, "ennemis de la souveraineté", "5ème colonne". Mais ce sont eux qui disent ce que le pouvoir refuse d’entendre.
Le patriotisme, ce n’est pas la soumission
Le piège dans lequel beaucoup de Maliens tombent , parfois de bonne foi, est celui d’une confusion entre patriotisme et suivisme. Aimer son pays, ce n’est pas se taire quand il souffre ; ce n’est pas soutenir aveuglément ceux qui l’étranglent au nom de la "transition" ; ce n’est pas insulter ceux qui refusent l’unanimisme d’État. Le vrai patriotisme, c’est refuser que le pays meure dans le silence.
Dans tous les contextes autoritaires, les vrais patriotes sont d’abord ceux qui dérangent. Ce sont eux qui disent ce que personne ne veut entendre : que la transition n’a aucune boussole politique, que les résultats militaires sont douteux, que les alliances avec Wagner ou d'autres acteurs opaques ont un coût humain et stratégique, que la "souveraineté" proclamée est vide tant qu’elle ne s’accompagne pas d’un État de droit, d’institutions solides et d’un contrat social restauré.
Le Mali ne sera pas sauvé par les griots du pouvoir, mais par ceux qui osent dire non. Par ceux qui, sur les radios indépendantes, dans les associations civiles, dans les universités, dans les rues même, refusent de faire semblant. Chaque critique courageuse est une tentative de réveil national. Chaque silence complice est un clou de plus dans le cercueil de la République.
Les applaudisseurs professionnels : une nouvelle bourgeoisie de la peur
Il faut parler aussi de cette nouvelle caste qui prospère dans l’atmosphère délétère du régime militaire : les applaudisseurs professionnels. Ils ne croient pas vraiment en ce qu’ils défendent, mais ils y trouvent leur intérêt. Contrats publics, subventions, invitations officielles, postes dans des organes créés par décret... le régime les nourrit, et ils le lui rendent bien.
Cette bourgeoisie politique et médiatique est dangereuse non seulement parce qu’elle ment, mais surtout parce qu’elle neutralise l’opinion publique. En inondant l’espace médiatique de récits mensongers, elle rend illégitime toute parole dissidente. Elle formate les esprits, infantilise les citoyens, transforme la souveraineté en slogan creux et la refondation en incantation.
Ces gens-là sont les vrais saboteurs de la nation. Parce qu’ils savent que le régime est fragile, mais ils préfèrent qu’il s’effondre sur le peuple plutôt que sur eux.
Le silence des intellectuels : une trahison collective
Une autre responsabilité pèse lourdement : celle des intellectuels, des artistes, des universitaires, des leaders religieux, souvent devenus spectateurs muets d’une tragédie politique qu’ils devraient éclairer. Beaucoup se taisent par prudence, d’autres par opportunisme, certains par peur. Mais le résultat est le même : l’espace critique se rétrécit, et avec lui l’avenir du Mali.
Quand les voix lucides se taisent, ce sont les voix toxiques qui prospèrent. Le rôle d’un intellectuel n’est pas de caresser le pouvoir dans le sens du treillis, mais d’éclairer le peuple, de poser des questions gênantes, de défendre l’éthique publique contre la dérive autoritaire. Leur absence est une désertion morale.
L’avenir appartient à ceux qui refusent de se taire
Il n’y a pas de miracle : un pays ne se reconstruit pas par la soumission, mais par la conscience. Par la capacité de ses citoyens à regarder le réel en face, à identifier les failles du pouvoir, à exiger des comptes, à défendre les droits, même sous la menace. C’est cela, l’essence de la démocratie. Et même en transition, un régime n’est pas au-dessus de la critique.
Le régime militaire passera, comme tous les régimes. Mais ce que nous construisons ou détruisons aujourd’hui (notre rapport à la vérité, à la liberté, à la dignité) restera. Les Maliens qui critiquent, aujourd’hui, ne sont pas les ennemis du pays : ils en sont les sentinelles. Et chaque parole qu’ils osent prononcer est une pierre posée sur le chemin d’un renouveau possible.
Car si nous devons choisir entre le silence confortable de la servitude et la parole risquée de la liberté, alors choisissons la liberté. Même seule. Même menacée. C’est elle qui fera tenir le Mali debout.

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