Le Méhari Post de Mohamed AG Ahmedou du MTRM
Le Méhari Post de Mohamed AG Ahmedou du MTRM
June 10, 2025 at 08:47 AM
Une armée sacrifiée : quand la guerre profite plus à l’élite qu’au soldat malien Il n’y a pas de honte plus grande, pas de trahison plus sourde que celle que la hiérarchie militaire inflige aujourd’hui à ses soldats. Une trahison menée non par un ennemi étranger ou un groupe armé, mais par les propres mains de ceux qui, de Bamako, usurpent l’uniforme et s’enrichissent sur le dos des cadavres adolescents tombés dans le désert. Car il faut oser le dire, l’écrire, le crier : la guerre au Mali n’est plus une cause nationale, mais un commerce bureaucratique, une rente militaire, un théâtre de prestige pour officiers reconvertis en gestionnaires de privilèges. Une armée de façade, un État de caserne Il suffit d’ouvrir les yeux pour comprendre que l’armée malienne, jadis perçue comme colonne vertébrale de la République, est aujourd’hui devenue l'armature d’un régime militaro-bureaucratique, plus préoccupé par ses parts dans les marchés publics que par la sécurité nationale. Tous les ministères, ou presque, sont aujourd’hui dirigés par des officiers. Et ce ne sont pas des nominations d’exception, mais une stratégie de verrouillage de l’appareil d’État. Les chargés de mission, les directeurs nationaux, les conseillers spéciaux, les membres du CNT, les gouverneurs, les préfets, les sous-préfets : toute la pyramide administrative du pays est phagocytée par les forces armées. Cette dérive n’a rien d’innocent. Il ne s’agit pas d’un hasard de compétence, mais d’un calcul politique : le pouvoir se protège en distribuant les postes comme des grades, en militarisant la bureaucratie pour mieux contrôler les leviers de la rente publique. Une caserne géante, où l’uniforme ne sert plus à défendre, mais à consommer. Où les hauts gradés se battent non sur les lignes de front, mais dans les couloirs des ministères et les salons feutrés des appels d’offres. La guerre devient alors non un sacrifice, mais une aubaine pour ceux qui en contrôlent la narration. Des enfants envoyés au front Et pendant que les colonels président les conseils d’administration, que les commandants gèrent des directions générales, qui est au front ? Qui tient les positions de Dioura, Boulkessi, Mondoro, Kidal, Tessalit ou Léré ? Ce ne sont plus des soldats d’élite. Ce sont des enfants. Nos enfants. Des adolescents recrutés à la hâte, formés à peine trois mois, mal nourris, mal équipés, sans expérience, jetés en première ligne comme chair à canon pour défendre des positions indéfendables. Les vidéos qui circulent sur les réseaux sociaux, celles qu’on tente d’effacer sous prétexte de préserver le « moral des troupes », montrent des jeunes prisonniers, terrifiés, hagards, parfois blessés, à peine majeurs. Voilà donc l’armée malienne ? Voilà donc le mur qui protège notre souveraineté ? Non. C’est une armée de substitution, une armée-piège, envoyée mourir pour cacher les compromissions du sommet. Une guerre rentable : le marché du sang Ne nous y trompons pas. Ce conflit n’est pas seulement tragique. Il est hautement lucratif pour certains. Le chaos est devenu une ressource politique. Plus il y a de guerre, plus il y a de budget. Plus il y a d’attaques, plus il y a de marchés publics de sécurité, plus il y a de prétextes pour maintenir un régime d’exception. C’est tout le paradoxe : les attaques terroristes ne sont plus des échecs, ce sont des opportunités. Un bataillon massacré ? C’est un appel d’air pour renouveler les contrats d’armement. Une base tombée ? C’est une occasion pour acheter du matériel, réclamer plus de fonds, signer des marchés opaques. Les morts ne sont plus pleurés, ils sont comptabilisés. Les zones rouges deviennent des zones de profit. Et dans cette économie de guerre, ce ne sont ni les jihadistes ni les trafiquants qui s’enrichissent le plus. Ce sont nos élites militaires et civiles, désormais fusionnées dans une même logique d’accaparement. Le terrorisme est leur fonds de commerce. La sécurité est leur produit. Le mensonge est leur méthode. Où est passée la mission républicaine de l’armée ? Mais alors, où est la République ? Où est cette mission noble, sacrée, d’assurer la sécurité des biens et des personnes ? Où est la verticalité morale d’un soldat prêt à se sacrifier pour son peuple ? Elle est ensevelie sous les tonnes de rapports creux, de communiqués auto-congratulatoires et de discours militaristes creux. La vérité, c’est que nous n’avons plus une armée de défense. Nous avons une armée de représentation. Une armée qui parade à Bamako pendant que le pays brûle. Une armée de généraux en terrain conquis, qui regardent le reste du territoire comme une simple variable de leur ascension personnelle. Une armée qui n’écoute plus sa base, qui ne répond plus au peuple, mais aux intérêts de ceux qui la contrôlent. Le sommet militaire malien ne sert plus la nation. Il sert sa propre survie. Une société complices par lâcheté ou par peur Mais cette trahison aurait-elle été possible sans notre silence collectif ? Sans cette lâcheté déguisée en prudence, sans ce fatalisme qui nous fait avaler chaque nouvelle humiliation comme une fatalité ? On nous dit : « Ne critiquez pas l’armée, vous affaiblissez le moral des troupes. » Mais quelles troupes ? Les véritables soldats sont déjà abandonnés. Ceux qui restent sont trop souvent sacrifiés ou manipulés. Critiquer l’instrumentalisation de l’armée, ce n’est pas trahir la nation. C’est au contraire lui rendre justice. C’est refuser que le nom de nos martyrs soit utilisé pour justifier l’accaparement du pouvoir par une poignée de privilégiés. C’est redonner à l’armée malienne son honneur, en la libérant de ceux qui l’ont confisquée pour mieux servir leurs intérêts. Il faut rendre l’armée au peuple Ce qui doit changer, ce n’est pas seulement la stratégie militaire. C’est le rapport entre l’armée et la nation. Il faut démilitariser l’État pour remilitariser la défense. Il faut sortir l’uniforme des bureaux climatisés pour le remettre là où il est utile : sur les lignes de front. Il faut que les Colonels dirigent des bataillons, pas des ministères. Que les capitaines assurent des opérations, pas des budgets. Que les sous-officiers forment des jeunes, au lieu de gérer des bureaux administratifs. L’armée doit redevenir un outil républicain, pas un ascenseur social pour officiers opportunistes. Et cela commence par un changement radical de culture : mettre fin à l’impunité de ceux qui utilisent leur grade pour gouverner sans légitimité électorale. Mettre fin à la militarisation de la fonction publique. Mettre fin à la transformation des institutions civiles en antichambres de promotions militaires. Un appel à la rupture Ce système est à bout de souffle. Il ne produit plus de sécurité. Il produit de la colère, du ressentiment, de l’instabilité. Tant que l’armée servira d’alibi au pouvoir au lieu de servir la République, le Mali ne connaîtra ni paix, ni souveraineté réelle. Tant que les vrais soldats seront enterrés dans l’oubli pendant que les faux soldats paradent à Bamako, la guerre continuera. Il est temps de dire stop. Il est temps d’exiger que les soldats, les vrais, soient honorés non par des discours vides, mais par des actes concrets. Il est temps de demander des comptes à ceux qui, au nom de la guerre, ont transformé l’État en un business de sécurité. Il est temps de rendre l’armée au peuple, et le peuple à lui-même. Écrit par Sambou Sissoko.
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