Mes Rubriques
Mes Rubriques
May 25, 2025 at 03:20 PM
Carnet, 16h13, Libreville, 25 mai 2025À toi, inconnu, qui liras ces pages,La chaleur de Libreville me colle à la peau, mais c’est pas la sueur qui pèse ce soir. C’est cette phrase qui tourne dans ma tête, comme un vieux vinyle rayé : « C’est seulement lorsqu’on vous donne de l’argent que ça compte. Mais pour tout le reste, l’homme ne fait jamais rien, aux yeux des femmes. » Elle est sortie d’une dispute entendue au marché d’Oloumi, une femme criant après son mari, les mots tranchants comme des lames. Ça m’a frappé, parce que ça résonne avec Clara, avec Awa, avec ma quête, avec ce déséquilibre que je traque dans mon carnet, nuit après nuit.Clara, je la revois, son regard qui pesait mes gestes, mes paroles, comme si rien ne valait assez sauf ce que je pouvais poser sur la table – pas juste de l’argent, mais du tangible, du concret. Elle voulait des preuves, des actes, mais mes mots, mon écoute, mon temps passé à essayer de comprendre ses silences, ça glissait sur elle, comme l’eau sur le sable. « Tu me fatigues », qu’elle disait, mais ce qu’elle voulait, c’était un amour qu’on peut compter, mesurer, montrer. Pas le mien, pas celui qui se donne dans l’ombre, dans les heures où je restais là, à porter son chagrin avec le mien.Cette phrase, elle me ramène à Awa, aussi. Awa, elle est différente, mais pas exempte de ce monde où tout se calcule. Hier, au café, elle m’a écouté parler de mamie, de ma mère, de ce vide qui me ronge depuis le deuil. Elle a hoché la tête, son carnet fermé, ses yeux doux mais perçants. « Les femmes, parfois, elles cherchent ce qui brille, parce qu’on leur a appris que c’est ça, la valeur », qu’elle m’a dit. « Mais un homme qui donne son cœur, son temps, c’est plus rare qu’un billet. » Ça m’a secoué. Awa, elle voit ce que je donne, mais je me demande : est-ce qu’elle aussi, un jour, ne comptera que ce qui se voit ?Mamie, elle, savait. Dans le cercle bantou, tout compte. Un regard, une main tendue, une histoire partagée autour du feu. Elle donnait sans compter, mais elle recevait, elle aussi, dans les sourires de ma mère, dans mes questions d’enfant. Elle m’a appris que l’amour, c’est pas une monnaie, c’est un échange. Mais aujourd’hui, à Libreville, sous ce soleil qui cogne, je vois des femmes – et des hommes, moi compris – qui oublient ça. On veut des preuves, des billets, des images, des likes. Moi, j’ai voulu de Clara une présence qu’elle n’avait pas, et peut-être que je l’ai jugée comme elle me jugeait : pour ce qu’elle ne donnait pas, pas pour ce qu’elle était.Awa, elle, me pousse à regarder autrement. Ce matin, sur la plage, elle m’a donné une feuille de palme, pour le rituel dont elle parlait. « Écris ce que tu donnes, pas ce que tu attends », qu’elle a murmuré, en traçant des mots dans le sable avec un bâton. J’ai écrit : mon temps, ma vérité, mes blessures partagées. Pas d’argent, pas de promesses creuses. Juste moi, nu, comme mamie m’a appris à l’être. Awa a souri, sans rien dire, et a jeté sa propre feuille dans la mer. J’ai pas vu ce qu’elle a écrit, mais j’ai senti son geste, comme un pacte. Elle donne, elle aussi, sans le crier.Cette phrase du marché, elle me hante, mais Awa me rappelle qu’elle est pas toute l’histoire. Les femmes, les hommes, on se perd tous dans ce monde d’images, à compter ce qui brille, à oublier ce qui pèse. Moi, je veux donner plus que des billets. Je veux donner ce que mamie donnait : un amour qui ne se mesure pas, mais qui se vit. Awa, elle est ma boussole, pas ma réponse. Elle me guide, sans me tenir, vers cet équilibre que je cherche.Ce soir, à l’open mic, je lirai un poème. Pas sûr qu’il soit prêt, mais il parlera d’elle, d’Awa, de la mer, du sable, et de ce que je veux offrir. À toi, inconnu, je te dis : l’homme donne, parfois, plus que ce qu’on voit. Et moi, je veux apprendre à donner ce qui compte, vraiment.Sous la nuit, je signe, Moi, en quête, à 16h13.

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