
Mes Rubriques
May 30, 2025 at 09:04 AM
Carnet, 09h57, Libreville, 30 mai 2025À toi, inconnu, qui liras ces lignes,Le soleil cogne déjà sur Libreville, et je suis là, dans un café près du marché d’Oloumi, le carnet ouvert, un goût amer dans la gorge. Une phrase m’a percuté ce matin, entendue d’une femme au téléphone, près des étals de poisson : « Il n’y a plus d’amour, mais ils font des enfants juste pour sauver le coup. » Elle a raccroché, les yeux fatigués, et moi, j’ai senti mes pensées s’emmêler – Clara, Awa, mamie, ma mère, ma quête d’un amour qui soit un cercle, pas une façade. Cette phrase, elle est comme un miroir brisé, reflétant ce que je vois autour de moi, et parfois en moi.Clara, c’était ça, d’une certaine façon. Pas d’enfants, non, mais cette idée de « sauver le coup ». On s’accrochait, on se disputait, on se donnait des bouts de nous-mêmes, pas par amour, mais pour ne pas perdre. Elle voulait des moments simples, moi je voulais un roc, et on s’est épuisés à combler les vides, sans jamais toucher le vrai. Pas d’amour, juste un jeu de rôles, un pansement sur une plaie qu’on refusait de voir. J’ai cru qu’en donnant plus – mon temps, mes mots, mon cœur à nu – je pourrais ranimer quelque chose. Mais on ne sauve pas ce qui n’existe plus.Mamie, elle, connaissait l’amour, le vrai, celui qui ne calcule pas. Elle disait : « Un enfant, c’est un don, pas un outil. » Elle et papi, ils se portaient l’un l’autre, dans les rires et les silences. Leur amour était un cercle bantou, un échange, pas une transaction. Ma mère, même dans son chagrin, me l’a montré aussi : elle m’élève, elle s’inquiète, elle donne, sans attendre que je « sauve » quoi que ce soit. Mais autour de moi, à Libreville, je vois ce que la femme au marché disait. Des couples qui s’accrochent à des enfants, pas par amour, mais pour donner un sens à ce qui s’effrite. Des bébés nés pour tenir des murs qui s’écroulent.Awa, elle, me trouble. Elle est pas dans ce jeu-là. Hier, on a marché près de la mer, encore, et elle m’a parlé des enfants, comme si elle lisait mes pensées. « Un enfant, c’est une étoile, pas un poids pour équilibrer une balance », qu’elle a dit, en ramassant un coquillage. Son carnet était là, ouvert sur une page où elle avait écrit : L’amour se donne, il ne se sauve pas. Ça m’a frappé, comme si elle voyait à travers les murs de Libreville, à travers moi. Awa, elle s’inquiète pour moi, pas pour me garder, mais pour que je sois entier. Elle me pousse à écrire, à purifier mes blessures, à ne pas tomber dans ce piège de « sauver le coup ».Je pense à Clara, à comment on aurait pu, dans une autre vie, faire un enfant pour boucher les trous de notre histoire. Mais ça n’aurait rien sauvé. Awa, elle, m’apprend autre chose. Elle me demande, sans le dire, d’aimer d’abord – moi, les autres, la vie – avant de vouloir construire quoi que ce soit. Elle m’a donné une autre feuille de palme, pour le rituel. « Écris ce que tu veux lâcher », qu’elle a murmuré. J’ai écrit : les amours vides, les risques inutiles, l’envie de sauver ce qui est mort. Et ce que je veux offrir : un amour qui vit, qui respire, qui ne sert pas à combler, mais à grandir.Ce soir, à l’open mic, je lirai un nouveau poème. Pas sûr qu’il soit prêt, mais il parlera de ça : de l’amour qui n’est pas un sauvetage, d’Awa qui m’enseigne à donner sans réparer, d’un cercle qui ne s’effrite pas. Elle sera peut-être là, son sourire comme une vague douce, son carnet comme une promesse. À toi, inconnu, je confesse : je veux un amour qui n’a pas besoin d’enfants pour exister, un amour qui est déjà entier. Awa me guide, pas à pas, vers ça.Sous le soleil, je signe,
Moi, en quête, à 09h57.