Mes Rubriques
Mes Rubriques
June 5, 2025 at 12:29 PM
Chapitre 1 : L’Étreinte Moite de Libreville (Version Révisée) La pluie avait enfin daigné cesser son vacarme sur les tôles ondulées des quartiers voisins, mais Libreville, elle, ne relâchait pas son étreinte. L’humidité, épaisse comme un suaire moite, s’infiltrait partout, collant le fin tissu de la robe de deuil à la peau de Clara, soulignant la courbe de ses hanches, la naissance de ses seins. Une caresse obscène, presque, qui semblait vouloir palper les secrets brûlants qu’elle dissimulait sous le vernis impeccable de la jeune veuve éplorée. Depuis la vaste baie vitrée de son appartement dominant la mer, dans ce quartier huppé de la Batterie IV où l’argent tentait d’acheter un peu de fraîcheur, elle observait les frangipaniers du jardin luxuriant. Leurs fleurs d’un blanc virginal exhalaient un parfum lourd, capiteux, presque charnel dans la touffeur stagnante de cette fin d’après-midi. Un mois. Trente et un jours exactement, qu’elle comptait parfois avec une précision morbide. Trente et un jours que Nikita n’était plus qu’une photographie souriante sur la cheminée, un fantôme dans les draps de soie froissés de ce lit immense où leurs corps avaient connu la fureur, la tendresse, et l’abîme grandissant de l’incompréhension.Clara porta la coupe de champagne Ruinart à ses lèvres pulpeuses, légèrement entrouvertes. Les bulles, fines et agressives, pétillèrent sur sa langue, un contraste presque comique avec la torpeur calculée de ses gestes. Le deuil, songea-t-elle en laissant une bulle éclater contre son palais, était une mascarade aux règles absurdes. Il exigeait le noir, les murmures compatissants, les yeux rougis (qu’un peu d’oignon aidait à parfaire, au besoin). Mais aucune convention sociale ne pouvait éteindre l’incendie qui couvait dans ses entrailles, cette faim insatiable, ce besoin viscéral de sentir la friction d’une peau contre la sienne, une démangeaison qui l’avait tourmentée bien avant que le sang de Nikita ne vienne tacher les tapis persans du salon.Un frisson électrique lui parcourut l’échine, réveillant des zones érogènes que le souvenir seul suffisait à enflammer. Dan. Le prénom claqua dans son esprit comme un coup de fouet. L’image revint, nette, crue : leurs corps nus et luisants de sueur dans la lumière tamisée d’une chambre d’hôtel du Méridien, l’odeur âcre de leur étreinte se mêlant à celle de la climatisation poussée à fond. C’était un mois à peine avant le mariage, une trahison préméditée, un défi lancé à la face de cette vie rangée qu’on attendait d’elle. La confrontation avec Nikita avait été brutale. Ses yeux, habituellement si doux, s’étaient emplis d’une douleur sauvage, d’une fureur froide qui l’avait terrifiée et, elle devait l’admettre dans le secret de ses pensées les plus inavouables, étrangement excitée. L’orage avait failli tout emporter. Puis, la réconciliation. Des larmes, des promesses gravées dans le marbre de l’hypocrisie, un pardon qu’elle avait arraché autant qu’il le lui avait accordé. Le mariage avait été somptueux, une façade parfaite sous le soleil équatorial, un défi aux rumeurs qui bruissaient déjà dans leur cercle.Mais la fidélité… Pour Clara, ce mot n’avait jamais eu de sens réel. C’était une contrainte sociale, une chaîne invisible qu’elle s’était amusée à faire tinter, puis à briser, encore et encore. L’appétit, jamais rassasié, avait trouvé d’autres proies. Ce voisin d’abord, rencontré lors d’une de ces soirées entre femmes où l’ennui bourgeois se noyait dans le champagne rosé. Un regard, un frôlement, et l’affaire était entendue. Leurs rendez-vous clandestins étaient devenus sa bouffée d’oxygène, des parenthèses fiévreuses où le danger du flagrant délit ajoutait un piment exquis à la jouissance. Puis Renaud, le collègue ambitieux et sans scrupules, dont les mains expertes avaient su trouver le chemin de son plaisir dans l’ascenseur désert ou derrière la porte verrouillée de son bureau. Avec lui, pas de sentiments, juste l’urgence brute du désir, une transaction de corps consentie et mutuellement satisfaisante.Elle vida sa coupe, sentant l’alcool réchauffer son ventre, attiser la flamme. Cette soif inextinguible, Nikita n’avait jamais pu, ou voulu, la comprendre. Son amour à lui était stable, rassurant, presque paternel parfois. Terriblement ennuyeux. Était-ce sa faute à elle, cette incapacité maladive à se satisfaire d’un seul homme, ce besoin irrépressible de se voir désirée, possédée, comme pour se prouver qu’elle existait au-delà de son rôle d’épouse modèle ? Ou était-ce simplement sa nature, une nature prédatrice qu’elle avait trop longtemps tenté de refouler ?Le vibreur du téléphone sur la table basse en bois précieux la tira de ses pensées. Un message cryptique. Une heure. Une adresse discrète du côté de Louis. Le voisin. Son pouls s’accéléra, une chaleur monta à ses joues. La veuve en elle protesta faiblement, une voix lointaine et ridicule. Mais la femme, la vraie Clara, celle qui vibrait au rythme de ses pulsions, était déjà prête. Sentir la vie, la vraie, celle qui brûle et qui consume, même si elle devait pour cela danser sur la tombe encore fraîche de son mari.Elle se leva, sa démarche ondulante et parfaitement maîtrisée. Un passage devant le grand miroir vénitien. Le reflet lui renvoya l’image d’une femme sublime dans sa douleur ostentatoire. Les cernes sous les yeux ajoutaient une touche de fragilité tragique qui ne manquait pas de séduire. Mais le regard… Dans ses prunelles sombres brillait une lueur dure, presque métallique. Une détermination froide. Elle attrapa son sac griffé, les clés de la berline allemande. L’image de Nikita, gisant dans une mare de sang, son visage figé dans une expression d’horreur et de surprise, traversa son esprit. Une image qu’elle repoussait souvent, mais qui revenait, insistante. Qui avait pu faire ça ? La police piétinait. Un cambriolage qui aurait mal tourné ? Peu probable, rien n’avait été volé. Une vengeance liée aux affaires troubles de Nikita ? Possible. Ou… autre chose. Quelque chose de plus proche, de plus intime. Un sourire fugace, presque imperceptible, étira ses lèvres. L’incertitude était une arme à double tranchant, mais elle savait aussi s’en servir.Elle sortit dans la moiteur du crépuscule librevillois. Le parfum des frangipaniers lui parut soudain moins écœurant, presque complice. Ce soir, elle ne chercherait pas refuge. Elle irait prendre ce qui lui était dû, ce plaisir brut et nécessaire qui était sa seule véritable boussole. L’heure des comptes viendrait bien assez tôt. Pour l’instant, la nuit lui appartenait. Et la nuit, à Libreville, tous les secrets étaient permis, même les plus sanglants.

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