
Le Méhari Post de Mohamed AG Ahmedou du MTRM
June 12, 2025 at 05:04 PM
Kati contre Kidal : la guerre des mirages coloniaux
Kati et Kidal ne sont pas des bastions de la souveraineté malienne. Ce sont des fictions administratives héritées de la colonisation, des artefacts de la géographie impériale française. L’une, Kati, fut le centre militaire de la répression coloniale ; l’autre, Kidal, une invention post-indépendance pour fragmenter et surveiller les populations touarègues dans le Nord désertique. Pourtant, ce sont ces deux lieux que l’histoire contemporaine malienne érige aujourd’hui comme symboles antagonistes : l’un comme cœur du pouvoir, l’autre comme bastion à reconquérir. Cette opposition est non seulement absurde mais tragique.
La junte malienne, embusquée à Kati, prétend restaurer l’unité nationale en exhibant la « reconquête » de Kidal. Mais quelle unité peut naître d’un théâtre d’ombres où deux créations coloniales s’affrontent au nom d’un État qui n’a jamais su panser ses fractures internes ? L’obsession militariste pour Kidal ne répare rien : elle déplace la guerre au cœur même du récit national.
Il est ironique, voire cynique, que les militaires maliens, installés dans la ville qui servit jadis de garnison coloniale pour les expéditions contre les résistances africaines, se présentent aujourd’hui comme les libérateurs du Mali. Kati n’a jamais été un lieu d’émancipation. Elle est l’incarnation du pouvoir armé, du silence imposé, de la centralisation brutale. Et désormais, elle rêve de vaincre Kidal comme on efface une tache sur la carte.
Mais Kidal n’est pas une tache : c’est un symptôme. Le symptôme d’un État qui n’a jamais su intégrer ses marges autrement que par la force ou l’abandon. Croire qu’on résoudra la question de Kidal par les armes, c’est ignorer délibérément les leçons de l’histoire. Ce n’est pas la ville qu’il faut « reconquérir », c’est la confiance des peuples qui y vivent, leur droit à exister dans un État qui ne les méprise pas.
En exhibant Kidal comme un trophée, la junte malienne confirme son impasse stratégique : elle ne gouverne pas, elle parade. Elle n’unifie pas, elle militarise. Et en glorifiant la reconquête d’un mirage colonial, elle prépare les prochaines explosions : rébellions, radicalisations, ressentiments.
Le Mali n’a pas besoin d’une guerre entre Kati et Kidal. Il a besoin d’une rupture radicale avec ses fondations coloniales. Cela implique de repenser non seulement les territoires mais aussi l’imaginaire politique : sortir des casernes, cesser de penser l’État comme une forteresse, et inventer enfin une souveraineté qui ne soit pas une vengeance.
