
Le Méhari Post de Mohamed AG Ahmedou du MTRM
June 12, 2025 at 05:08 PM
Quand le JNIM appelle à un "gouvernement légitime" : l’échec mis à nu du régime d’Assimi Goïta
L’histoire retiendra peut-être que ce n’est pas une offensive armée qui a le plus ébranlé le pouvoir d’Assimi Goïta, mais une phrase, un slogan, une déclaration politique. Le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM), dirigé par Iyad Ag Ghaly, vient d'appeler à la formation d’un "gouvernement légitime" au Mali. Un terme simple, presque banal dans la langue du pouvoir. Mais dans ce contexte précis, il sonne comme un glas : le glas d’un régime qui a confondu prise de pouvoir et exercice du pouvoir, communication et gouvernance, rhétorique souverainiste et légitimité réelle.
Ce que le JNIM dit ici, derrière les mots, est clair : KATI est illégitime. Et dans la bouche d’un groupe terroriste, cette dénonciation devient une tentative assumée de conquête de l’espace politique et symbolique, pas seulement militaire. Face à une junte qui a échoué à pacifier le pays, à reconstruire l’État et à redonner l’espoir, le terrorisme se pare du langage de la souveraineté. Et c’est précisément là que réside le danger.
Commençons par poser les termes clairement : le JNIM n’est pas un simple groupe armé terroriste. Il est aujourd’hui un acteur politico-militaire, doté d’une stratégie cohérente, d’un discours ancré dans les failles du système malien, et d’une légitimité de fait dans plusieurs régions du pays où l’État est absent.
En appelant à un "gouvernement légitime", Iyad Ag Ghaly ne fait pas que dénoncer le régime militaire ; il se positionne comme une alternative. Il suggère que le pouvoir actuel ne représente pas le peuple malien, qu’il est usurpateur, incapable de protéger ou d’unir, et qu’il est donc temps d’imaginer une autre forme de gouvernance.
Ce que cette déclaration révèle, c’est que le JNIM ne se contente plus de saboter l’État malien : il veut le remplacer. Il propose une vision, certes théocratique et rétrograde, mais structurée. Dans un pays en crise profonde, cela peut suffire à séduire certains segments de la population, ou du moins à susciter une forme de neutralité passive, ce qui est déjà une victoire.
Depuis son arrivée au pouvoir en août 2020, puis son coup de force contre ses propres partenaires civils en mai 2021, Assimi Goïta a installé un régime opaque, autoritaire et militarisé, qui repose moins sur une vision que sur une logique de contrôle. Sous couvert de "refondation", les militaires ont instauré une gestion solitaire de la crise malienne, réduisant la parole publique à la propagande et les critiques à de la trahison.
Mais ce vernis de puissance s’est fissuré. Les attaques terroristes se multiplient, les convois militaires tombent les uns après les autres, les écoles ferment dans plusieurs localités du pays, les déplacés se comptent par centaines de milliers, et les régions entières échappent à toute autorité. Le départ de la MINUSMA, la marginalisation des partenaires internationaux, et l’alignement aveugle sur le groupe Wagner n’ont pas renforcé la souveraineté nationale. Ils l’ont désarmée.
L’appel du JNIM vient donc combler un vide : celui d’un pouvoir déconnecté de la réalité sociale et territoriale du pays. Un pouvoir qui parle à lui-même, dans les salons climatisés de Bamako, pendant que le pays profond survit dans l’abandon, la peur et le silence.
Ce que le JNIM espère, et ce qui est plausible, c’est la convergence des mécontentements. Non pas une alliance explicite entre islamistes et autres groupes armés, ou même entre religieux radicaux et acteurs communautaires, mais une logique d’opportunisme mutuel : "l’ennemi de mon ennemi est mon allié".
De nombreux segments de la société malienne peuvent être tentés par cette recomposition :
● Les populations rurales du centre et du nord, lassées des promesses non tenues, confrontées à l’arbitraire militaire ou laissées à la merci des milices.
● Les leaders communautaires frustrés par l’abandon de l’accord d’Alger et les trahisons répétées de l’État central.
● Certains cercles religieux conservateurs, qui voient d’un bon œil un discours islamiste plus "pur" face à la corruption du pouvoir.
● Des ex-rebelles ou autonomistes regroupés au sein du FLA (Front de Libération de l’Azawad) en quête d’un levier face à un régime qui les marginalise ou les combat sans stratégie claire.
En appelant à un gouvernement légitime, le JNIM ne cherche pas une adhésion idéologique à son projet islamiste, mais une base d’insatisfaction nationale suffisante pour provoquer une fracture systémique. Et à ce jeu, il a compris que le régime d’Assimi Goïta était son meilleur allié involontaire.
Le gouvernement malien affirme depuis trois ans qu’il est "en guerre contre le terrorisme". Mais cette guerre n’a pas d’objectif clair, pas de sortie stratégique, pas de calendrier. Et surtout, elle n’est pas menée contre le bon ennemi.
Le pouvoir combat les groupes djihadistes, certes. Mais il réprime aussi les voix critiques, instrumentalise l’armée comme une force d’ordre politique, et utilise le drapeau pour camoufler l’absence de projet national. Résultat : la violence militaire devient une fin en soi, sans horizon de paix ni de justice.
Iyad Ag Ghaly, lui, a tout le temps. Son organisation est fluide, enracinée, capable de se replier, de frapper, de négocier, de réapparaître. Le JNIM sait que la guerre d’usure finira par briser un État central sans colonne vertébrale, où même les soldats meurent pour un pouvoir qui les méprise.
Le message du JNIM est clair : "Vous ne pouvez pas nous vaincre, alors rejoignez-nous ou laissez-nous gouverner ceux que vous avez abandonnés."
La guerre actuelle n’est pas qu’une guerre de kalachnikovs. C’est une guerre de récits. Une guerre de légitimité. Une guerre de présence.
Aujourd’hui, le pouvoir militaire a un discours. Le JNIM a une présence. Et entre les deux, le peuple malien est prisonnier d’une double trahison : celle d’un État qui ment, et celle d’un projet islamiste qui instrumentalise sa souffrance.
Mais ce qui est plus grave encore, c’est l’idée, de plus en plus répandue, que personne ne représente vraiment le Mali. Ni les militaires, ni les anciens partis, ni les groupes armés, ni les islamistes. Le pays est orphelin de projet, de voix, d’espoir.
C’est là que l’appel du JNIM devient le plus dangereux : il veut incarner une réponse à cette absence, un projet totalisant, brutal certes, mais compréhensible pour ceux qui n’ont plus rien à attendre de l’ordre existant.
Le régime d’Assimi Goïta peut bien dénoncer cet appel comme une manœuvre d’un groupe terroriste. Mais cette réponse ne suffira pas. Car le problème, ce n’est pas seulement le JNIM. C’est le vide dans lequel il prospère.
Un vide d’État. Un vide de confiance. Un vide d’institutions. Un vide de justice.
Assimi Goïta n’a pas hérité d’un pays en paix. Mais il a aggravé sa fragmentation en militarisant le pouvoir, en fermant l’espace civique, en trahissant ses promesses de refondation. Aujourd’hui, il n’est plus porteur d’un projet de libération, mais gardien d’une illusion.
Si l’État malien veut éviter la désintégration, il doit sortir de la logique du mépris, du mensonge et de la répression, et construire enfin une véritable souveraineté populaire. Cela suppose une transition réelle, pas une confiscation militaire du destin national.
Le JNIM vient de lancer un défi politique majeur à KATI. En appelant à un "gouvernement légitime", il ne cherche pas la paix. Il cherche la capitulation. Non pas celle des armes, mais celle de la foi dans l’État malien.
Ce message doit être combattu. Mais pas par des communiqués militaires ou des slogans creux. Il doit être combattu par une reprise en main du projet national malien, par une refondation réelle, inclusive, courageuse et audacieuse.
Car si le pouvoir continue de jouer à la souveraineté tout en perdant le pays, d’autres, plus radicaux, plus cyniques, plus déterminés, se chargeront de remplir le vide.
Et ce jour-là, ce ne sera plus seulement le régime d’Assimi Goïta qui tombera. Ce sera l’idée même d’un Mali uni, libre et démocratique.

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