
Le Méhari Post de Mohamed AG Ahmedou du MTRM
June 12, 2025 at 07:06 PM
Africa Corps: Wagner est mort, vive Wagner !
Quand un cadavre pue trop, on l’enterre. Quand il est utile, on l’habille, on le parfume, et on le promène à nouveau en public. C’est exactement ce que la Russie vient de faire avec le groupe Wagner, recyclé, restructuré et rebaptisé sous un nom faussement neutre : Africa Corps. Cette nouvelle entité n’est rien d’autre que la réincarnation militaro-bureaucratique d’une milice criminelle devenue gênante, mais trop stratégique pour être abandonnée.
Alors que certains gouvernements africains crient à la "coopération militaire gagnant-gagnant" avec ce corps expéditionnaire russe, il est urgent de mettre les mots justes sur ce qu’ils acceptent de légitimer : un groupe mercenaire d’État, sans responsabilité politique, à peine différent des barbouzes de Wagner, mais avec des écussons un peu plus reluisants.
Une opération cosmétique de « dés-Wagnerisation »
Après la mort spectaculaire d’Evgueni Prigojine en août 2023, suite à une mutinerie et un mystérieux crash d’avion, beaucoup avaient cru à la fin de l’ère Wagner. Grave erreur. Le Kremlin a réagi avec la froideur d’un chirurgien : neutraliser le patron, récupérer les actifs, absorber les hommes, digérer les missions, et surtout… changer le nom. Ce qu’on appelle désormais « Africa Corps » est une opération cosmétique, une simple reconfiguration de façade destinée à éviter les sanctions occidentales, tout en conservant l’ADN wagnérien : violence, impunité, opacité.
L’Africa Corps n’a rien d’un simple détachement militaire régulier. Il agit en dehors de tout mandat international, signe des accords bilatéraux opaques avec des régimes affaiblis, offre des services "de sécurité" à la carte, et surtout : protège les pouvoirs en place contre leur propre population.
On a changé l’étiquette sur la bouteille, mais le poison est le même.
Mali, Centrafrique, Libye : les trois laboratoires du mensonge
Au Mali, la junte d’Assimi Goïta continue d’insister sur sa « coopération souveraine avec la Russie ». Mais soyons clairs : depuis l’arrivée de Wagner en 2021, et maintenant de l’Africa Corps, aucune victoire militaire décisive n’a été remportée contre les groupes armés jihadistes. En revanche, des massacres de civils à Moura, des violations des droits humains, des pillages d’or artisanal et une hostilité croissante contre les ONG ont accompagné cette présence mercenaire.
Le passage à l’Africa Corps n’a rien changé, si ce n’est un nouvel uniforme pour les mêmes hommes, avec les mêmes méthodes brutales et inefficaces.
En Centrafrique, Wagner a transformé le pays en colonie économique russe, pillant les mines de diamant, contrôlant les routes commerciales, formant des milices loyalistes, et influençant directement la réécriture de la Constitution. Le président Faustin-Archange Touadéra n’est plus qu’un client sous tutelle, gardé au pouvoir par une garde prétorienne financée par le Kremlin. L’arrivée de l’Africa Corps est censée "normaliser" cette présence. En vérité, elle ne fait que légitimer une occupation sous contrat.
En Libye, les combattants de Wagner ont soutenu le maréchal Haftar contre le gouvernement reconnu par l’ONU. Ce que fait l’Africa Corps aujourd’hui ? Exactement la même chose. Sauf que désormais, c’est l’armée russe qui assume, sans assumer, cette influence. Autrement dit : Wagner sous drapeau russe, mais toujours dans l’ombre.
Le masque officiel : le faux vernis de la légalité
La nouveauté de l’Africa Corps, c’est son intégration organique à l’appareil militaire russe. Fini les contrats ambigus entre oligarques russes et dictateurs africains. Désormais, c’est le ministère russe de la Défense qui envoie des "formateurs", "conseillers", "agents de sécurité". Mais cette intégration ne rend pas la chose plus légitime : elle la rend simplement plus cynique.
Pourquoi ? Parce que cela permet à Moscou de jouer sur deux tableaux :
1. D’un côté, la Russie peut se présenter comme un État partenaire, respectable, militaire, coopérant avec des États africains souverains.
2. De l’autre, elle garde la souplesse, la brutalité et l’absence de responsabilité d’une force paramilitaire non conventionnelle, capable de faire ce que ni les diplomates russes ni les soldats réguliers ne peuvent se permettre.
C’est l’équivalent géopolitique d’un faux passeport : même visage, mais nouvelle identité pour franchir les frontières sans encombre.
Une armée de l’ombre au service de l’instabilité
Ceux qui se réjouissent du retrait des troupes françaises ou onusiennes au Mali, et qui célèbrent l’arrivée de l’Africa Corps comme un "tournant souverainiste", se fourvoient. Ils confondent changement de maître avec libération.
Car l’objectif de la Russie n’est pas de stabiliser le Sahel. Son objectif est de profiter du chaos, d’enraciner sa présence là où l’État central est faible, et d’y déployer une puissance militaire à bas coût, sans guerre officielle, sans Parlement, sans reddition de comptes.
Ce que l’Africa Corps fait, ce n’est pas défendre les peuples africains. C’est verrouiller des régimes en perte de légitimité, exploiter des ressources minières, et ériger un contre-pouvoir géopolitique au camp occidental.
En réalité, l’Africa Corps est à la fois une milice, une société de sécurité privée, une force d’intimidation et un bras armé diplomatique. Et pour les populations africaines, il est tout sauf une force de libération.
Ce que l’Afrique accepte en silence
Ce qui est peut-être le plus choquant dans cette affaire, ce n’est pas que la Russie agisse avec cynisme. C’est que plusieurs États africains acceptent ce cynisme avec enthousiasme. Ils s’en accommodent. Ils le bénissent. Ils le transforment en dogme géopolitique. Pourquoi ? Parce qu’il leur permet :
● de se débarrasser des institutions occidentales trop regardantes ;
● de réprimer leurs opposants en toute impunité ;
● de négocier des deals économiques opaques en dehors de tout contrôle démocratique.
En d'autres termes : l’Africa Corps permet de militariser la souveraineté, en évacuant toute exigence de transparence, de justice ou de responsabilité.
Wagner, Africa Corps : deux visages d’un même colonialisme
On accuse souvent l’Occident d’avoir mené une politique néocoloniale en Afrique. C’est vrai. Mais la Russie, par le biais de Wagner puis de l’Africa Corps, n’apporte pas une alternative décoloniale. Elle apporte une autre forme de tutelle, moins bavarde, mais tout aussi prédatrice.
La seule différence entre les anciens colons et les nouveaux parrains, c’est le style de discours : les premiers venaient civiliser, les seconds prétendent libérer. Mais dans les deux cas, ce sont des puissances extérieures qui instrumentalisent nos faiblesses politiques internes pour s’implanter durablement.
L’ennemi ne change pas toujours de camp, il change de costume
L’Africa Corps n’est pas une rupture, c’est une continuité. C’est Wagner sous uniforme d’État. C’est le même théâtre, avec les mêmes acteurs, sous une autre mise en scène. Et ce théâtre-là, hélas, se joue sur le dos des peuples africains, de leurs souverainetés galvaudées, de leurs ressources pillées, et de leurs aspirations étouffées.
Ceux qui, à Bamako, à Bangui ou ailleurs, croient avoir signé un "pacte de sécurité", ont en réalité signé un chèque en blanc pour l’occupation indirecte.
Alors, qu’on arrête l’hypocrisie : Wagner est mort ? Non. Il a changé de nom. Et il revient en uniforme.
