Alioune NDIAYE Écrivain
June 6, 2025 at 10:24 PM
Les chroniques de la participation citoyenne ( 160) Transformer l’agriculture pour libérer le potentiel africain : cap sur une souveraineté agroécologique, productive et inclusive La transformation de l’agriculture n’est plus une option, mais une urgence stratégique pour l’Afrique. Face à la montée des vulnérabilités liées au climat, à la dépendance alimentaire, à l'exode rural et à la jeunesse en quête de sens, il est temps de passer d’une agriculture de subsistance à une agriculture durable, moderne et inclusive. Cette mutation ne peut se faire sans une refondation systémique ancrée sur cinq leviers fondamentaux : la sécurisation foncière, la transition agroécologique, la valorisation du capital humain, l’innovation technologique, et la territorialisation des politiques agricoles. 1. Un diagnostic lucide : l’agriculture entre fragilité structurelle et potentiel inexploité L’agriculture sénégalaise emploie près de 60 % de la population active mais ne contribue qu’à environ 16 % du PIB. Elle reste dominée par : une forte dépendance aux aléas climatiques (pluviométrie, sécheresse), des pratiques agricoles peu durables (érosion des sols, déforestation), un accès limité aux intrants, au crédit et aux marchés, un faible taux de mécanisation (moins de 10 % des exploitations disposent de tracteurs), une insécurité foncière chronique qui freine l’investissement productif. Cette réalité contraste avec un potentiel immense en terres arables, en ressources hydriques, en main-d’œuvre jeune et en savoirs endogènes. 2. Cinq leviers pour une transformation agricole structurelle 2.1. Sécurisation foncière et réforme de la gouvernance des terres La réforme foncière doit garantir aux producteurs, notamment aux jeunes et aux femmes, un droit d’usage sécurisé, transmissible et bancarisable. Cela suppose une modernisation du cadastre rural, l’appui aux collectivités locales pour une gestion participative des ressources foncières, et la lutte contre les accaparements abusifs. 2.2. Transition agroécologique et résilience climatique L’agroécologie n’est pas une nostalgie du passé, mais une voie d’avenir, alliant productivité, régénération des sols, et réduction des intrants chimiques. Il faut : favoriser l’agroforesterie, le compostage et les cultures associées, investir dans la sélection participative de semences paysannes résilientes, renforcer les systèmes d’alerte climatique et l’assurance agricole. 2.3. Valorisation du capital humain rural La révolution agricole passera par la professionnalisation des producteurs. Il est impératif de : déployer des écoles pratiques d’agriculture paysanne (EPAP) dans les zones rurales, renforcer les centres de formation agricole et technique, créer des passerelles entre recherche, extension et vulgarisation. 2.4. Innovation numérique et financiarisation de l’agriculture Les TIC sont un levier de transformation majeur. L’agriculture 4.0 (géolocalisation, météo connectée, traçabilité, e-commerce) doit être rendue accessible aux petits producteurs. En parallèle, il faut : mettre en place des fonds de garantie adaptés aux cycles agricoles, encourager les fintech rurales et les coopératives numériques, promouvoir les chaînes de valeur locales à haute valeur ajoutée (transformation, packaging, label qualité). 2.5. Territorialisation et gouvernance locale des politiques agricoles La planification agricole doit être territorialisée, en lien avec les potentialités locales. Chaque région (Niayes, Bassin arachidier, Casamance, Sénégal oriental…) doit disposer : d’un plan de développement agricole intégré, de hubs logistiques pour le stockage et la commercialisation, de partenariats publics-privés territorialisés pour l’investissement productif. 3. Une vision régénérative, souveraine et inclusive Transformer l’agriculture, c’est bâtir une économie de la vie centrée sur l’humain, la souveraineté alimentaire et l’harmonie avec la nature. Cette transformation appelle : une justice foncière et générationnelle, en donnant la priorité aux jeunes agripreneurs, une revalorisation du statut de producteur, en le reconnaissant comme un acteur stratégique de sécurité nationale, une gouvernance éthique et participative, où l’État devient un catalyseur, et non un gestionnaire centralisé. Une stratégie de rupture, pas de réformette Ce siècle sera celui de l’agriculture ou ne sera pas africain. Le moment est venu de changer de paradigme : considérer l’agriculture non comme un fardeau du passé, mais comme le cœur battant de la prospérité future. Le Sénégal, à l’instar de ses voisins, dispose des outils humains, scientifiques et politiques pour faire de cette vision une réalité. À nous de la co-construire, dans une démarche d’intelligence collective, de résilience territoriale et de solidarité panafricaine. Alioune Cheikh Anta Sankara Ndiaye Expert en développement international, formateur, écrivain et militant pour la transformation systémique par l’éducation, la formation et l’agriculture durable.

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