EuroScope : la chaîne sur l’Europe
EuroScope : la chaîne sur l’Europe
May 21, 2025 at 03:13 PM
*LES DILEMMES NUCLÉAIRES DE L’EUROPE : ENTRE L’OMBRE DU DÉSENGAGEMENT ET LE FARDEAU DE L’AUTONOMIE* Depuis la triple secousse provoquée par l’annexion de la Crimée, l’invasion à grande échelle de l’Ukraine et l’alternance politique à Washington, la relation transatlantique se trouve engagée dans une danse de funambule. Les capitales européennes interrogent chaque inflexion de discours venant des États-Unis : suffit-il d’une phrase imprudente à la tribune de Munich pour que l’idée d’un « dôme nucléaire » exclusivement européen reprenne corps ? Simultanément, l’opinion publique, encore attachée au désarmement, rechigne à voir ressurgir le spectre des Pershing et des SS-20. Dans ce clair-obscur, l’Europe cherche la voie la moins périlleuse : préserver la dissuasion étendue américaine, accroître son poids conventionnel, moderniser les arsenaux existants et sauver, tant que faire se peut, la dernière charpente d’arms control qui tient encore debout. *UN ÉQUILIBRE STRATÉGIQUE SOUS PERFUSION DE GARANTIES AMÉRICAINES* La pierre angulaire demeure la parole américaine : plus elle se fait nette, plus les États européens se sentent libres d’assumer la quasi-totalité du fardeau conventionnel. À l’inverse, chaque ambiguïté du côté de Washington rigidifie les débats budgétaires et ravive les calculs nationaux. L’Italie réévalue la viabilité politique de son rôle dans la mission des chasseurs à double capacité ; l’Allemagne, tout juste sortie d’une révolution Zeitenwende, oscille entre la volonté de sanctuariser ses F-35 et la crainte de franchir un Rubicon domestique ; la Pologne, déjà engagée dans l’acquisition de J-20 et d’Himars, étudie la faisabilité industrielle d’un « partage » nucléaire bilatéral avec Washington — solution qui contournerait l’obstacle politique d’un arsenal propre mais signalerait à Moscou une escalade du sérieux. Dans ce jeu de chaises musicales, la France et le Royaume-Uni apparaissent comme les piliers que l’on astreint à demeurer stables : leur détermination à maintenir la qualité de leur force océanique stratégique rassure autant qu’elle rappelle les limites physiques d’une dissuasion « mini-bilatérale » incapable à elle seule de suffire à la protection du continent. *DES SIGNES DE DISTANCIATION AMÉRICAINE ET LA RIPOSTE DES CAPITALES EUROPÉENNES* Les déclarations américaines sur la « fatigue du fardeau européen » ont déjà provoqué des réactions concrètes. Paris a réactivé la base aérienne de Luxeuil ; Londres a avancé le calendrier des têtes de nouvelle génération ; Varsovie renforce son Institut pour la sécurité nucléaire, institution jusque-là cantonnée au nucléaire civil. Plus discrète, la Suède, depuis son adhésion à l’OTAN, prépare un cadre réglementaire pour accueillir, si nécessaire, des vecteurs alliés à capacité nucléaire temporaire. Les mouvements de fond sont donc lancés : mise en réserve d’infrastructures, alignement doctrinal sur le « consept de dissuasion intégrée » défendu au Pentagone, et multiplication d’exercices Steadfast Noon élargis à des États jusqu’ici observateurs. Cependant, tous insistent : ces pas ne sont pas la répétition générale d’une dissuasion européenne autonome, mais le gage donné aux États-Unis que l’Alliance n’est pas un passager clandestin. *LE TRIANGLE MODERNISATION, INDUSTRIE ET COHÉSION ALLIÉE* La modernisation nucléaire, pilier technique, devient aussi catalyseur industriel et politique. Les États-Unis renouvellent à la fois leur triade et les bombes tactiques, mais chaque glissement de calendrier fragilise l’édifice psychologique : si l’avion porteur F-35A est livré, alors que les nouvelles B61 tardent, on crée un trou noir dans la crédibilité. De son côté, le Royaume-Uni synchronise son Dreadnought avec le missile Trident II D5LE2 ; un retard côté américain dans la production des ensembles de lancement affecterait le programme britannique tout entier. Les Européens scrutent dès lors la chaîne d’approvisionnement transatlantique : cobalt hautement enrichi, circuits cryogéniques, systèmes de navigation quantique, chaque étape devient baromètre de volonté stratégique. En parallèle, l’Allemagne pilote la coalition European Sky Shield Initiative : une trentaine de pays mutualisent radars, batteries Patriot ou Iris-T, voire, pour la décennie qui s’ouvre, un dôme anti-hypersonique basé sur un laser de puissance, prototype auquel Airbus et Saab consacrent déjà un laboratoire commun. Cette architecture doit convaincre Washington que l’écosystème conventionnel européen protège l’aile orientale, libérant les États-Unis pour le théâtre indo-pacifique sans vider l’Europe de son parapluie atomique. *LE NÉO-CLASSIQUE DE L’ARMS CONTROL : ENTRE REALPOLITIK ET IMPÉRATIF MORAL* La déliquescence de New START a mis à nu la question centrale : comment signer un traité quand l’interlocuteur russe foule déjà aux pieds l’esprit de la non-prolifération ? Les positions divergent : la Lituanie, la Pologne et la République tchèque estiment qu’un gel est devenu illusion, préférant la poursuite d’une supériorité qualitative alliée. À l’inverse, la Norvège et l’Allemagne arguent qu’abandonner le dialogue, même minimal, livrerait la rhétorique nucléaire au seul Kremlin. La France et le Royaume-Uni, tout en défendant la modernisation de leurs forces, rappellent qu’aucune architecture de confiance ne survivra si l’on ne fixe pas, noir sur blanc, le nombre et la localisation des systèmes non stratégiques russes. Pourtant, le débat ne se limite pas à Moscou. Pékin renforce son posture global, et même si la menace directe sur l’Europe reste médiate, les Européens comprennent qu’un futur instrument de transparence devra, tôt ou tard, inclure la Chine et enrayer une course tri-polaire. La véritable innovation pourrait venir d’un protocole trilatéral limité : chiffres globaux, plafond des têtes non déployées, échange de télémétrie sur les essais de vecteurs conventionnels à double capacité. *L’ÉMERGENCE DE SCÉNARIOS ALTERNATIFS : AUTONOMIE, PARTAGE ÉLARGI OU RENÉGOCIATION FONDAMENTALE* Plusieurs groupes de travail européens explorent aujourd’hui des lendemains moins transatlantiques. Premier scénario, qualifié d’« autonomie renforcée » : la France étendrait un parapluie minimaliste à ses partenaires volontaires via un mécanisme de consultation décisionnelle ad hoc et un partage des coûts ; elle disposerait alors d’une profondeur stratégique accrue et enrayerait à court terme les velléités proliférantes. Deuxième option, le « partage élargi » : maintien du leadership nucléaire américain, mais participation d’un plus grand nombre d’États à la mission DCA, y compris Suède et Finlande, couplée à une dispersion géographique des B61-13 sur un arc Mer du Nord-Méditerranée. Troisième piste, radicale, la « renégociation fondamentale » : élaboration d’un traité euro-américain qui codifierait la permanence, voire la présence avancée, d’une composante océanique américaine en mer du Nord en échange d’investissements européens majeurs dans la flotte de la Sixth Fleet en Méditerranée. Chaque trajectoire exige une adhésion populaire, un calcul de soutenabilité financière, une gestion du dialogue avec Moscou et la capacité d’éviter la perception chinoise selon laquelle le parapluie U.S. se fragmente irrémédiablement. *IMPACTS TECHNOLOGIQUES, ÉCONOMIQUES ET SOCIÉTAUX* La réflexion nucléaire n’est plus l’apanage des états-majors. La renaissance d’une ingénierie de l’uranium faiblement enrichi mobilise déjà les universités belges et finlandaises ; les PME allemandes de l’optique quantique voient s’ouvrir des marchés militaires jusque-là clos ; les syndicats italiens réclament des garanties sanitaires pour les techniciens amenés à manipuler les têtes reconditionnées sur la base d’Aviano. Au plan financier, l’anticipation d’un budget défense européen supérieur à 2,5 % du PIB fait flamber les obligations dédiées aux industries aérospatiales ; inversement, la notation ESG de certains groupes pâtit de leur engagement dans la modernisation nucléaire, reflet d’un militantisme anti-nucléaire qui reste puissant dans le Nord italien, les Pays-Bas ou encore l’Autriche. Sur le plan sociétal, les sondages indiquent un clivage générationnel net : les 18-30 ans soutiennent prioritairement la souveraineté européenne, mais demeurent hostiles à tout nouvel armement atomique ; les plus de cinquante ans, mémoire de la Guerre froide, préfèrent la garantie américaine, même imparfaite, à une flambée d’arsenaux continentaux. *PERSPECTIVES PROSPECTIVES À L’HORIZON 2030* Les décideurs européens s’appuient désormais sur des modèles de simulation stratégique intégrant l’IA générative : ces algorithmes mesurent le temps de réaction politique, l’impact des réseaux sociaux et la vitesse de reconstitution industrielle après une crise. Les résultats convergent : le plus grand risque pour l’Europe n’est pas la rupture soudaine de la dissuasion américaine, mais une lente érosion, année après année, couplée à des modernisations mal synchronisées. À l’horizon 2030, cinq jalons se révéleront décisifs : la publication de la Nuclear Posture Review américaine révisée ; la mise à flot du premier Columbia et du premier Dreadnought ; le déploiement complet de la défense antimissile européenne ; la renégociation annoncée du Traité de non-prolifération ; enfin, l’issue du conflit ukrainien, car la manière dont Moscou sortira de cette guerre déterminera le degré de risque perçu et, par ricochet, la confiance dans la dissuasion étendue. *CONCLUSION* La tentation proliférante qui couve en Europe ressemble à une étincelle prisonnière d’une chambre close : tant que l’oxygène transatlantique alimente la flamme de la crédibilité, l’incendie reste contenu. Mais si le souffle se fait rare, les braises accumulées depuis 2014 pourraient embraser des opinions publiques soudain convaincues qu’elles n’ont plus le choix. Les États-Unis, en réclamant un partage équitable du fardeau, doivent mesurer qu’une contribution européenne accrue ne signifie pas un désengagement souhaité ; l’Europe, de son côté, doit prouver que renforcer sa dissuasion conventionnelle et étoffer les arsenaux britannique et français ne vise pas à se passer du parapluie américain, mais à en consolider les piliers. Entre renouveau de l’arsenal, sauvegarde du droit international et pression d’une guerre aux portes de l’Union, la décennie qui s’ouvre testera la résilience d’une Alliance née à l’époque des cassettes analogiques et désormais confrontée aux réalités holographiques de la conflictualité contemporaine. https://www.defense.gov/News/Speeches/Speech/Article/4064113/opening-remarks-by-secretary-of-defense-pete-hegseth-at-ukraine-defense-contact/ #sécuriténucléaire #dissuasionétendue #modernisation #contrôledesarmements #otan #europe #étatsunis #ukraine #euroscope
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