
EuroScope : la chaîne sur l’Europe
May 23, 2025 at 07:50 AM
*L’AUBE D’UN QUADRIPTYQUE EUROPÉEN : REBÂTIR LE MODÈLE SPATIAL AUTOUR DE LA DÉFENSE*
Sur fond de recomposition géopolitique, le premier tir opérationnel d’Ariane 6 emportant un satellite militaire a résonné comme une fanfare d’espérance dans les salles de contrôle européennes. Depuis soixante ans, le Vieux Continent avance dans les étoiles porté par un triptyque forgé dans l’optimisme d’après-guerre : COOPÉRATION, SCIENCE et COMMERCE. Or la décennie écoulée – guerre en Ukraine, dérive de l’ordre multilatéral, irruption du New Space privé – en a ébranlé les assises. Tandis que Washington affirme vouloir se délester du « fardeau européen », les capitales mesurent soudain le prix d’une dépendance longtemps confortable. Survient alors l’idée d’un QUATRIÈME PILIER, taillé pour la DÉFENSE, susceptible de cimenter l’édifice vacillant.
*LA GÉNÉALOGIE DU MODÈLE : UN DIALOGUE ENTRE PEUPLES AU-DESSUS DES FRONTIÈRES*
Lorsque, en 1965, Astérix cingle vers l’orbite depuis Hammaguir, la jeune Europe ne dispose ni de missile balistique ni de budget militaire commun ; elle possède en revanche la ferme conviction que l’union fait la force. La création de l’ESA en 1975 traduit cette philosophie : mutualiser moyens nationaux, répartir charges financières au prorata du PIB, garantir le « retour géographique » à l’industrie. Dans les années 1990, la montée en puissance de l’Union européenne élargit encore le cercle : Copernicus pour observer la Terre, Galileo pour se repérer sans GPS, puis IRIS² pour connecter citoyens et armées sur la bande-Ka. Cette toile institutionnelle, d’une densité unique, permet à l’Europe de conjuguer pluralité culturelle et excellence techno-scientifique.
*LES TROIS COLONNES VACILLANTES DU TEMPLE*
* COOPÉRATION La symphonie communautaire ne s’est jamais jouée sans solistes extérieurs. De Soyouz en Guyane au laboratoire Columbus sur l’ISS, Moscou et Washington furent partenaires. L’invasion russe brise ce modèle : plus de fusées Soyouz, chaînes Vega amputées, coopération scientifique en suspens. Parallèlement, le virage stratégique américain – hésitations sur Starlink en Ukraine, rhétorique isolationniste de la nouvelle administration – rappelle que nul lien n’est indissoluble.
* SCIENCE Les missions Rosetta, Planck, ExoMars ou Euclid témoignent encore d’une inventivité rare. Pourtant, la dépendance aux lanceurs extérieurs a retardé JUICE, ajourné Rosalind Franklin, menacé l’accès des jeunes chercheurs à la Station spatiale. Réduire la voilure budgétaire scientifique serait sacrifier un avantage comparatif majeur au moment où la climatologie orbitale devient instrument diplomatique incontournable.
* COMMERCE La crise la plus aiguë frappe l’industrie. SpaceX, par une intégration verticale et une réutilisation audacieuse, cassera en dix ans les prix que la « famille Ariane » avait mis trente ans à stabiliser. S’ajoute la contraction des marchés télécoms GEO : déclin de la télévision linéaire, concurrence de la fibre optique, saturation de l’orbite géostationnaire. Les licenciements chez Thales Alenia Space, Airbus DS ou OHB révèlent la gravité sociale de ce choc.
*ÉMERGENCE DES MENACES : ENTRE GUERRE HYBRIDE ET RISQUE DE DÉCLASSEMENT*
La guerre en Ukraine a sanctuarisé le rôle des satellites dans l’art opératif : imagerie SAR pour repérer un convoi, liaison haute fréquence pour guider l’artillerie, géolocalisation militaire précise au décimètre. L’Europe observe qu’elle aligne 41 satellites de défense contre 263 pour les États-Unis et 267 pour la Chine ; la moitié sont dédiés à l’observation, très peu aux communications à large bande protégée. Un brouilleur embarqué, un missile antisatellite ou une cyber-intrusion suffiraient à aveugler son commandement. La souveraineté informationnelle devient ainsi un enjeu existentiel.
*VERS UN QUADRIPTYQUE : ÉRIGER LE PILIER DÉFENSE*
* UNE LOGIQUE INDUSTRIELLE : Passer d’une « sur-mesure » coûteuse à une production en série duale. Constellations opto-radar à revisit fréquente, relais de télécoms sécurisés, pods d’alerte avancée à orbite haute : ces architectures distribuées diluent la vulnérabilité et irriguent les chaînes de valeur civiles (agriculture de précision, gestion de crise).
* UNE LOGIQUE CAPACITAIRE : Développer une doctrine satellite-centrée au service des forces terrestres et navales européennes. S’adosser à Galileo PRS pour la navigation durcie, greffer des modules de liaison quantique sur IRIS² pour le commandement stratégique, coupler radars au sol et télescopes optiques pour créer un bouclier européen de connaissance de la situation spatiale.
* UNE LOGIQUE GOUVERNANCE : Clarifier la mosaïque décisionnelle : Commission pour la vision, ESA pour l’ingénierie, Agence de défense pour le besoin militaire, opérateurs nationaux pour la mise en œuvre. Instaurer un « Conseil spatial de défense » inspiré d’Eurocontrol, financé par un fonds hors-Pacte de stabilité, ouvert aux entreprises à capitaux mixtes mais certifiées souveraines.
UNE LOGIQUE FINANCIÈRE : Porter le budget combiné espace-défense de 13 milliards à 30 milliards d’euros annuels d’ici 2032. Le plan InvestEU Defence, la taxe carbone aux frontières et les obligations « Sovereign Safe Assets » pourraient constituer les trois sources d’alimentation. L’effet multiplicateur sur l’emploi industriel est estimé à 1,8 ; chaque euro investi génèrerait près de deux euros de PIB secondaire.
*LES VERTUS D’UN EFFET DE LEVIER SUR LES TROIS PILIERS HISTORIQUES*
* RE-DYNAMISER LA COOPÉRATION : un projet de défense spatial commun ressouderait Paris, Berlin, Rome et Varsovie autour d’objectifs tangibles ; il offrirait à la Suède et à la Finlande, nouveaux membres de l’OTAN, une intégration technologique immédiate.
* REVIGORER LA SCIENCE : les capteurs hyperspectraux militaires nourrissent aussi les climatologues ; les démonstrateurs de propulsion électrique dédiés à la mobilité défensive servent demain l’exploration lunaire.
* RELANCER LE COMMERCE : une demande institutionnelle stable attire le capital-risque, sécurise les chaînes d’approvisionnement en carbure de silicium et nano-antennes, consolide la position d’Ariane 6 comme lanceur « OTAN-compatible » tout en libérant Ariane Next pour la compétition commerciale.
*OBSTACLES ET PARADES*
Les tensions nationales – rivalité entre industries française et allemande, divergences budgétaires latines et nordiques – exigent un pacte de juste retour fondé sur la contribution en nature : une constellation d’imagerie pourrait être franco-italienne, un segment sol radar germano-espagnol. La crainte d’une militarisation perçue comme agressive sera désamorcée par une doctrine de « défense active proportionnée » calquée sur le droit international. Enfin, la course sino-américaine impose de miser sur l’originalité : l’Europe doit se singulariser par l’écoconception, la neutralité carbone du lanceur réutilisable, la coopération scientifique open-data, et ainsi conserver le magistère moral acquis avec Copernicus.
*CONCLUSION*
Le modèle spatial européen n’est pas en ruine ; il vacille comme une cathédrale dont trois arcs-boutants s’effritent sous les assauts du temps. Ériger une quatrième contrefiche – la DÉFENSE – n’équivaut pas à militariser l’espace à outrance, mais à achever l’édifice afin qu’il résiste aux vents d’Est et aux bourrasques atlantiques. L’Europe, forte d’un savoir scientifique inégalé et d’une industrie inventive, possède les outils pour défendre sa liberté d’action céleste. Encore faut-il la volonté politique de les assembler : non pour substituer l’Amérique, mais pour lui offrir un partenaire à la hauteur, capable de tenir la ligne quand la houle stratégique se creuse. Dans cet effort, Ariane 6 n’est pas un chant du cygne ; elle est la trompette qui convoque les bâtisseurs d’une Europe maîtresse de son destin orbital.
https://www.politico.eu/article/eu-space-commissioner-calls-for-european-space-shield/
https://www.info.gouv.fr/communique/strategie-spatiale-nationale
#espaceeuropéen #défensespatiale #ariane6 #autonomiestratégique #newspace #euroscope