
EuroScope : la chaîne sur l’Europe
May 23, 2025 at 07:55 AM
*LE « GOLDEN DOME » : DE L’ÂGE DU NIKE À L’ÂGE DE L’ORBITAL – CHRONIQUE D’UNE QUÊTE AMÉRICAINE D’INVULNÉRABILITÉ*
Depuis le grondement des premiers moteurs-fusées Nike au cœur des années 1950 jusqu’à la proclamation hautaine d’un « Dôme d’or » censé protéger le continent nord-américain de toute fulguration nucléaire, la politique antimissile des États-Unis ressemble à une longue cathédrale inachevée : à chaque travée achevée succède un contrefort abattu, à chaque voûte dressée répond une arcade fissurée par les aléas technologiques, budgétaires ou diplomatiques. L’annonce, le 20 mai, par Donald Trump d’un dispositif céleste intégré, confié à l’US Space Force et fort de constellations capables de traquer puis d’annihiler ogives balistiques, missiles hypersoniques, planeurs orbitaux et essaims de drones, n’est donc pas un simple éclat rhétorique : elle couronne trois quarts de siècle d’oscillations entre rêve de l’abri parfait et réalisme sanglé de traités, entre vertige cosmique et contraintes du Trésor.
*LES PREMIÈRES VOILES : NIKE, ZEUS ET LA CONSCIENCE DU CIEL*
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le dogme de la puissance aérienne conduit Washington à redouter avant tout le bombardier porteur de l’arme thermonucléaire. Les antennes de défense tournent alors vers le missile sol-air : le couple Nike-Ajax puis Nike-Zeus incarne la promesse d’un glaive éruptif, mais la nécessité d’enfouir des charges nucléaires au cœur même des intercepteurs révèle la fragilité conceptuelle de l’entreprise : comment sauver une ville en vaporisant sa haute atmosphère au plutonium ? L’Advanced Research Projects Agency – future DARPA – est enfantée par cet embarras autant que par le Spoutnik.
*L’ÈRE DES TEMPÊTES COSMIQUES : SENTINEL, SAFEGUARD ET LES TRAITÉS CONTRAIRES*
Lorsque le Traité sur l’Espace bannit les armes de destruction massive du domaine orbital, la Maison-Blanche se replie sur le continent : l’architecture Sentinel prévoit dix-sept sites bardés de radars BMEWS, de missiles Spartan à longue portée et de Sprint à accélération convulsive. Les protestations locales et le spectre d’une course aux frags thermonucléaires clouent le projet au sol ; il renaît sous le nom de Safeguard, réduit à la sentinelle des silos Minuteman des Grandes Plaines, ultime garant de la seconde frappe. La logique de la « représaille assurée » prime alors toute ambition d’invulnérabilité.
*LA « GUERRE DES ÉTOILES » : RONALD REAGAN ENTRE MYTHE ET PAILLETTES LASER*
Au début des années 1980, le regain de tension – SS-20 face aux Pershing II – ranime le rêve d’un bouclier global. Le président Reagan invoque l’IDS : radars en orbite, intercepteurs cinétiques dits Brilliant Pebbles, lasers chimiques embarqués sur plates-formes géostationnaires. Les avancées sont réelles en optique adaptative, en propulseurs à plasma, mais l’implosion de l’URSS et la victoire sans combat du bloc occidental relèguent ces chimères au rayon des prototypes. L’Administration Clinton préfère la défense de théâtre : THAAD, Patriot PAC-3 et Aegis – autant de briques tactiques plutôt qu’un dôme absolu.
*LE TOURNANT DES ANNÉES 2000 : DES « ÉTATS VOYOUS » AU RETRAIT DU TRAITÉ ABM*
Les essais nord-coréens Taepodong, la rhétorique iranienne et l’attaque du 11 septembre bouleversent la psychologie stratégique : le National Missile Defense Act est voté à la quasi-unanimité en 1999, avant que George W. Bush ne déchire le traité ABM. Deux fermes de missiles Ground-Based Interceptor surgissent alors à Fort Greely et Vandenberg ; l’ONI tisse déjà le réseau de liaisons C2BMC et la flotte Aegis bascule vers la vocation antibalistique. Mais Moscou dénonce un empiètement sur son pré-carré dissuasif ; Prague puis Varsovie paient le prix diplomatique d’héberger radars et silos SM-3.
*L’ÉPOQUE HYPERSONIQUE : QUAND LE TEMPS DE VOL DEVANCE LE TEMPS DE DÉCISION*
La décennie 2010 voit éclore le planeur Avangard et le missile DF-17 : dix-mille kilomètres-heure, manœuvres imprévisibles, altitude variable. L’alerte infrarouge du SBIRS, pourtant fleuron de la EO/IR américaine, peine à isoler ces signatures volantes mêlées au fouillis orbital. Le Pentagone publie en 2019 sa Missile Defense Review : il y faut des radars à balayage électronique mobile, des capteurs en bande X embarqués sur satellites low cost, et bientôt des intercepteurs montés eux aussi sur orbite basse – sorte de résurgence du concept BAMBI, débarrassée cette fois des limitations énergétiques d’antan.
*LE « GOLDEN DOME » : LE SPECTRE DE L’ABRI INTÉGRAL*
L’annonce présidentielle de mai 2025 érige le nouveau totem. Son architecture se déploie en deux constellations : la première, de 400 à 1 000 capteurs opto-IR et radar à ouverture synthétique, maillera l’hémisphère pour repérer tout lancement depuis la stratosphère jusqu’au vacuum ; la seconde, à peine deux-cents « sentinelles » armées, croisera sur orbite basse, prêtes à lâcher darts cinétiques ou rafales laser à fibre dopée. Les unités terrestres THAAD et Patriot, les GBI arctiques, les intercepteurs SM-3 Bl IIA des destroyers Aegis et les senseurs AN/TPY-2 formeront les étages inférieurs de cette pyramide défensive.
*LA RENAISSANCE DU NORAD : LE CANADA À L’HEURE DES CHOIX*
Le ralliement d’Ottawa, porté par le premier ministre Mark Carney, ouvre une ère nouvelle pour le Commandement aérospatial nord-américain. Stations d’écoute dans l’archipel Arctique, radars Over-The-Horizon au Labrador, fibres optiques polaires : le vieux réseau DEW-Line, vestige de la Guerre froide, doit céder la place à un « NORAD next » qui épousera l’architecture orbitale du Dôme d’or. Le financement, partagé à hauteur d’un dixième par le Trésor canadien, octroie à l’industrie d’Ottawa une place sur les contrats des satellites capteurs – allègement diplomatique pour Washington, qui cherche à masquer la tentation unilatérale sous les atours d’une alliance revitalisée.
*ENJEUX TECHNOLOGIQUES : DE L’INTERCEPTION CINÉTIQUE À L’ARME ÉNERGÉTIQUE*
La cinétique « hit-to-kill » reste l’alpha de l’interception : frapper ogive contre ogive à plus de vingt-mille kilomètres-heure exige des senseurs millimétriques et des calculateurs hybrides couplés à l’intelligence artificielle embarquée. Mais le seuil de saturation, face à des salves multiples ou à des leurres hypervéloces, pousse le Pentagone à ressusciter le laser : fibres dopées à l’ytterbium, miroirs adaptatifs en diamant synthétique, alimentation via micro-réacteurs à sels fondus. Les prototypes LANCE et HELIOS, testés sur châssis navals, deviendront demain la charge utile de satellites patrouilleurs, capables de carboniser une coque de planeur hypersonique avant son pic thermique.
*IMPACT GÉOSTRATÉGIQUE : DISSUASION OU DÉSTABILISATION ?*
L’arme qui prétend abolir la vulnérabilité menace pourtant de sap er l’équilibre de la terreur : si Washington s’offre un parapluie absolu, Moscou et Pékin pourraient multiplier têtes, trajectoires exotiques ou vecteurs sous-marins comme le drone nucléaire Poséidon. La logique d’action-réaction ressuscite l’esprit même que le traité ABM voulait refréner. S’ajoute l’enjeu du droit spatial : la frontière entre missile orbital et arme de destruction massive est ténue, et l’établissement d’intercepteurs armés sur orbite basse frôle la ligne rouge du traité de 1967. Enfin, l’Europe, déjà arrimée à deux batteries Aegis Ashore, s’interroge : suivre le sillage américain ou investir davantage dans ses propres radars antibalistiques ?
*COÛTS ET DÉLAIS : ENTRE MENACE PERÇUE ET RÉALITÉ BUDGÉTAIRE*
Cent-soixante-quinze milliards de dollars : le chiffre brandi par le président Trump est colossal mais sans précédent ; pourtant, l’expérience Safeguard rappelle qu’un système opérationnel peut être déclassé par l’adversaire avant même sa mise en service. L’US Space Force, créée en 2019, hérite d’un chantier titanesque : lancer, assembler, piloter, protéger contre le brouillage et le sabotage cyber plus d’un millier de plates-formes en orbite basse. Les lanceurs réutilisables de SpaceX, Blue Origin et ULA absorberont-ils ce carnet de tir ? La question du rythme de déploiement rejoint celle de la vulnérabilité : une constellation dense est robuste mais chère ; une constellation clairsemée est abordable mais perforable.
*CONCLUSION*
Du Nike-Ajax pétrifié sur ses rampes du New Jersey au futur Sentinel laser filant à l’aube boréale, la défense antimissile américaine poursuit un mirage : neutraliser l’arme absolue sans déclencher la spirale infernale qu’annonce toute tentative de nier la réciprocité létale. Le « Golden Dome » se veut la synthèse définitive de ces efforts, l’auréole protectrice d’une Amérique inquiète de l’ascension technologique sino-russe. Mais il réveille aussi les fantômes de Safeguard et de l’IDS : budgets hémorragiques, sursauts adverses, controverses juridiques. S’il voit le jour, il redessinera la grammaire stratégique du xxie siècle ; s’il échoue, il rappellera que, dans l’équilibre nucléaire, l’invulnérabilité demeure une étoile, lointaine, que nul État ne peut cueillir sans déplacer les constellations elles-mêmes.
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