
EuroScope : la chaîne sur l’Europe
May 24, 2025 at 07:45 AM
*LE PRINTEMPS ÉCONOMIQUE DE L’UNION FACE À LA TEMPÊTE TARIFAIRE*
Le 19 mai 2025, dans la salle de presse de la Commission, Valdis Dombrovskis a fait résonner une alarme douce mais continue : l’économie européenne demeure solide, mais le tourbillon protectionniste déclenché par Washington pourrait, demain, fracturer son élan. Derrière les chiffres — une croissance toujours positive mais rabotée, un chômage au plus bas, une inflation enfin maîtrisée — s’esquissent des tensions inédites. Une vérité s’impose : l’Union doit compter sur la vigueur de ses propres ressorts pour traverser l’averse tarifaire sans rompre.
*ENTRE CROISSANCE FRIABLE ET RÉSILIENCE SOCIALE*
La prévision printanière prévoit pour 2025 un modeste +1,1 % dans l’Union et +0,9 % dans la zone euro, niveaux quasi jumeaux de 2024. Ces taux, quoique appréciables face à l’atonie d’autres économies avancées, traduisent un ralentissement net depuis l’automne : sept dixièmes de point se sont envolés sous l’effet conjugué des hausses de droits de douane américaines, de la volatilité financière qui les accompagne et d’un commerce mondial atone. Mais l’édifice tient : la consommation intérieure, portée par des ménages dont les revenus réels renaissent, assure l’essentiel de l’expansion.
*L’OMBRE LONGUE DU PROTECTIONNISME AMÉRICAIN*
Depuis janvier, l’administration de Washington multiplie les annonces de surtaxes, culminant le 23 mai avec la menace d’un tarif généralisé de 50 % sur les importations européennes dès le 1ᵉʳ juin. Jamais, depuis les années 1930, pareille flambée douanière n’avait visé le Vieux Continent. Les marchés vivent au rythme de tweets présidentiels et d’échos de couloirs ; la prime de risque grimpe, l’euro chancelle, et les chaînes de valeur s’ajustent en hâte. Dans ses simulations, la Commission anticipe qu’un tel choc amputerait de 0,4 % le PIB mondial d’ici 2026, l’Union cédant environ 0,2 point tandis que l’économie américaine, paradoxalement, encaisserait une contraction plus marquée. Les leçons de l’histoire se rappellent à nous : personne ne gagne une guerre commerciale, mais tout le monde peut s’y perdre.
*UN MARCHÉ DU TRAVAIL EN PLEINE MUTATION*
Sous ces nuages, l’emploi européen défie la gravité. 1,7 million de postes créés en 2024, encore deux millions attendus en 2025-2026 : jamais la machine à embaucher n’avait paru si robuste avec une croissance si modeste. Le taux de chômage devrait descendre à 5,7 % en 2026, frôlant le plein-emploi dans plusieurs États membres. La tension sur la main-d’œuvre, combinée au rebond de productivité, entretient une hausse nominale des salaires de 3,9 % cette année et 3 % l’an prochain. Corrigée de l’inflation, la rémunération réelle regagne enfin le terrain perdu depuis le choc énergétique de 2022. Ce reflux du malaise social irrigue la consommation : les dépenses privées progresseront de 1,5 % en 2025 puis s’intensifieront en 2026. Pourtant, l’épargne reste anormalement élevée, signe d’une prudence viscérale après un lustre d’incertitudes pandémiques, géopolitiques et climatiques.
*INFLATION : DU SOMMET À LA PENTE DESCENDANTE*
La flambée des prix appartient désormais au passé : le renversement de la courbe de l’énergie, la réévaluation de l’euro et l’arrivée massive de biens asiatiques moins chers compriment l’indice européen. La zone euro devrait atterrir à 2,1 % en 2025 puis 1,7 % en 2026. Mais l’homogénéité est illusoire : les pays baltes et d’Europe centrale, où les coûts salariaux grimpent vivement, conserveront une inflation proche de 3 %, tandis que l’Allemagne et les Pays-Bas pourraient tomber sous 1,5 %. Cette mosaïque complique la tâche de la Banque centrale européenne, qui prépare un premier ajustement accommodant de ses taux directeurs, mais se heurte à des cycles nationaux divergents.
*L’INVESTISSEMENT, NŒUD GORDIEN DE LA COMPÉTITIVITÉ*
Là où la dynamique se griffe, c’est dans l’investissement. L’équipement productif, déjà replié de 1,9 % l’an passé, ne progresserait que de 1,5 % cette année : entrepreneurs et industriels diffèrent leurs commandes devant la marée montante des droits de douane et l’incertitude sur la demande externe. À l’inverse, l’immobilier résidentiel se redresse, porté par la détente du crédit aux ménages et la rentabilité restaurée des promoteurs. Les infrastructures et la R&D, alimentées par la Facilité pour la reprise et la résilience, avancent à pas plus résolus ; mais la Commission répète que pour convertir les 10 000 milliards d’euros d’épargne privée en capital productif, il faudra une « Union de l’épargne et de l’investissement » digne de ce nom, mariant marché unique des capitaux, harmonisation fiscale et circuits d’épargne-retraite paneuropéens.
*DES FINANCES PUBLIQUES SOUS HAUTE TENSION*
Après un déficit agrégé de 3,2 % du PIB en 2024, l’Union s’attend à 3,3 % en 2025 et autant l’année suivante. La dette, stable à 82 % l’an passé, gonflera à 84,5 % en 2026, la croissance nominale ne compensant plus tout à fait la hausse du coût du service de la dette. Onze États membres ont franchi la barre des 3 % ; la liste devrait se réduire à neuf en 2026, mais la perspective d’une clause d’échappement pour dépenses de défense — jusqu’à 1,5 point de PIB par an — risque de retarder d’un an ou deux la décrue de certains ratios. La Commission, consciente de la nécessité de protéger ses frontières à l’Est tout en préservant la crédibilité budgétaire, plaide pour une trajectoire de réduction de déficit calibrée sur le cycle et adossée à des réformes de productivité, plutôt qu’à des coupes horizontales.
*LE TABLEAU DES RISQUES : SCÉNARIOS TARIFAIRES ET RÉPONSES EUROPÉENNES*
Dans son exercice prospectif, Bruxelles égrène trois récits. Premier récit : la menace américaine se concrétise intégralement ; l’euro se déprécie de 5 %, les échanges cèdent 3 % et la croissance 2025-2026 perd presque un point – avec, en prime, un regain inflationniste sur les biens importés. Deuxième récit : négociations de dernière minute et allègement partiel des surtaxes ; la perte de croissance est limitée à quelques dixièmes et l’inflation poursuit sa décrue. Troisième récit, plus lumineux : signature rapide d’accords de libre-échange (Australie, Inde, Mercosur) et lancement d’un Instrument pour la compétitivité industrielle européenne ; l’effet cumulatif neutralise presque l’onde de choc américaine. Dans tous les cas, la clé réside dans la cohésion des vingt-sept : un front divisé s’expose aux pressions bilatérales, un front uni force la négociation.
*LA BOUSSOLE DE COMPÉTITIVITÉ : RÉFORMES ET SIMPLIFICATION*
Le 21 mai, la Commission dévoilait son agenda de simplification réglementaire : réduire de 25 % les obligations de reporting pour toutes les entreprises, et de 35 % pour les PME, d’ici 2029. Ce grand nettoyage administratif accompagne la « Boussole de compétitivité », qui fixe des repères clairs : doubler d’ici 2030 la capacité de cybersécurité, tripler la production européenne de semi-conducteurs, quadrupler les installations d’hydrogène vert. En toile de fond, la refonte du cadre de gouvernance économique entrera en vigueur le 1ᵉʳ janvier 2026 ; elle exigera des plans budgétaires pluriannuels, adossés à un filet de sanctions modernisé mais, surtout, à un contrat de réformes nationales synchronisées.
*VERS UNE UNION DE L’ÉPARGNE ET DE L’INVESTISSEMENT*
Aujourd’hui, moins de 15 % de l’épargne des ménages traverse les frontières intérieures de l’Union. Cette segmentation prive les PME de capital-risque, renchérit le coût des technologies propres et ampute la productivité. Le plan « Épargne-Investissement » propose d’harmoniser l’imposition des produits d’épargne longue, de réviser Solvency II pour libérer les portefeuilles d’assureurs, et de créer un passeport paneuropéen pour les fonds de retraites professionnels. À la clé : un marché des capitaux de taille comparable à celui des États-Unis, capable d’absorber chocs externes et vagues d’innovation.
*CONCLUSION : TRANSFORMER LA TEMPÊTE EN FERMENT DE RENOUVEAU*
Tel un navire battu par la houle, l’économie européenne avance entre pièges douaniers et récifs géopolitiques. Sa coque — un marché unique, une monnaie robuste, une société résiliente — demeure solide, mais sa voilure doit s’adapter au vent capricieux d’un monde qui se referme. Les réformes promises — simplification, union des capitaux, défense commune, mutualisation de l’innovation — ne sont plus des options : elles sont le gouvernail. Si l’Union réussit à canaliser ses 10 000 milliards d’épargne, à libérer l’énergie créatrice de ses PME et à parler d’une seule voix face aux géants commerciaux, alors la tempête tarifaire deviendra la forge d’une renaissance. Dans le cas contraire, c’est notre relative prospérité qui pourrait, insensiblement, se dissoudre dans la brume. Le printemps n’est qu’un prélude ; l’été des négociations, l’automne des budgets et l’hiver des décisions détermineront si l’on racontera bientôt l’histoire d’une Europe conquérante… ou celle d’un continent qui aura cédé au souffle du protectionnisme.
https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/statement_25_1261
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