
EuroScope : la chaîne sur l’Europe
May 24, 2025 at 08:29 AM
*VERS UN TEMPS DE RÈGLEMENT ACCÉLÉRÉ : L’EUROPE AU COMPTE À REBOURS*
Le 20 mai 2025, la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen (ECON) a voté, à une écrasante majorité, pour raccourcir le laps de temps séparant l’exécution d’un ordre boursier de son inscription définitive dans les livres : de deux jours ouvrés (T+2) aujourd’hui à un seul (T+1). Ce geste, à l’orée des négociations avec le Conseil et la Commission, propulse l’Union dans la course mondiale à la vitesse de règlement et répond à une exigence stratégique : mettre à niveau l’infrastructure financière européenne face aux États-Unis, passés à T+1 depuis mai 2024, et au Royaume-Uni, qui adoptera la même cadence le 11 octobre 2027.
*DU T+2 AU T+1 : UN VIRAGE HISTORIQUE*
Pendant une décennie, l’Europe s’est accommodée d’un horizon de deux jours pour solder les échanges d’actions ou d’obligations. Mais la marche inéluctable de la concurrence a sonné l’heure du changement. L’étude d’impact d’ESMA, publiée en novembre 2024, chiffre à plus de 3 milliards d’euros par an les gains de capital immobilisé qu’engendrera T+1, signe que la réduction du risque de contrepartie constitue le premier dividende de la réforme. En février 2025, la Commission a déposé son projet de révision ciblée du règlement CSDR 909/2014 ; le Conseil a, le 7 mai, arrêté son mandat de négociation, exemptant toutefois les opérations de financement de titres, trop disparates pour un couperet uniforme. La date pivot de mise en œuvre — 11 octobre 2027 — permettra d’aligner Bruxelles et Londres, éviter les chevauchements de calendriers et ménager aux intermédiaires un temps d’adaptation appréciable.
*UNE DYNAMIQUE IMPULSÉE PAR LA CONVERGENCE GLOBALE*
L’Amérique du Nord a bougé la première : États-Unis, Canada et Mexique ont tous basculé vers T+1 au printemps 2024, après l’Inde (2023) et la Chine (partiellement en 2020). Cette avance a chamboulé la gestion de trésorerie des investisseurs européens : décalage horaire réduit, besoin de pré-financer les changes, compression des fenêtres de prêt-emprunt de titres. Citigroup observe déjà des « trous de liquidité significatifs » chez près de la moitié des gérants européens confrontés aux règlements transatlantiques plus courts. Sans réaction rapide, l’UE courait le risque de voir s’envoler ses coûts et la compétitivité de ses acteurs.
*LES ENJEUX OPÉRATIONNELS ET TECHNOLOGIQUES*
Passer à T+1 ne se résume pas à accélérer une horloge. Il faut, dans la nuit qui suit l’exécution, confirmer les ordres, acheminer les espèces (en vingt-sept devises), orchestrer la chaîne des sous-dépositaires et traiter les opérations sur titres. L’industrie s’organise : extension des plages horaires SWIFT, automatisation des correspondances d’ordres, recours accru aux confirmations pré-réelles, élargissement des pools de collatéral. Les dépositaires centraux européens (CSD) expérimentent déjà le règlement en temps quasi réel grâce au programme DLT Pilot Regime et aux jetons de banque centrale « wholesale ». Là où la technologie le permettra, le texte parlementaire autorise même un règlement en T+0, prélude à l’instantanéité.
*UN BALLET RÉGLEMENTAIRE SOUS HAUTE SURVEILLANCE*
ESMA sera la cheville ouvrière du passage à T+1 : suivi de l’efficacité de règlement, adaptation des normes techniques, rapport à transmettre d’ici 2028 sur la faisabilité du T+0. Le régulateur veillera aussi à la cohérence avec le mécanisme de pénalités CSDR, entré en vigueur en 2022, qui sanctionne chaque jour de retard de règlement. Simultanément, Bruxelles réexamine la clause de rachat obligatoire (buy-in), suspendue durant la pandémie ; son retour éventuel devra s’accorder avec la cadence plus serrée sans alourdir les coûts de marché.
*RÉPERCUSSIONS SUR LES ACTEURS DE MARCHÉ*
Pour les banques de financement, T+1 libérera du capital réglementaire, mais exigera un renforcement des équipes opérationnelles de nuit. Les asset managers devront rapprocher le cut-off de souscription de leurs fonds, sous peine de déconnexion avec le cycle boursier. Les bourses et chambres de compensation anticipent une hausse temporaire du taux d’échec, le temps que les gérants transfrontaliers rôdent leurs flux. Les sociétés de gestion passive — ETF comme SICAV indicielle — espèrent, à long terme, une réduction du coût total de possession grâce à la diminution des appels de marge et des pénalités.
*VERS LE T+0 : UTOPIE OU PROCHAINE FRONTIÈRE ?*
L’horizon en temps réel fascine déjà. Le règlement atomic swap via blockchain, couplé à la monnaie de banque centrale, promet de conjurer toute latence. Toutefois, un T+0 généralisé exigerait la conversion instantanée des flux de trésorerie, la mise à disposition garantie de la liquidité en monnaie centrale et une harmonisation mondiale des calendriers, conditions encore lointaines. L’Union, prudente, se contente pour l’instant de ménager la possibilité technique, tout en s’assurant que le saut vers T+1 n’épuise pas les ressources des petites et moyennes banques.
*IMPACT MACROÉCONOMIQUE ET COMPÉTITIVITÉ EUROPÉENNE*
Au-delà de la microstructure, le raccourcissement du cycle soutient la Boussole de compétitivité esquissée par les rapports Draghi et Letta : des marchés de capitaux plus profonds, un coût du capital abaissé, une circulation fluide de l’épargne vers l’investissement productif. Selon les calculs de la Commission, chaque point de réduction du risque de règlement accroît l’attrait des marchés boursiers européens pour les capitaux internationaux, potentiellement créateurs de 0,1 point de croissance annuelle à long terme.
*LE ROYAUME-UNI : CONCURRENCE OU COMPLÉMENTARITÉ ?*
Londres, artisan historique du post-marché paneuropéen, a fixé son propre calendrier : 11 octobre 2027 pour T+1, aboutissement d’un rapport technique remis en février 2025 et déjà endossé par le Trésor britannique. Ce parallélisme calendaire avec l’UE rassure les opérateurs qui arbitrent les deux rives de la Manche ; il réduit les risques de fail transfrontaliers et préserve la liquidité de la City dans la gestion des dépôts de collatéral en euros. Bruxelles et Londres collaborent ainsi, dans les coulisses, à l’élaboration de standards de messages ISO 20022 harmonisés.
*CONCLUSION : L’ACCÉLÉRATION COMME IMPÉRATIF STRATÉGIQUE*
Réduire le cycle de règlement, c’est faire battre plus vite le cœur financier de l’Europe. Dans un monde où la vitesse est synonyme de sécurité, où chaque jour gagné libère des milliards de capital et étouffe le risque systémique, l’Union n’avait d’autre choix que de presser le pas. Mais l’enjeu dépasse la simple cadence : il s’agit d’inscrire la place financière européenne dans le futur numérique, d’attirer l’épargne globale et de consolider l’autonomie stratégique du continent. Si le trilogue aboutit rapidement, le compte à rebours vers octobre 2027 offrira aux acteurs trois années pour transformer leurs tuyaux, réviser leurs horaires et, surtout, cultiver la confiance des investisseurs dans l’efficacité d’un marché unique enfin à l’heure du siècle.
https://www.europarl.europa.eu/news/en/press-room/20250519IPR28502/committee-meps-voted-for-shortening-the-settlement-cycle-in-the-eu
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