
EuroScope : la chaîne sur l’Europe
May 24, 2025 at 08:52 AM
*L’ESMA INTERROGE LE PARCOURS DE L’INVESTISSEUR PARTICULIER : ENTRE COMPLEXITÉ RÉGLEMENTAIRE, RÉVOLUTION NUMÉRIQUE ET QUÊTE DE CONFIANCE*
Le 21 mai 2025, l’Autorité européenne des marchés financiers (ESMA) a ouvert une consultation sans précédent pour disséquer chaque recoin de l’expérience vécue par les investisseurs particuliers sous l’empire de MiFID II. L’institution parisienne ne se contente plus de veiller, elle se met en examen : les règles qu’elle a façonnées protègent-elles encore ou, saturées de formulaires, détournent-elles l’épargnant des marchés ? Les réponses sont attendues d’ici au 21 juillet 2025, avant un verdict prévu à l’automne.
*CONTEXTE MACROÉCONOMIQUE ET POLITIQUE DE L’INITIATIVE*
Derrière cet appel à contributions se dessine le grand dessein de l’Union de l’Épargne et de l’Investissement (Savings & Investment Union) dévoilé par la Commission en mars 2025. Face à un besoin annuel d’investissement estimé entre 750 et 800 milliards d’euros pour accompagner la transition verte, la révolution technologique et la montée des dépenses de défense, il devient vital d’arracher les capitaux dormants aux dépôts bancaires : 31 % des actifs financiers des ménages de la zone euro contre 21 % aux États-Unis. Le Conseil et le Parlement négocient déjà le « Retail Investment Package » qui promet valeur-pour-argent, transparence et simplification. L’ESMA, bras technique du régulateur, doit fournir la cartographie des irritants qui freinent le flux des épargnants vers les marchés.
*LE PARCOURS DE L’INVESTISSEUR AU MIROIR DE MiFID II*
Depuis 2018, MiFID II impose une litanie de tests : adéquation pour les conseils, appropriation pour l’exécution seule, évaluations périodiques, alertes de perte de 10 %, rapports trimestriels, couches de frais décomposées à la virgule près. Ces exigences ont relevé le niveau de protection, mais leur prolifération bureaucratique a produit un effet de forêt opaque : trop de papier tue l’information. L’ESMA cherche donc à distinguer le noyau vital—connaître l’épargnant, l’avertir, le suivre—du feuillage redondant qui dissuade l’entrée sur le marché.
*BARRIÈRES NON RÉGLEMENTAIRES : PSYCHOLOGIE, CULTURE FINANCIÈRE ET COÛTS*
La consultation consacre un chapitre entier aux blocages qui échappent aux codes juridiques. Les Européens restent des « rentiers frileux » : peur de l’irrémédiable, mémoire des crises, perception de frais élevés et défiance envers les intermédiaires. L’enquête ESMA-TRV 2025 souligne la dispersion des comportements : quand les Estoniens investissent 71 % de leur patrimoine en actions et fonds, les Irlandais plafonnent à 16 %. Le régulateur veut comprendre si la clé réside dans la littératie financière, l’accès au conseil ou la simple disponibilité de produits plébiscités.
*LES JEUNES ET L’ÉLAN SPÉCULATIF : ENTRE FINFLUENCE ET GAMIFICATION*
Symétrie troublante : plus la machine réglementaire se perfectionne, plus la jeunesse numérique traverse la frontière vers les cryptomonnaies, les « meme stocks » et les produits à effet de levier. Applications mobiles ludiques, frais quasi nuls, narration virale de retours fulgurants : autant de sirènes qui réduisent les fonds actions classiques au rang d’antiquités poussiéreuses. L’ESMA interroge le rôle des « finfluenceurs », des algorithmes de recommandation et du marketing décentralisé – nouvelle agora où l’information circule sans filtre ni responsabilité.
*TRANSPARENCE ET SURCHARGE INFORMATIONNELLE*
MiFID II a fait de la clarté un absolu. Mais un absolu peut devenir tyrannie. Les documents d’information clés (KID PRIIPs), les tableaux de coûts et la cascade de rapports périodiques atteignent parfois plus de trente pages. Trop d’hyperliens, trop de fatalités statistiques ; l’investisseur décroche. Le régulateur s’intéresse aux solutions de « layering » : dévoiler d’abord l’essentiel en format mobile-first, reléguer la granularité dans des annexes interactives. L’enjeu : préserver la comparabilité tout en rendant la lecture supportable.
*VERS UNE RÉÉCRITURE DE L’ADÉQUATION ET DE L’APPROPRIÉTÉ*
Le questionnaire de connaissance, pivot des tests d’adéquation et d’appropriation, ressemble désormais à un examen sans correcteur. Rares sont les conseillers qui prennent le temps de transformer ces cases cochées en dialogue utile. L’ESMA envisage de coupler intelligence artificielle et entretien humain, substituant des modules pédagogiques dynamiques aux listes statiques. Elle sonde aussi la pertinence du signal de perte de 10 % déclenché en période de stress : alerte-t-on l’investisseur… ou le pousse-t-on à vendre au plus mauvais moment ?
*LE VIRAGE DURABLE : COMMENT INTÉGRER LES PREFERENCES ESG*
Depuis août 2022, les préférences de durabilité sont intégrées dans le devoir de conseil. Mais la taxinomie verte, les obligations de divulgation SFDR et les notations extra-financières forment un labyrinthe que même les professionnels peinent à déchiffrer. L’ESMA demande si l’on ne devrait pas hiérarchiser les préférences ESG : valeur-verte minimale, exclusion sectorielle, ou impact mesurable. L’objectif : éviter la caricature d’un questionnaire où neuf épargnants sur dix cochent « durable » par conformisme social.
*L’EXPÉRIENCE CROWDFUNDING ET PLATEFORMES DIGITALES*
Avec l’entrée en vigueur du règlement ECSPR fin 2023, l’Europe a doté le financement participatif d’un cadre unique. Test de connaissances, simulation de perte maximale, délai de réflexion : la panoplie s’inspire de MiFID II, mais s’adapte aux tickets souvent modestes. L’ESMA veut vérifier si ces garde-fous, utiles au néophyte, n’écrasent pas l’élan communautaire qui fait la richesse du modèle. Même interrogation pour les « super-apps » mêlant paiements, épargne et trading : à quel moment le parcours ludique bascule-t-il dans la vente complexe ?
*ENJEUX TRANSVERSAUX : AML, FISCALITÉ ET UNION DE L’ÉPARGNE*
Le régulateur pointe aussi des obstacles que la directive ne peut seule lever. Les procédures KYC inspirées par la lutte anti-blanchiment rebutent les petits comptes par leur caractère intrusif. L’hétérogénéité fiscale décourage l’investissement transfrontière : retenues à la source, crédits d’impôts, formulaires de remboursement. Le projet d’Helios—plate-forme européenne de restitution automatique—reste embryonnaire. Enfin, la nouvelle Union de l’Épargne envisage une gouvernance partagée entre ESMA, EIOPA, BEI et banques nationales de développement ; mais les rôles concrets restent flous, alimentant scepticisme et espoirs.
*CALENDRIER ET PERSPECTIVES RÉGLEMENTAIRES*
Les contributions recevront un premier écho dès le troisième trimestre 2025 : l’ESMA publiera son rapport synthèse, épaulée par les autorités nationales. Selon l’ampleur des problèmes révélés, trois scénarios se dessinent : ajustements techniques (Q&A, orientations), révision ciblée de MiFID II via actes délégués, ou intégration des solutions dans le futur règlement Retail Investment Package. La Commission, déjà engagée dans la simplification des reporting bancaires, pourrait soutenir une « one-stop-shop » numérique pour l’information précontractuelle, accessible sur tout écran européen.
*CONCLUSION*
L’Europe se trouve à la croisée des chemins : protéger sans étouffer, simplifier sans appauvrir l’information, ouvrir les marchés sans baisser la garde. Si l’ESMA réussit cette mue, la confiance—or invisible mais essentiel—pourrait enfin ramener l’épargnant vers la prise de risque raisonnée. La promesse est ambitieuse : transformer le « rentier assoupi » en investisseur éclairé, soutien d’une économie qui veut verdir, innover et se défendre. Reste au régulateur à écouter le terrain, puis à tailler dans le texte pour que la règle redevienne passerelle.
Lien : https://www.esma.europa.eu/press-news/esma-news/esma-asks-input-retail-investor-journey
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