EuroScope : la chaîne sur l’Europe
EuroScope : la chaîne sur l’Europe
May 25, 2025 at 10:17 AM
*VERS UN BUDGET EUROPÉEN VIVANT : LES RÉGIONS FACE AU RISQUE DE CENTRALISATION ET AU DÉFI DE LA RÉSILIENCE* Sur les travées du Parlement européen à Bruxelles, le 15 mai 2025, le Comité européen des régions (CdR) s’est dressé tel un contre-pouvoir territorial pour rappeler qu’aucune intégration continentale ne peut prospérer sans l’enracinement des politiques publiques dans la diversité des territoires. Sa résolution, consacrée au futur cadre financier pluriannuel (CFP) 2028-2034, trace le portrait d’une Europe confrontée à une double tension : la tentation d’une recentralisation budgétaire par le truchement de « plans nationaux uniques », et l’impératif d’une flexibilité accrue afin de répondre aux crises climatiques, sécuritaires et économiques qui ponctuent notre époque. Les élus locaux et régionaux appellent à une refondation du budget de l’Union autour du principe de subsidiarité, d’une palette élargie de ressources propres et d’un mécanisme d’urgence robuste. Cette prise de position, loin d’être un simple débat technique, engage la soutenabilité politique du projet européen et l’efficacité concrète de ses politiques sur le terrain. *LE CADRE POLITIQUE ET INSTITUTIONNEL DU PROCHAIN CFP* Le CFP fixe un plafond de dépenses pour une période de sept ans ; il est négocié à l’unanimité des États puis adopté à la majorité du Parlement européen. Le cycle 2021-2027, gonflé par le plan exceptionnel NextGenerationEU, a déjà montré ses limites : près de 90 % des crédits furent pré-engagés dès l’adoption, laissant peu d’oxygène pour les urgences ultérieures. Or, entre la pandémie, l’agression russe contre l’Ukraine, l’inflation énergétique et les incendies de l’été 2023, l’Europe a dû bricoler de nouveaux instruments (REPowerEU, SAFE, fonds d’aide aux réfugiés) en marge du cadre initial. C’est dans cette mémoire récente que s’inscrit l’appel des régions : il ne s’agit pas seulement d’obtenir une part du gâteau, mais de rebâtir la recette afin que le budget puisse évoluer comme un organisme vivant. *LE DÉBAT SUR LA SUBSIDIARITÉ : ENTRE UNITÉ ET DIVERSITÉ* Dans le brouhaha post-pandémique, la Commission européenne a avancé l’idée d’un « plan national unique » fusionnant pour chaque État membre la politique de cohésion, la politique agricole et les programmes liés à la transition verte et numérique. L’objectif : simplifier les flux financiers, conditionner les déboursements à l’atteinte de jalons mesurables, limiter la fragmentation administrative. Pour le CdR, cette approche technocratiquement séduisante signerait un recul de la subsidiarité. Les présidents de régions côtières font valoir que les priorités d’adaptation à la montée des eaux diffèrent radicalement de celles des régions continentales; les Länder industriels rappellent que la reconversion d’une vallée sidérurgique ne peut être pilotée depuis la seule capitale. En défendant la « polyphonie territoriale », le CdR soutient que l’Union se renforce lorsqu’elle écoute la pluralité des besoins locaux et organise un dialogue triangulaire : Commission – États – régions. *LA FLEXIBILITÉ BUDGÉTAIRE COMME GARANT DE LA RÉSILIENCE EUROPÉENNE* Le concept de flexibilité ne se confond pas avec le laxisme : il désigne la capacité d’ajuster les enveloppes en fonction d’événements imprévus sans ouvrir un marathon de révisions. Actuellement, la réserve d’urgence annuelle plafonne à 0,03 % du RNB de l’Union ; une catastrophe climatique d’ampleur moyenne l’épuise en quelques jours. Le CdR propose d’instaurer un « Fonds de résilience territoriale » doté a minima de 10 milliards d’euros par an, réaffectable — sur décision conjointe du Parlement et du Conseil — aux régions touchées par les chocs climatiques, les crises sanitaires ou les ruptures d’approvisionnement stratégique. Un tel instrument, adossé à des critères de déclenchement transparents, encouragerait les collectivités à élaborer en amont des plans de continuité territoriale et renforcerait la visibilité politique de l’action européenne au cœur des urgences locales. *VERS DES RESSOURCES PROPRES PLUS AMBITIEUSES ET PLUS JUSTES* La soutenabilité de la dette commune contractée pour NextGenerationEU impose dès 2028 un prélèvement annuel évalué à plus de 30 milliards d’euros. Sans recettes nouvelles, cette charge rongerait le financement des priorités futures. Le CdR rejoint donc le Parlement qui milite pour un triptyque de ressources propres : une contribution sur les bénéfices des géants numériques inspirée de l’OCDE, une part accrue du revenu issu du système d’échange de quotas d’émission (ETS II) et la montée en puissance du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF). L’innovation fiscale consisterait à orienter une part de ces recettes directement vers les programmes territoriaux, articulant ainsi la justice climatique, la compétitivité industrielle et la cohésion régionale. *IMPACT SUR LA COHÉSION ET LES POLITIQUES STRUCTURELLES* Le débat ne se limite pas aux chiffres ; il touche la philosophie du développement équilibré. Depuis 1988, la politique de cohésion incarne une promesse d’égalisation des chances économiques. Or, si un plan national unique absorbait la logique des programmes régionaux, la granularité fine des investissements (transports locaux, PME, formation professionnelle) risquerait de céder le pas aux grandes infrastructures portées par les gouvernements centraux. Le CdR souligne que la valeur ajoutée européenne ne se mesure pas seulement aux mégaprojets transfrontaliers : elle rayonne aussi dans la rénovation d’un lycée technique en Mecklembourg ou la modernisation d’un réseau de bus à hydrogène en Andalousie. Redonner aux autorités de gestion régionales des marges de programmation sectorielle assure la pertinence des fonds et préserve l’engagement citoyen dans la construction européenne. *LA DIMENSION SÉCURITAIRE ET DÉFENSE DANS LE CFP 2028-2034* Les crises géopolitiques récentes ont propulsé la question de la défense européenne au rang de priorité budgétaire. Le CdR reconnaît la nécessité d’investissements massifs dans les capacités industrielles communes, mais il prévient : la défense du territoire passe aussi par la résilience civile — protections anti-inondation, infrastructures critiques décarbonées, cybersécurité locale — qui relève de la compétence directe des collectivités. Négliger cette dimension reviendrait à bâtir un bouclier de haute altitude tout en oubliant les fondations. Dans un CPF plus flexible, une réserve pour la sécurité intérieure et la résilience civile permettrait d’articuler les efforts militaires avec l’adaptation quotidienne des territoires aux menaces hybrides. *PROSPECTIVE : SCÉNARIOS D’ÉVOLUTION DU BUDGET EUROPÉEN* D’ici au second semestre 2027, trois scénarios se dessinent : — Le scénario de statu quo centralisateur, où les États acceptent un plan unique en échange d’une hausse modeste du plafond de dépenses ; les régions restent dépendantes des arbitrages nationaux. — Le scénario de fédéralisation partielle, où de nouvelles ressources propres sont affectées directement à un « pilier territorial du budget », géré en codécision par les institutions de l’UE et les autorités régionales ; la flexibilité est renforcée par un fonds de résilience. — Le scénario de renationalisation budgétaire, poussé par certains gouvernements prudents, réduisant l’enveloppe de cohésion à un filet minimal ; les régions devraient se tourner vers des partenariats public-privé pour combler le manque. Le CdR plaide ouvertement pour la seconde voie, estimant qu’elle conjugue responsabilité budgétaire, gouvernance à plusieurs niveaux et légitimité démocratique. *IMPLICATIONS POUR LES COLLECTIVITÉS : OPPORTUNITÉS ET EXIGENCES* Si la flexibilité budgétaire et les ressources propres se concrétisent, les collectivités devront toutefois relever un double défi : d’une part, rehausser leur capacité d’absorption financière grâce à des stratégies pluriannuelles robustes ; d’autre part, renforcer la transparence et l’évaluation ex post des projets, condition sine qua non d’un budget plus malléable. Le CdR envisage la création d’un « label régional européen de bonne gouvernance », récompensant les entités capables de combiner innovation politique, gestion irréprochable et impact socio-économique démontré. *CONCLUSION* À la croisée des chemins, l’Union européenne doit choisir entre un modèle budgétaire figé, vulnérable aux secousses d’un monde incertain, et une architecture respirante, capable de déployer rapidement ses ressources là où les citoyens vivent, travaillent et affrontent les crises. En défendant la subsidiarité intelligente, la flexibilité financière et des ressources propres solides, le Comité européen des régions rappelle avec force que la cohésion territoriale n’est pas un luxe provincial ; elle est l’ossature qui soutient l’ambition globale de l’Europe. Le prochain CFP devra ainsi marier la rigueur d’une vision stratégique continentale à la libre danse des initiatives locales — comme un orchestre où chaque instrument, du violon rural à la trompette métropolitaine, trouve sa place pour former l’harmonie européenne. https://cor.europa.eu/en/news/eu-budget-post-2027-regions-and-cities-warn-only-decentralised-long-term-investment-can-tackle #budgetue #cfp2028 #cdr #subsidiarité #cohésion #flexibilitébudgétaire #ressourcespropres #euroscope

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