EuroScope : la chaîne sur l’Europe
EuroScope : la chaîne sur l’Europe
May 27, 2025 at 04:50 PM
*MARCHÉ EUROPÉEN DU CARBONE : VERS UNE DÉCENNIE D’INCERTITUDE ET D’AMBITION* Au cœur des mécanismes de la transition climatique européenne, le Système d’échange de quotas d’émission (EU ETS) vacille entre maturité et doute. Le rapport que la Commission a rendu public le 13 mai jette une lumière crue sur les défis qui surgiront après 2030. Les quotas se raréfient, les prix du carbone se cabrent, la Réserve de stabilité du marché (MSR) chancelle, tandis que s’avancent les ombres d’une fuite de carbone et d’inégalités sociales que le nouvel ETS 2 pourrait exacerber. Cette étude propose une lecture approfondie, triplement élargie, de ces enjeux, en scrutant l’avenir du marché du carbone à l’aune de la neutralité climatique 2050. *UN CAP QUI SE RESSERRE, UNE RESPIRATION PLUS COURTE* L’ambition législative gravée dans le Fit-for-55 impose une réduction de 62 % des émissions couvertes par l’ETS 1 d’ici 2030 par rapport à 2005 : la ligne d’abattement linéaire grimpe à 4,3 % l’an, puis 4,4 % après 2028. Cette cadence, d’apparence arithmétique, se traduit dans la réalité économique par une contraction brutale de l’offre de quotas : une double « rebasing » retranche 117 millions d’unités dès 2026. À mesure que le plafond se referme, la marge de manœuvre des entreprises se réduit, exacerbant la concurrence pour des allocations déjà étiolées. Cette raréfaction, si elle n’est pas accompagnée de sa jumelle – l’innovation bas-carbone – risque de propulser le signal-prix à des hauteurs spéculatives et de perturber la planification des investissements lourds. *VOLATILITÉ TARIFAIRE : LE SOUFFLE DU DRAGON* Le prix du carbone, jadis somnolent, s’est éveillé pour dépasser les 100 €/t-CO₂ début 2024 avant de refluer sous l’effet d’une croissance morose. Cette nervosité épouse deux ressorts : d’un côté, l’anticipation des resserrements réglementaires ; de l’autre, le ballet des acteurs financiers, dont les volumes sur produits dérivés égalent désormais ceux des industriels. Une secousse conjoncturelle – ralentissement chinois, conflit énergétique ou envolée des taux – suffit à inverser la courbe et à priver les gouvernements de recettes attendues. Au-delà du risque budgétaire, l’instabilité fragilise l’équité : les projets décarbonés les plus coûteux sont reportés, tandis que ceux qui disposent de capitaux abondants engrangent des rentes soudaines. *RÉSERVE DE STABILITÉ : ENTRE CURE D’AMAIGRISSEMENT ET SATURATION* Instituée pour absorber l’excédent post-crise de 2008, la MSR incarne le poumon régulateur du marché. Or, son algorithme fondé sur le nombre total de quotas en circulation risque la crise d’asthme : à mesure que les acteurs bancarisent des permis par prudence, la réserve aspire et annule des volumes plus vastes que prévu, accentuant la tension qu’elle devait apaiser. À l’inverse, une récession libérerait brutalement des quotas et écraserait le prix. Dépourvue de garde-fou tarifaire, la MSR apparaît comme un métronome d’un autre âge ; nombreux sont ceux qui plaident pour un corridor de prix indexé sur la trajectoire climatique, afin que la stabilité quantitative s’adosse à une prévisibilité financière. *INTÉGRATION DES ÉMISSIONS NÉGATIVES : PROMESSE OU PIÈGE ?* Au-delà de 2030, l’UE envisage d’intégrer des absorptions de CO₂ – captage direct, BECCS, puits naturels – afin de compenser les reliquats industriels. Le rapport avertit pourtant : les Carbone Dioxide Removals manquent encore de fiabilité, leur comptabilité flirte avec l’illusion, et l’inversion future des puits ferait naître une dette carbone héréditaire. Introduire ces crédits dans l’ETS sans garde-fous reviendrait à diluer la rareté des quotas et à offrir un alibi aux secteurs lents à se transformer. La question n’est plus de savoir s’il faut des émissions négatives, mais quand et selon quelles garanties de permanence, d’additionnalité et de traçabilité. *ETS 2, BÂTIMENTS ET TRANSPORTS : LA JUSTICE SOCIALE À L’ÉPREUVE* En 2027, l’ETS 2 fera payer le carbone des carburants routiers et du chauffage domestique. Les ménages modestes consacrent déjà une part record de leurs revenus à l’énergie : une hausse de 10 c€/l de carburant rogne jusqu’à 1 % de leur budget. Le Social Climate Fund, né pour amortir le choc, ne pèsera au mieux que 65 milliards € sur la décennie, soit l’équivalent de deux hivers de factures allégées. Sans ciblage fin ni simplification administrative, l’aide risque d’être trop lente ou trop dispersée. La mise en place de contrats de transition pour la rénovation thermique, couplée à des chèques carburant dégressifs, pourrait conjuguer justice immédiate et bascule durable vers l’efficacité. *FUITES DE CARBONE MALGRÉ LE CBAM : LE CONTREBANDIER DES ÉMISSIONS* Le Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (CBAM) devait clore la porte aux importations à bas coût carbone. Le rapport souligne pourtant les failles : périmètre limité à quelques matériaux bruts, absence de mesures sur l’export et risque de « reshuffling » des chaînes d’approvisionnement. L’écart d’ambition entre CORSIA, futur mécanisme maritime et l’ETS laisse entrevoir des voies de fuite pour l’acier, le ciment ou l’aluminium vers des hubs extraterritoriaux. Sans harmonisation graduelle des prix carbone mondiaux, le CBAM restera un parapet percé. *FINANCEMENT : DE LA RENTE AU MARCHÉ DE LA DETTE CARBONE* Le resserrement progressif de la cagnotte des quotas tarira la manne budgétaire que les États membres allouent à la transition : 45 milliards € en 2023, peut-être la moitié en 2030. Le rapport suggère une bascule vers des obligations vertes adossées au flux futur de quotas : transformer la rente en dette pour préfinancer l’innovation, lisser la dépendance aux enchères et préparer l’ère post-ETS, quand les allocations auront disparu. Cette métamorphose financière nécessitera une autorité carbone dotée d’un mandat clair, capable de gérer à la fois la stabilité de marché et la solvabilité long terme des projets négatifs. *CONCLUSION* À l’horizon post-2030, le marché européen du carbone entre dans une zone de turbulence où se mêlent exigences climatiques, fragilités sociales et rivalités géopolitiques. Accélérer la réduction des quotas sans dompter la volatilité reviendrait à sablier la confiance industrielle ; introduire prématurément des émissions négatives ouvrirait la brèche de la complaisance. Le salut repose sur une refonte institutionnelle – corridor de prix, banque carbone, filet social agile – et sur une diplomatie du carbone qui conjugue fermeté interne et coopération extérieure. C’est à ce prix que l’ETS conservera sa vocation première : transformer le souffle invisible du marché en colonne vertébrale d’une Europe climatiquement souveraine et socialement unie. https://aeur.eu/f/gux #marcheducarbone #euets #transitionjuste #climat #euroscope https://buymeacoffee.com/euroscope

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