
EuroScope : la chaîne sur l’Europe
May 27, 2025 at 05:12 PM
*RÉINVENTER LA COMMANDE PUBLIQUE EUROPÉENNE : DE LA CONCURRENCE AU BIEN COMMUN*
Le 13 mai 2025, sous la verrière lumineuse de la salle Antall 6Q1 du Parlement européen, une effervescence singulière annonçait l’aube d’une métamorphose. À l’invitation de l’intergroupe Social Economy Europe, commissaires, ministres, députés, entrepreneurs sociaux et universitaires se sont réunis pour jeter les fondations d’une réforme ambitieuse : revisiter les directives « marchés publics » et « concessions » de 2014, ces piliers qui régissent le flot annuel de près de deux mille milliards d’euros de dépenses publiques dans l’Union. L’enjeu n’est plus seulement de garantir la libre concurrence, mais d’élever la commande publique au rang d’outil souverain au service du progrès social, de la transition écologique, de la relance industrielle, de la cohésion territoriale et de la souveraineté européenne.
*CONTEXTE HISTORIQUE ET POLITIQUE*
Depuis trois décennies, la législation européenne sur les marchés publics poursuit un idéal né des traités : l’ouverture, la transparence et la non-discrimination. À partir de 2004 puis surtout de 2014, l’Union a fixé un cadre harmonisé, instaurant la publicité électronique, le dialogue compétitif et des outils anticorruption. Pourtant, la crise financière de 2008, la pandémie de 2020 et les bouleversements géopolitiques de 2022-2024 ont montré les limites d’un modèle cantonné au prix le plus bas. La dépendance stratégique vis-à-vis de fournisseurs extra-européens, les tensions sur les matières premières critiques, la difficulté à mobiliser l’achat public pour la neutralité climatique ou la justice sociale ont nourri l’appel à un changement de paradigme.
En décembre 2024, la Commission a lancé une consultation paneuropéenne dont les réponses, closes en mars 2025, ont fait émerger une conviction partagée : la commande publique doit devenir un levier stratégique, capable d’orienter les capitaux publics vers la réindustrialisation durable, la création d’emplois de qualité et la réduction des inégalités régionales. Cette prise de conscience irrigue désormais le programme « Une Europe plus prospère et plus juste » porté par l’Exécutif communautaire.
*PRIORITÉ DE LA COMMISSION : RÉORIENTER LA DÉPENSE PUBLIQUE*
Roxana Minzatu, vice-présidente en charge des Droits sociaux et des Compétences, l’a affirmé avec la ferveur d’une tribune : chaque euro public doit fertiliser l’économie réelle, soutenir les entreprises qui partagent la destinée collective et dessiner un avenir soutenable. Le critère-prix, jadis seul capitaine, n’est plus qu’une composante d’une équation plus vaste où interviennent l’empreinte carbone, l’inclusion des personnes éloignées de l’emploi, la résilience des chaînes d’approvisionnement, la capacité d’innovation et le statut de l’entreprise (coopérative, mutuelle, société à mission).
Cette ambition exige un cadre juridique qui sécurise les acheteurs lorsqu’ils privilégient la valeur sociétale ou environnementale : sans sécurité juridique, la frilosité administrative découragerait toute audace. La réforme promet donc d’inscrire dans le dur de la directive la possibilité – voire l’obligation graduée – d’utiliser des critères qualitatifs pondérés de manière significative.
*SIMPLIFICATION DES PROCÉDURES ET NUMÉRISATION TOTALE*
Valentina Schaumburger, au nom du cabinet du vice-président Stéphane Séjourné, a dévoilé la boussole technique : alléger le poids procédural et réduire les coûts de transaction, notamment pour les PME qui représentent 99 % des entreprises européennes mais captent à peine un quart de la commande publique transfrontalière. La future directive entérinera la généralisation des formulaires électroniques normalisés, l’interopérabilité des bases de données nationales, un passeport européen unique de qualification et l’automatisation du contrôle de capacité financière.
Cette dématérialisation intégrale vise un triple objectif : abaisser les barrières à l’entrée, accélérer l’attribution des contrats et accroître la transparence en temps réel. À terme, chaque procédure – de la publication à l’exécution – sera traçable sur une plateforme européenne interopérable, offrant aux citoyens, journalistes et autorités de contrôle une visibilité instantanée sur l’usage des fonds publics.
*INTÉGRATION DES OBJECTIFS SOCIAUX ET ENVIRONNEMENTAUX*
Dans la structure actuelle, la pondération excessive du prix peut aboutir à une concurrence déloyale : dumping social, sous-traitance incontrôlée, émissions cachées, évasion fiscale. Alain Coheur, du Comité économique et social européen, a plaidé pour une transformation radicale : inclure des critères à forte teneur sociale et écologique, assortis d’indicateurs vérifiables, tels que le réinvestissement des bénéfices dans la communauté, la traçabilité des chaînes de valeur, ou la réduction mesurable des émissions de CO₂ sur le cycle de vie.
La réforme envisage de rendre ces critères structurels : non seulement en autorisant les acheteurs à leur conférer un poids prépondérant, mais aussi en créant un cadre de contrôle a posteriori pour s’assurer que les engagements pris lors de l’appel d’offres se traduisent en résultats concrets durant l’exécution du marché. Cette « conditionnalité de performance » transformera la commande publique en contrat de confiance et non plus en simple transaction ponctuelle.
*FORMATION ET PROFESSIONNALISATION DES POUVOIRS ADJUDICATEURS*
Sans compétences internes solides, la plus belle architecture juridique reste inaudible. Irene Tinagli, présidente de la commission ECON, a insisté sur la nécessité d’un plan continental de formation. Celui-ci reposerait sur trois piliers : un tronc commun de connaissances juridiques (droit européen, jurisprudence, mécanismes de recours), un module d’expertise technique (analyse du cycle de vie, calcul du coût global de possession, clauses sociales) et un mentorat interadministrations.
La Commission prévoit la création d’un « Academy of Public Buyers », plateforme numérique multilingue proposant des cours certifiants, des études de cas interactives et une bourse d’échanges entre acheteurs publics. Ce campus virtuel sera complété par des pôles régionaux – Berlin, Barcelone, Brno, Bruxelles – chargés d’organiser des séminaires en présentiel et de constituer des communautés de pratique sectorielles, de l’énergie à la santé.
*HARMONISATION DES RÈGLES ET RÔLE DU SOFT LAW*
Face à l’urgence climatique et industrielle, plusieurs gouvernements et fédérations professionnelles appellent à l’émission rapide de lignes directrices non contraignantes ; elles préciseraient notamment la hiérarchie des critères qualitatifs et sécuriseraient la diminution de la centralité du prix. La DG GROW étudie la publication d’un « Guide pratique de l’achat public à haute valeur ajoutée » avant la fin 2025. Cet instrument de soft law accompagnerait la montée en puissance de la future directive dont l’adoption législative n’est attendue qu’en 2026.
Parallèlement, l’Autorité européenne des marchés publics (future EMAPA) pourrait voir le jour ; dotée d’un pouvoir consultatif, elle émettrait des avis contraignants sur les clauses innovantes et jouerait un rôle d’organe de règlement extrajudiciaire en cas de litiges transfrontaliers.
*CALENDRIER LÉGISLATIF PRÉVISIONNEL*
– Automne 2025 : publication d’une communication interprétative précisant l’usage de critères sociaux et environnementaux et lançant un projet pilote d’achats conjoints paneuropéens pour les bus zéro-émission.
– Printemps 2026 : adoption par la Commission d’un paquet législatif fusionnant les directives 2014/24, 25 et 23, introduction d’une obligation graduée de critères qualitatifs et d’un seuil de 40 % de valeur verte ou sociale pour les marchés supérieurs à 50 millions d’euros.
– 2027-2028 : transposition par les États membres, montée en puissance de l’Academy of Public Buyers et première revue d’application.
– 2030 : objectif de 100 % des marchés publics intégrant au moins un critère environnemental ou social substantiel et réduction de 30 % des émissions totales liées aux achats publics dans l’UE.
*ENJEUX POUR LES PME, L’ÉCONOMIE SOCIALE ET LES TERRITOIRES*
La réforme entend corriger un paradoxe : les PME et les entreprises de l’économie sociale, souvent plus innovantes, plus proches des territoires et créatrices d’emplois locaux, demeurent sous-représentées dans les contrats publics de grande envergure. La simplification documentaire, l’allotissement intelligent, le recours à des clauses de sous-traitance responsable et la création de plateformes régionales de sourcing doivent ouvrir les portes des marchés à ces acteurs.
Par ailleurs, l’introduction d’indicateurs de retombées territoriales pourrait rééquilibrer la géographie industrielle, évitant que les grands appels d’offres ne se concentrent toujours dans les mêmes bassins économiques. Une clause de « retour local », évaluée en emploi qualifié, en formation et en fiscalité, participerait à la résilience des régions en transition.
*COMPARAISON INTERNATIONALE ET DIMENSION GÉOPOLITIQUE*
Alors que les États-Unis déploient le Buy American Act et que la Chine multiplie les préférences nationales, l’Union doit concilier ouverture des marchés et réciprocité. La réforme des directives s’accompagnera d’un volet externe : l’instrument international d’approvisionnement (IPI) sera renforcé pour garantir une égalité d’accès aux marchés publics des pays tiers. Parallèlement, la politique commerciale intégrera des clauses miroirs, exigeant des partenaires qu’ils adoptent des standards sociaux et environnementaux comparables, sous peine d’exclusion des appels d’offres européens.
En interne, l’adhésion des pays candidats aux règles renforcées de commande publique deviendra un test de maturité institutionnelle, tandis que l’UE exploitera l’achat conjoint pour consolider son autonomie stratégique dans les secteurs critiques : semi-conducteurs, défense, santé, énergies renouvelables.
*CHALLENGES ET RISQUES À ANTICIPER*
Cet horizon enthousiasmant n’est pas exempt de menaces. Trop de critères qualitatifs mal hiérarchisés risqueraient d’alourdir les procédures et de décourager le marché, tandis qu’une complexité excessive ferait peser un fardeau supplémentaire sur les petites collectivités. La pénurie d’experts capables d’évaluer les offres innovantes pourrait aussi retarder l’attribution des contrats. Enfin, la normalisation de la donnée exige de vastes investissements dans l’infrastructure numérique et la cybersécurité pour protéger les informations confidentielles.
*CONCLUSION*
La commande publique n’est plus un simple mécanisme d’achat ; elle devient la cathédrale où s’architecte la société européenne de demain. En choisissant de réconcilier la performance économique avec la quête du bien commun, l’Union trace un sillon nouveau : celui d’une puissance qui se donne les moyens réglementaires, financiers et techniques d’orienter ses marchés vers la prospérité partagée. Les paragraphes de la future directive écriront bien plus qu’une réforme juridique ; ils sculpteront un pacte de confiance entre les citoyens, leurs institutions et la planète, scellant la vocation humaniste d’une Europe pionnière et solidaire.
https://www.socialeconomy.eu.org/2025/04/14/13-may-2025-revision-of-the-public-procurement-directives-setting-the-scene-for-social-economy-services-of-general-interest-the-eu-event-at-the-european-parliament/
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