
EuroScope : la chaîne sur l’Europe
May 28, 2025 at 09:42 AM
*MATIÈRES PREMIÈRES CRITIQUES : L’AGENCE INTERNATIONALE DE L’ÉNERGIE SONNE L’ALARME SUR LA DÉCENNIE À HAUT RISQUE*
En publiant son Global Critical Minerals Outlook 2025, l’Agence internationale de l’Énergie lève le voile sur un paradoxe saisissant : jamais la transition énergétique n’aura autant dépendu d’une poignée de métaux, jamais ces mêmes métaux n’auront été extraits, raffinés et même recyclés par un cercle de pays aussi restreint. De la future flotte mondiale de véhicules électriques aux réseaux haute tension qui dessineront la civilisation bas-carbone, cuivre, lithium, nickel, cobalt, graphite et terres rares forment la colonne vertébrale minérale de l’électrification. Or cette colonne vertébrale menace déjà la stabilité d’une économie planétaire engagée dans une course contre la montre climatique.
*UN DÉSÉQUILIBRE STRUCTUREL QUI S’ACCENTUE*
Les chiffres de l’AIE dévoilent une demande qui flambe : plus 30 % pour le lithium en 2024, une poussée inédite pour le cuivre tirée par l’expansion des réseaux chinois, et une croissance soutenue de 6 à 8 % pour nickel, cobalt, graphite ou terres rares. Pourtant, l’investissement minier s’est essoufflé : +5 % seulement en 2024, contre +14 % un an plus tôt, et à peine +2 % en valeur réelle lorsque l’on corrige l’inflation des coûts. Les forages d’exploration marquent le pas, particulièrement pour le nickel et le cobalt, tandis que les cours boudés par les investisseurs retombent à leurs niveaux pré-pandémiques.
*CONCENTRATION, LE TALON D’ACHILLE DE LA CHAÎNE DE VALEUR*
À l’ère du multilatéralisme fracturé, la géopolitique s’invite au cœur des bilans de matières. En amont, la République démocratique du Congo règne sur le cobalt, l’Indonésie sur le nickel, l’Australie et le Chili sur le lithium, quand les terres rares, le graphite et la plus grande part de la production de cuivre raffinée restent dominés par la Chine. En aval, la dépendance est encore plus criante : 86 % des capacités de raffinage de l’ensemble des métaux énergétiques sont concentrées entre trois puissances, la Chine disposant d’un quasi-monopole pour le cobalt, le graphite, les aimants permanents et le recyclage de batteries.
*DES INVESTISSEMENTS QUI NE SUIVENT PAS LA VITESSE DE L’ÉLECTRIFICATION*
Selon l’AIE, même si tous les projets annoncés aboutissaient dans les délais, l’horizon 2035 verrait encore un déficit de 30 % pour le cuivre, tandis que le lithium basculerait dans une tension chronique dès les années 2030 par l’effet conjugué de l’essor automobile et du stockage stationnaire. La raréfaction des gisements à haute teneur, l’inflation du capital et les délais règlementaires rallongés constituent autant d’obstacles que seule une politique publique volontariste pourra lever : procédures d’autorisation raccourcies, garanties d’enlèvement, mécanismes de stabilisation des prix, financement mixte et partage de risque avec les États.
*UN MARCHÉ FRAGILISÉ PAR LE RETOUR DES RESTRICTIONS À L’EXPORT*
Depuis 2023, gallium, germanium, antimoine, tungstène, indium ou encore sept éléments des terres rares ont successivement fait l’objet de contrôles à l’export en Chine, tandis que la RDC suspendait la vente de cobalt pour enrayer la chute des cours. Plus de la moitié du spectre stratégique des métaux liés à l’énergie est désormais soumis à une mesure de restriction commerciale. Dans une simulation de choc d’approvisionnement, l’AIE projette une hausse jusqu’à 50 % du prix des batteries, élargissant le fossé compétitif avec la Chine et compliquant la diversification industrielle hors d’Asie.
LES DÉFIS PARTICULIERS DE L’EUROPE
L’Union européenne s’est dotée d’un Critical Raw Materials Act, d’un Net-Zero Industry Act et d’alliances industrielles pour sécuriser lithium, matières magnétiques ou terres rares. Pourtant, l’écart d’attractivité persiste, les projets européens supportant des coûts d’investissement supérieurs de moitié à ceux des pays leaders. Il faudra donc compléter la palette d’outils : contrats pour différence pour lisser la volatilité, volumes garantis via la commande publique, normes d’accès préférentiel dès lors que la traçabilité sociale et environnementale est prouvée. Surtout, le Vieux Continent devra tisser des partenariats triangulaires liant pays ressources, savoir-faire de raffinage et marchés acheteurs afin de créer des chaînes de valeur équilibrées, de l’océan Indien au Bouclier canadien.
*L’INNOVATION COMME BOUÉE DE SAUVETAGE*
L’exploitation automatisée, l’extraction directe de lithium en saumure, le retraitement des résidus miniers, le recyclage avancé et la fabrication de graphites synthétiques à partir de procédés bas-carbone constituent autant de ruptures capables de débloquer l’équation. À titre d’exemple, l’intelligence artificielle appliquée à l’exploration pourrait quadrupler les taux de découverte tout en divisant par deux le coût du forage. Mais les technologies nouvelles n’effacent pas les réalités physiques : pour chaque gigawatt solaire, il faudra toujours du cuivre, et pour chaque voiture électrique, toujours davantage de lithium.
*PERSPECTIVE D’UN NOUVEAU « CHOC DES MÉTAUX »*
Si rien n’est fait au-delà des déclarations d’intention, le monde pourrait affronter non pas un choc pétrolier, mais un choc des métaux, où l’interruption d’une seule mine, d’un seul port ou d’une seule usine de raffinage suffirait à enrayer la décarbonation planétaire. À l’inverse, des politiques industrielles coordonnées, des standards durables et un partage équitable de la valeur entre extracteurs, transformateurs et consommateurs peuvent encore dessiner une géographie minérale plus résiliente, inclusive et respectueuse des communautés locales.
*CONCLUSION*
La décennie 2025-2035 sera le juge de paix : soit l’humanité sécurise un bouquet de métaux critiques diversifié, responsable et circulaire, capable d’alimenter les pompes à chaleur, les réseaux électriques et les batteries sans créer de nouvelles dépendances toxiques ; soit elle s’englue dans des ruptures d’approvisionnement, synonymes de renchérissement du coût de la transition et de retour en force des énergies fossiles. Entre effervescence géologique, diplomatie des minéraux et innovation de rupture, l’Europe joue ici son autonomie stratégique, sa crédibilité climatique et son avenir industriel.
https://www.iea.org/reports/global-critical-minerals-outlook-2025
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