
EuroScope : la chaîne sur l’Europe
May 29, 2025 at 01:12 PM
*RUSSIAFROQUE : LES PARADOXES DES SANCTIONS OCCIDENTALES SUR LA DYNAMIQUE COMMERCIALE ET ÉNERGÉTIQUE RUSSIE–AFRIQUE SUBSAHARIENNE*
À l’orée des années 2010, alors que la Fédération de Russie pansait les plaies de l’implosion soviétique, l’Afrique subsaharienne faisait irruption dans ses radars géo-économiques. Moscou croyait pouvoir y renouer, à moindres frais, la trame d’une présence jadis portée par l’appareil idéologique du Kremlin. Une décennie plus tard, la guerre d’Ukraine et le maelström de sanctions occidentales ont bouleversé ce timide rapprochement : investissements en panne, commerce sous cloche, mais diplomatie économique plus bruyante que jamais. Ce paradoxe révèle à la fois la résilience tactique du Kremlin, la tentation non-alignée de nombreux États africains et la nécessité, pour l’Europe, de conjuguer coercition financière et pédagogie politique à destination des tiers.
*RENAISSANCE TIMIDE : 2010-2022, L’ÂGE D’OR DES PROJETS EXTRACTIFS*
Au sortir des années 2000, les conglomérats russes – des compagnies minières aux majors pétro-gazières – repèrent dans la frange australe et le golfe de Guinée un eldorado de substitution. Dans l’Angola diamantifère, Alrosa se hisse au capital de Catoca, deuxième mine gemmifère du globe. Au Zimbabwe, le consortium Great Dyke Investment, adossé à Vi Holdings, Rostec et Vnesheconombank, décroche en 2014 un gisement platinifère estimé à trois milliards de dollars. Plus au nord, Lukoil empile les participations offshore : Marine XII au Congo-Brazzaville, Pecan au Ghana, Etinde au Cameroun, sans oublier la zone nigériane d’Oml-140.
Dans le même temps, la balance commerciale – 22 milliards de dollars en 2021 – reste modeste mais profitable pour Moscou : engrais, produits raffinés, tubes d’acier, armes et hélicoptères d’attaque MI-35 nourrissent un excédent structurel. L’Afrique subsaharienne absorbe entre 40 % et 50 % des exportations d’armement russes, ce qui convertit chaque contrat en levier diplomatique.
*LE COUP DE FREIN : SANCTIONS, OPACITÉ ET RÉALITÉ DES CHIFFRES*
La cascade de sanctions qui s’abat dès 2014 puis s’amplifie après février 2022 tarit les lignes de crédit, prive les majors russes de technologies amont et pousse plusieurs projets au point mort. Vi Holdings largue les amarres au Zimbabwe. Nornickel cède Nkomati en Afrique du Sud. Alrosa se retire d’Angola sous l’injonction du Trésor US. À Maputo, Gazprombank, embourbé dans le scandale des dettes cachées, voit ses ambitions liquéfiées.
Côté commerce, l’opacité s’installe. Rosoboronexport vend moins d’armements, faute de pièces certifiées. En revanche, le plafonnement occidental du baril russe libère un véritable filon d’or noir : via une flotte fantôme battant pavillon libérien, panaméen ou ghanéen, le gasoil russe à bas prix inonde Lomé, Abidjan, Mombasa ou Durban. Litasco déménage à Dubaï et des traders-écrans – Coral Energy, Paramount Energy – surgissent dans les zones franches.
*LA TACTIQUE DU BLÉ ET DE L’OR : PUISSANCE ALIMENTAIRE, LEVIER MONÉTAIRE*
Pour compenser l’effritement militaro-industriel, le Kremlin brandit le double argument du blé et de l’or. En 2024, près de 200 000 tonnes de céréales gratuites accostent à Mogadiscio, Bangui, Ouagadougou : un geste moins humanitaire que politique censé démontrer l’inefficacité du blocus occidental. Côté aurifère, la Russie aiguise sa stratégie de « réserves parallèles » : NordGold sécurise de nouveaux permis au Burkina Faso, tandis que le groupe Wagner – rebaptisé Africa Corps – continue de siphonner les placers centrafricains. Le tout transite vers les raffineries dubaïotes, puis alimente les coffres de la Banque de Russie, contournant ainsi les sanctions sur ses avoirs.
*PERSISTANCE DU DISCOURS ÉNERGÉTIQUE : L’AFRIQUE RÊVÉE DE MOSCOU*
Malgré le reflux capitalistique, Moscou multiplie forums et chambres de commerce. En 2024, la Chambre Afrique-Russie-Eurasie ouvre à Dakar ; un business forum se tient à Dar-es-Salaam ; Niamey, Juba et Brazzaville signent mémorandums pour raffineries, gazoducs et centrales nucléaires modulaires Rosatom. Les financements restent hypothétiques, mais l’affichage répond à quatre attentes africaines : diversifier les partenaires, afficher une neutralité géopolitique, capter une expertise énergétique et préserver une marge de négociation face à Pékin comme à Bruxelles.
*LES RAISONS D’UN PARADOXE : HISTOIRE, PROPAGANDE, NON-ALIGNEMENT, PÉNURIE D’ALTERNATIVES*
Le tropisme soviétique, entretenu par la mémoire des bourses d’études et des soutiens aux mouvements indépendantistes, nourrit une Russophilie diffuse. À cela s’ajoute l’activisme informationnel : chaînes Telegram multilingues propageant la rhétorique anti-« occident collectif », agences Sputnik locales, narratifs sur un « ordre multipolaire ». Nombre de gouvernements, surtout ceux sous pression démocratique ou militaire, se saisissent de cette vision pour contester le discours normatif européen. Enfin, l’offre russe d’hydrocarbures à prix cassés ou de blé bon marché constitue une soupape pour des économies asphyxiées par l’inflation post-Covid et la cherté du fret.
*LE MANQUE DE PÉDAGOGIE OCCIDENTALE : AU-DELÀ DE L’OUTIL SANCTIONNEL*
Le paradoxe russo-africain souligne une carence européenne : sanctionner sans expliquer laisse le champ libre aux narratifs concurrents. Faute d’un récit partagé sur les finalités des sanctions – défense du droit international, protection des civils ukrainiens – beaucoup d’Africains y voient une querelle de grandes puissances détachée de leurs urgences quotidiennes. Cette absence de diplomatie didactique fragilise l’efficacité du dispositif économique et creuse un fossé d’incompréhension.
*CONCLUSION*
La décennie 2025-2035 sera celle de l’épreuve de vérité : si les sanctions freinent l’expansion industrielle russe, elles n’entravent pas le soft-power alimentaire, pétrolier ou informationnel déployé sur le continent africain. L’Europe devra donc conjuguer rigueur financière et parole politique, articuler offre d’investissements verts et transparence des filières, renforcer le traçage de l’or et du pétrole russes transitant par les Émirats et bâtir un partenariat énergétique compétitif. Faute de quoi, l’ombre paradoxale du Kremlin continuera de s’étendre, non par ses capitaux, mais par son opportunisme stratégique et la vacuité des narratifs occidentaux en Afrique.
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