
EuroScope : la chaîne sur l’Europe
May 29, 2025 at 04:00 PM
*LA COMPÉTITIVITÉ BANCAIRE EUROPÉENNE FACE AUX TEMPÊTES DU XXIᵉ SIÈCLE*
Comme un fleuve souterrain qui irrigue silencieusement les plaines de l’activité humaine, la banque façonne, soutient et parfois ébranle la prospérité collective. Aujourd’hui, alors que s’affirme un âge de rivalités stratégiques, d’innovations technologiques fulgurantes et de périls climatiques, l’Union européenne ne peut plus se contenter d’un système bancaire robuste ; elle doit en faire le moteur d’une compétitivité durable. Cette ambition appelle une lucidité impitoyable sur les fragilités passées, un regard panoramique sur les défis présents et une volonté politique de bâtisseur pour ouvrir des ponts nouveaux entre les vingt-sept économies qui partagent une même monnaie ou aspirent à la rejoindre.
*UN CONTEXTE GÉOPOLITIQUE EN MUTATION*
Depuis 2022, la guerre est revenue frapper aux portes de l’Europe, rappelant que la stabilité financière n’est jamais acquise ; elle se conquiert chaque matin. Le choc des sanctions contre la Russie, l’arme du gel des réserves de banque centrale, la fragmentation des chaînes d’approvisionnement et la militarisation des paiements ont mis en lumière le rôle systémique des banques comme sentinelles de la souveraineté économique. Parallèlement, les États‑Unis affichent une volonté de déréglementation massive, promettant d’atténuer les exigences de levier et de reporter l’agenda de Bâle III. S’il se concrétisait, ce virage placerait l’Union devant une alternative difficile : choisir entre l’émulation de la complaisance réglementaire ou l’affirmation d’une voie propre fondée sur l’intégrité prudentielle et l’intégration du marché intérieur.
*RETROVISION : DEUX DÉCENNIES DE CRISES ET LEÇONS POUR L’AVENIR*
À la veille de la tourmente de 2007, les banques européennes semblaient invincibles ; l’ombre des modèles internes assouplis et d’un effet de levier occulté n’avait pas encore envahi les bilans. Quand survint la crise, la réaction américaine fut brutale, centralisée, presque militaire : le TARP, les stress‑tests de 2009 et une recapitalisation d’urgence associée à un calendrier de remboursement strict. L’Europe, elle, s’enlisa dans le nationalisme bancaire ; chaque capitale s’employa à masquer ses propres fissures, retardant la vérité des bilans, laissant se propager le doute sur la solvabilité des souverains, ressuscitant des cloisons que l’euro prétendait abolir.
Entre 2007 et 2017, cette politique de l’autruche coûta aux banques de l’UE la moitié de leur part d’actifs mondiaux, tandis que leurs homologues américaines conservaient leur empreinte grâce à un marché domestique unifié et un système d’assurance‑dépôts fédéral. La création de l’Union bancaire – Supervision, Résolution, Fonds unique – mit fin à l’hémorragie, mais elle arriva tard : la décennie perdue avait laissé un héritage de fragmentation et de méfiance que reflètent encore les multiples de valorisation boursière, prisonniers d’un escompte chronique.
*UN CADRE PRUDENTIEL ENTRE COMPLEXITÉ ET FRAGMENTATION*
Le capital réglementaire européen, tel un palimpseste sans cesse amendé, superpose exigences minimales, coussins de conservation, surcharges systémiques, coussins contracycliques, coussins O‑SII, coussins de risque systémique, exigences Pilier 2 (obligatoires), orientations Pilier 2 (indicatives) et, depuis peu, un ratio de levier encore timide. Cette stratification, née de compromis politiques successifs, finit par obscurcir la lisibilité des seuils et mobilise des équipes entières de conformité au détriment de l’analyse du risque économique.
Aux États‑Unis, la hiérarchie demeure plus concise : un ratio de levier nettement plus élevé pour les banques systémiques, un stress capital buffer transparent et un jeu de règles comptables homogène (US GAAP) appliqué à toutes les entités, cotées ou non. L’écart de simplicité n’est pas anodin : il se traduit par une meilleure comparabilité pour les investisseurs, un accès plus fluide aux marchés de capitaux et, in fine, un coût du capital plus bas.
*LA QUESTION DU LEVIER ET LES DANGERS DU DUMPING RÉGLEMENTAIRE*
Si les ratios CET1 pondérés par le risque convergent désormais des deux côtés de l’Atlantique, le ratio de levier brut reste la clef de voûte américaine : autour de 6 % pour les mégabanques, contre 4 % en moyenne pour leurs consœurs européennes. À première vue, cet écart pourrait sembler un désavantage compétitif pour Wall Street ; en réalité, il s’avère un gage de confiance qui attire l’épargne mondiale. Une déréglementation américaine inverserait‑elle la situation ? Rien n’est moins certain : la mémoire des faillites éclair de mars 2023 démontre la sévérité des marchés envers toute complaisance. Pour l’UE, céder à la tentation d’un alignement par le bas ferait courir un risque systémique disproportionné, sans garantie d’un rebond boursier durable.
*LES NOUVELLES FRONTIÈRES DU RISQUE : CYBER, CLIMAT, SANCTIONS*
Hier, le péril naissait de titrisations opaques ; demain, il surgira des lignes de code. La dépendance aux services cloud américains, la multiplication des ransomwares et la perspective d’IA générative composant faux ordres de paiement à la vitesse de la lumière imposent un bouclier cyber européen. Le règlement DORA trace cette voie, mais son efficacité dépendra d’une supervision réellement intégrée. De même, le risque climatique, longtemps cantonné à la rhétorique RSE, fracture désormais la rentabilité des portefeuilles : hausse des primes d’assurance, dépréciation des actifs physiques, fluctuations des marchés de l’énergie. Les stress‑tests climatiques de la BCE et de la Banque d’Angleterre ont révélé l’ampleur des expositions brunes ; encore faut‑il convertir ce diagnostic en incitations tarifaires cohérentes et non en simple reporting.
*FEUILLE DE ROUTE POUR 2030 : ACHÈVEMENT DE L’UNION BANCAIRE ET SIMPLIFICATION DU CAPITAL STACK*
Première priorité : établir enfin une assurance‑dépôts européenne qui briserait le lien toxique entre banques et États. Conjuguée à des charges de concentration sur les portefeuilles souverains, elle garantirait que la solidarité ne devienne pas prétexte au laxisme budgétaire. Deuxième priorité : confier la totalité des décisions macro‑prudentielles à un organe unique au niveau de la zone euro, metteur en scène d’une symphonie réglementaire lisible où chaque coussin joue sa note sans créer de dissonance. Troisième priorité : imposer les normes IFRS à toutes les banques, cotées ou non, afin d’ériger la transparence en bien commun et d’abaisser la prime de risque exigée par les investisseurs.
Cette triple réforme serait vaine sans une offensive parallèle contre les ornières nationales : abolition des sur‑transpositions locales, harmonisation des régimes de faillite bancaire, convergence des protections consommateurs. Le rapport que la Commission présentera en 2026 doit devenir le marteau‑pilon de cette refonte, articulant un calendrier législatif dès 2027 et conditionnant tout assouplissement futur à l’achèvement préalable de l’Union bancaire.
*CONCLUSION*
L’Europe bancaire se trouve à la croisée des vents ; l’une de ces heures où, selon le mot de Victor Hugo, « l’avenir est une porte, le passé en est la clé ». La clé, nous la tenons : c’est la mémoire d’une crise qui faillit disloquer l’euro, et la leçon qu’aucune prospérité n’est durable sans intégration financière. La porte, il nous appartient de l’ouvrir : non pas vers une déréglementation hasardeuse, mais vers un marché domestique unifié, transparent, gouverné par une exigence de capital simple, exigeante et pleinement appliquée. Alors seulement, la banque européenne pourra redevenir ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être : un pont de crédit tendu entre l’épargne des citoyens et l’innovation des entreprises, un rempart contre les secousses géopolitiques, un levier de souveraineté partagée.
https://www.bankingsupervision.europa.eu/press/blog/2025/html/ssm.blog20250310%7E0a07f5d777.en.html#:%7E:text=The%20new%20Pillar%202%20requirement,complex%20than%20the%20sum%20of
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