
EuroScope : la chaîne sur l’Europe
June 1, 2025 at 12:36 PM
*L’AVENIR DES RETRAITES COMPLÉMENTAIRES EN EUROPE : ENTRE HARMONISATION ET DÉSENCHANTEMENT*
Tel un vieux beffroi battu par les vents démographiques, le système européen des retraites grince aujourd’hui sous le poids des espérances qu’on y suspend. La Cour des comptes européenne, dans son audit 2016-2024, vient de tirer la cloche : ni la Commission ni l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles n’ont su féconder ce champ de promesses qu’étaient les institutions de retraite professionnelle (IRP) transfrontalières et le produit paneuropéen d’épargne-retraite (PEPP). À l’heure où l’on compte déjà quarante-sept millions d’affiliés et de bénéficiaires dépendant des IRP, le rapport pointe une réalité sans fard : l’Europe dispose des schémas législatifs, mais elle manque d’élan, d’incitations et surtout de vision commune pour transformer ces schémas en revenus dignes pour ses futurs retraités.
*UN MARCHÉ INTÉRIEUR EN PEINE*
Lorsque la première directive IRP vit le jour en 2003, on rêvait de voir fleurir des fonds de pension capables d’accompagner la mobilité des travailleurs à travers l’Espace économique européen. Vingt-deux ans plus tard, seules vingt-huit IRP exercent réellement au-delà de leur frontière d’origine : une gouttelette au regard des milliers d’institutions nationales. La cause n’est pas seulement à chercher dans la relative jeunesse de la directive révisée de 2016, mais dans l’épaisseur des murs juridiques édifiés par chaque droit social et chaque fiscalité nationale. L’entreprise qui voudrait offrir un même régime à ses salariés de Madrid et d’Hambourg se découvre prisonnière de contrats multiples, de taux d’actualisation divergents et de procédures de notification que le Brexit a encore complexifiées. Les chiffres claquent : six cent milliards d’euros d’actifs sont gérés hors de tout cadre véritablement paneuropéen, et le rêve d’un financement transversal des retraites peine à prendre chair.
*LES LIMITES DU PEPP*
Annoncé en fanfare en 2019, le PEPP devait devenir l’emblème de l’épargne-retraite individuelle à l’échelle de l’Union. Trois ans après son entrée en application, il n’existe qu’un seul PEPP commercialisé, cantonné à quatre pays d’Europe centrale et ne réunissant guère plus de cinq milliers d’épargnants. Deux écueils se dressent : l’absence d’incitations fiscales harmonisées et un plafond de frais à 1 % qui, loin de séduire les fournisseurs, les a détournés vers des produits nationaux plus rémunérateurs. Il en résulte un paradoxe : le citoyen qui souhaiterait constituer une épargne portable et lisible d’un État membre à l’autre reste captif d’offres domestiques parfois opaques, tandis que l’allocation de long terme vers les marchés des capitaux européens, pourtant recherchée par l’Union des marchés de capitaux, demeure bridée.
*UNE SURVEILLANCE QUI SE CHERCHE*
La directive 2016/2341 a voulu hisser la supervision prudentielle au rang d’art européen. Mais la mosaïque d’exigences reste criante. Certaines autorités nationales, contraintes par leur droit interne, n’ont pas le pouvoir de recueillir les données nécessaires ; d’autres appliquent des règles comptables propres qui ouvrent la voie à un arbitrage réglementaire — le cas des fonds néerlandais migrants vers la Belgique pour un taux d’actualisation plus clément en est le symbole. L’AEAPP, faute de mandat pour édicter des normes techniques exécutoires, s’est muée en oratrice : avis, déclarations, examens par les pairs. Hélas, trop d’États demeurent sourds ou sélectifs ; le premier recours pour violation du droit de l’Union n’a été lancé qu’en 2023 contre Chypre. À cette cadence, l’édifice de confiance mutuelle entre superviseurs se construit pierre après pierre, alors que les vents de marché soufflent déjà plus vite que les maçons ne bâtissent.
*TRANSPARENCE ET CULTURE FINANCIÈRE : LE MIROIR EMBUÉ*
L’un des diagnostics les plus sévères du rapport concerne l’information livrée aux affiliés. Le relevé annuel des droits à retraite existe, mais il reste souvent avare en détails : projections hasardeuses, ventilation des frais parcellaire, comparabilité transfrontalière nulle. L’AEAPP a conçu des modèles clairs, pourtant seule la Slovaquie les a adoptés. Pis : l’Europe n’a toujours pas déployé son tableau de bord des pensions promis en 2020, ni son système européen de suivi permettant au travailleur de suivre, d’un clic, les droits acquis dans trois ou quatre pays successifs. Ainsi persiste le brouillard qui empêche de mesurer l’ampleur réelle des déficits de financement et d’inciter les ménages — singulièrement les plus jeunes — à épargner.
*QUELLES PISTES POUR 2030 ?*
Il ne suffit plus de retoucher la tapisserie ; c’est la charpente qu’il faut reforger. Le rapport appelle à un choix clair : soit transformer la directive IRP en règlement à portée immédiate, soit fixer des exigences minimales nettement plus robustes — devoir de diligence explicite, cadre anti-conflits d’intérêts, procédures de réclamation homogènes. La Commission, pressée d’ici 2025 d’évaluer l’échec du PEPP, devra décider si elle aligne les incitations fiscales et relève le plafond de frais, ou si elle admet l’impasse et réoriente ses efforts vers des solutions professionnelles renforcées. De son côté, l’AEAPP gagnerait à faire de ses tests de résistance non plus une photographie statique mais une pellicule animée, intégrant inflation durable et risques physiques climatiques, afin de vérifier la capacité des IRP à livrer, sur quarante ans, un rendement réel positif. Enfin, sans transparence totale sur les frais et les rendements, sans système de suivi lisible par tout citoyen, les exhortations à la responsabilité individuelle resteront lettres mortes.
*CONCLUSION*
Ainsi va l’Europe des retraites : riche de textes, pauvre de réalisations concrètes. Entre les harmonisations de papier et les réalités nationales se creuse un fossé que la seule bonne volonté ne comblera pas. Si l’Union veut éviter aux futurs vieillards de demain d’être les pauvres d’après-demain, elle devra conjuguer audace réglementaire, supervision musclée et pédagogie transparente. Le temps n’est plus aux demi-mesures ; il est à la construction d’un pilier commun, solide, où chaque euro cotisé — qu’il soit belge, letton ou portugais — trouve le même refuge prudent et la même promesse de dignité. Les cloches de la Cour des comptes ont sonné ; aux législateurs, aux superviseurs et aux États de répondre avant qu’elles ne deviennent glas.
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