
EuroScope : la chaîne sur l’Europe
June 2, 2025 at 06:21 PM
*INCITATIONS FISCALES À LA RECHERCHE : L’ALCHIMIE EUROPÉENNE À L’ÉPREUVE DU PILIER DEUX*
Dans la vaste demeure économique que bâtit patiemment l’Union européenne, la science est l’aile lumineuse où l’on insuffle l’avenir. Rares pourtant sont les inventeurs dont la chandelle peut brûler sans l’huile des deniers publics ; l’impôt devient donc levier, délicate clé pour ouvrir la porte des laboratoires. Mais depuis que le Pilier Deux de l’OCDE a gravé dans le marbre un impôt effectif minimum de 15 %, tout architecte fiscal doit recomposer ses plans. Les pages qui suivent proposent—avec la ferveur d’un Hugo, la précision d’un Zola et la tendresse ironique d’un Gary—une fresque trois fois plus riche et détaillée des instruments européens de R&D, de leurs ressorts économiques, de leurs dérives possibles et des voies étroites qu’ils doivent désormais emprunter.
*CONTEXTE STRATÉGIQUE*
Lorsque, au tournant des années 1980, la France inaugure son Crédit d’impôt recherche, nul n’imagine que quarante ans plus tard chacun des Vingt-Sept brandirait son propre baromètre fiscal. Les montants ont gonflé : plus de 50 milliards d’euros d’avantages annuels à l’échelle de l’OCDE en 2024, dont près de la moitié pour l’Europe. L’enjeu n’est pas qu’économique ; il touche à la souveraineté technologique, à la transition verte, à la sécurité sanitaire—trois fronts où l’histoire récente (pandémie, guerre, climat) a rappelé la fragilité des chaînes de valeur. C’est donc une véritable compétition douce qui s’installe, chaque capitale ajustant ses régimes pour retenir savants, brevets et centres de décision.
*TYPOLOGIE DES INCITATIONS R&D DANS L’UE*
Dans ce jardin foisonnant, deux grandes familles de fleurs fiscales se distinguent. Les incitations « input », fixées au coût des travaux : crédits d’impôt volume (Pays-Bas, Allemagne), super-déductions majorant l’assiette amortissable (Portugal, Pologne), amortissements accélérés sur machines-pilotes (Autriche, Suède), abattements de charges sociales (Belgique pour ses centres de recherche, France pour les Jeunes entreprises innovantes). S’y ajoutent depuis 2023 plusieurs dispositifs convertis en « crédits remboursables qualifiés », alignés sur le calendrier triennal du Trésor européen. Viennent ensuite les incitations « output » : boîtes à brevets belges, luxembourgeoises ou chypriotes, où la redevance s’allège jusqu’à 80 %, et niches d’exonération totales réservées aux zones économiques spéciales d’Europe centrale.
Chacune joue sur trois cadrans : la base (dépenses courantes, salaires, immobilisations, sous-traitance), le taux, la liquidité. Un crédit mensuel compensé sur la paie équivaut pour une start-up à un financement quasi-budgétaire, tandis qu’une déduction reportable amplifie les pertes fiscales sans offrir de trésorerie immédiate. En 2025, seuls les Pays-Bas, l’Italie rénovée et l’Irlande—nantie de son « Knowledge Development Box » revu—parviennent à solder une créance en moins de quatre mois.
*MÉCANISMES ÉCONOMIQUES ET ANALYTIQUES*
La théorie de la « user cost of capital » enseigne que réduire d’un point le prix net de la recherche accroît l’investissement d’une fraction équivalente à l’élasticité-prix, estimée entre –1 et –4 selon la granularité des données. Sur le terrain, trois filtres modèrent le ressort : la contrainte de liquidité (critique pour les PME), l’incertitude technique (d’où l’importance des dispositifs ex-ante plutôt qu’ex-post) et la capillarité des chaînes de sous-traitance (un crédit trop étroit incite au re-labelling de dépenses administratives en R&D). Depuis 2022, les travaux empiriques soulignent aussi la dimension de qualité : la surcharge de brevets à faible originalité dans les pays à fort IP Box dégrade, à long terme, l’indicateur de citations et le taux de commercialisation industrielle.
*DYNAMIQUE DU PILIER DEUX*
Le plancher d’imposition mondiale agit comme une digue sous-marine : invisible mais puissante. Les dispositifs qui réduisent directement le taux (IP Box à 5 %, super-déduction à 200 %) se heurtent au prélèvement correcteur ; leur avantage peut s’annuler, voire se transformer en coup de bâton. À l’inverse, les crédits remboursables ou transférables sont comptabilisés au compte de résultat comme subventions et pèsent sur le dénominateur de l’« effective tax rate » plutôt que sur le numérateur, sauvant ainsi une partie de l’incitation. Raison pour laquelle la Belgique, l’Allemagne, la Hongrie et bientôt Malte ont recentré leurs aides sur des crédits dits « QRTC » ou « MTTC » depuis mi-2024.
Néanmoins, le Pilier Deux ménage des échappatoires positives : la Substance-Based Income Exclusion. Un groupe installant un jumeau numérique ou une usine-pilote en territoire rural, additionnant masse salariale d’ingénieurs et valeur comptable de cobots, se forge un bouclier qui réduit voire annule le top-up tax. L’incitation la plus robuste devient alors celle qui combine financement immédiat et forte intensité en capital tangible.
*CARTOGRAPHIE COMPARATIVE DES ÉTATS MEMBRES*
Les Pays-Bas règnent sur la clarté et la rapidité : leur WBSO couvre 60 % des dépenses salariées jusqu’à 350 000 €, 20 % au-delà, déduite mensuellement du prélèvement social. L’Allemagne a rendu, en 2023 puis 2025, sa « Forschungszulage » remboursable au fil de l’eau, relevé son plafond à 12 millions annuels et élargi l’assiette aux prototypes logiciels. L’Italie, après avoir égrené huit régimes parallèles, les a fusionnés en un crédit unique gradué (15 % recherche fondamentale, 10 % développement expérimental, 5 % innovation verte) payé en trois chèques annuels, mais transmissible aux filiales du Sud. La France, pionnière, lutte contre son propre labyrinthe documentaire : trente pages de formulaire, 6 000 entreprises contrôlées par an, un taux effectif de soutien tombé de 30 à 20 % pour contenir la dépense budgétaire au-delà de 7 milliards.
À l’est, la Pologne a décidé en 2025 de troquer son super-déduction pour des subventions en cash inspirées du modèle israélien, craignant la neutralisation systématique de l’avantage par le Pilier Deux. La Hongrie a, elle, sanctuarisé ses centres de recherche publics : double exonération de taxe locale et crédit majoré de 50 % sur les salaires doctoraux, plaçant Budapest en hub de biotech.
*ENJEUX SOCIO-ÉCONOMIQUES ET DÉFIS FUTURS*
Au-delà des chiffres, demeure la question du « retour citoyen ». Chaque euro d’allègement doit se muer en externalité : transfert de connaissances, brevets ouverts, emplois qualifiés en régions périphériques. Or les évaluations 2024 de la Cour des comptes européenne pointent la faible diffusion des résultats vers les PME non bénéficiaires et l’absorption croissante des aides par dix groupes transnationaux. À ceci s’ajoute le risque d’une « course au guichet » : lorsqu’un voisin abaisse son IP Box, le suivant réplique, et l’on s’éloigne du financement optimal des biens publics. La coordination devient donc impérieuse ; le forum Code of Conduct pourrait se muer en véritable agence d’ex-ante assessment, publiant taux marginaux implicites et effets redistributifs.
*RECOMMANDATIONS ET PISTES D’ACTION*
Que retenir de ce grand jeu à plusieurs bandes ? D’abord, universaliser l’éligibilité tout en plafonnant la créance pour éviter l’effet d’accumulation dans les conglomérats. Ensuite, privilégier le crédit remboursable mensuel, instrument le plus lisible pour l’entrepreneur et le plus compatible avec le Pilier Deux. Troisièmement, adosser tout avantage à un reporting d’impact quinquennal : nombre de brevets effectivement exploités, part de chiffre d’affaires issue de produits nouveaux, intensité carbone évitée. Quatrièmement, articuler harmonieusement aides régionales et incitations nationales afin que la ruralité innovante ne reste pas un slogan. Enfin, simplifier—toujours simplifier : un guichet numérique, un guide d’éligibilité de dix pages, une réponse préalable opposable en trois mois.
*CONCLUSION*
Ainsi se conclut cette traversée, plus vaste et profonde, de la fiscalité de la recherche. Sous le regard implacable du Pilier Deux, l’Europe ne peut plus se payer le luxe d’incitations brouillonnes ou de privilèges opaques. Elle doit sculpter des instruments transparents, rapides, robustes, capables de transformer l’enthousiasme des chercheurs en brevets vigoureux, en start-up exportatrices et en solutions climatiques. C’est à ce prix qu’elle préservera, dans le vacarme concurrentiel des continents, la mélodie singulière de son génie créatif.
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