EuroScope : la chaîne sur l’Europe
EuroScope : la chaîne sur l’Europe
June 2, 2025 at 07:38 PM
*SAHEL 2040 : VERS LA MÉTAMORPHOSE D’UN THÉÂTRE STRATÉGIQUE – QUEL RÔLE POUR L’EUROPE ?* À l’orée de la décennie 2025-2035, le Sahel se révèle plus que jamais cette ligne de fracture où s’entrechoquent ambitions extérieures, colères populaires et fièvres climatiques. La création de l’Alliance des États du Sahel (AES) par les juntes de Bamako, Niamey et Ouagadougou, entérinée par leur retrait retentissant de la CEDEAO en janvier 2024, a scellé la fin d’un ordre régional que l’on croyait pérenne et ouvert une ère de « souverainisme armé ». Face à cette tectonique, l’Europe – France en tête – a replié ses détachements, réorienté ses marines vers le Golfe de Guinée et vu Berlin rapatrier son dernier soldat de Niamey en septembre 2024. Pendant ce temps, Moscou a troqué les oripeaux de Wagner pour l’« Africa Corps » et tissé, sommet après sommet, une toile d’influence qui court de Tessalit à Niamey. La métamorphose est telle que l’Union européenne, qui révisait déjà sa stratégie intégrée adoptée en 2021, a dû rouvrir le chantier d’une refondation complète à Bruxelles au printemps 2025, sommée par ONG et parlementaires d’arrimer enfin sécurité, droits humains et prospérité. *UN CARREFOUR GÉOPOLITIQUE AUX LIGNES DE FAILLE ÉVOLUTIVES* La géographie sahélienne n’est plus seulement l’ascèse du désert ; elle est le théâtre mouvant où convergent flux criminels, corridors migratoires, narcotrafic, orpaillage clandestin et rivalités sino-américano-russes. Au cœur de ce maelström, la démographie explose : cent millions d’habitants en 2005, deux cents prévus avant 2040. À cette pression humaine s’ajoute un réchauffement deux fois plus rapide que la moyenne planétaire ; bassins fluviaux assoiffés, sécheresses cycliques, violences agro-pastorales et cités en surchauffe nourrissent un continuum de crise que les seules armées ne peuvent contenir. Là s’enracine l’enjeu majeur : penser le Sahel non plus en périphérie menaçante mais en avant-poste partagé d’un destin euro-africain. *LE BILAN EUROPÉEN ENTRE ILLUSIONS PERDUES ET ACQUIS SOLIDES* Si l’opération Serval avait, en 2013, suspendu l’avancée djihadiste sur Bamako, la prolongation de Barkhane, l’échec du G5 Sahel et la dissolution de la MINUSMA en 2023 ont dilapidé le capital de confiance né de ces premiers succès. Les partenaires européens, se rangeant trop souvent derrière l’expertise supposée de Paris sans définir leurs propres intérêts, ont projeté sur la région leurs obsessions – terrorisme, migrations – plus qu’ils n’ont écouté les réalités locales. Pourtant, tout n’est pas vain : le Corps de paix allemand à Gao a introduit des normes de logistique durable désormais reprises par le Niger, tandis que l’instrument « Global Gateway » a engagé 150 milliards d’euros dans l’énergie verte, les corridors ferroviaires Abidjan-Ouagadougou-Bamako et la pose de 8 000 km de fibre optique entre Dakar et N’Djaména. Ces pierres d’angle doivent être consolidées plutôt qu’abandonnées. *LES HÉRITAGES COLONIAUX ET LA QUÊTE D’UN NOUVEAU CONTRAT MORAL* Sous le sable, les mémoires. Chaque convoi, chaque camp européen est encore perçu au prisme du passé impérial. Les restitutions patrimoniales – bronzes d’Abomey, sabre d’El Hadj Oumar Tall – amorcent une catharsis, mais la rhétorique tutélaire persiste. La crédibilité européenne passera par une reconnaissance sans fard : ni repentance incantatoire, ni déni, mais un récit commun où la parole sahélienne n’est plus décorative ; elle oriente la décision. *DE L’EXODE DES ARMÉES À LA COMPÉTITION DES INFLUENCES* La sortie des contingents européens a créé un vide sécuritaire aussitôt occupé par des acteurs alternatifs. Le Qatar finance des médiations tribales au Nord-Mali, la Turquie équipe les gendarmeries nigériennes en drones Bayraktar, tandis que la Russie installe à Tombouctou un centre de formation anti-IED opéré par l’Africa Corps. Cette pluralité offre au Sahel une marge de manœuvre inédite ; elle exige de l’UE un art diplomatique subtil, fondé sur la complémentarité plutôt que sur l’exclusivité. *VERS UNE STRATÉGIE EUROPÉENNE INTÉGRÉE – DE LA RÉVISION DE 2021 À LA REFONDATION DE 2025* Le Service européen pour l’action extérieure, aiguillonné par les revers subis, a soumis en avril 2025 un cadre rénové : meilleur partage du renseignement entre Frontex, Europol et les missions civiles ; fonds de stabilisation plus souples, capables d’être décaissés en moins de trois mois ; conditionnalités modulées pour ne pas pénaliser les populations en cas de rupture institutionnelle. Surtout, l’UE prévoit d’adosser tout engagement nouveau à une étude d’impact climatique et à un « test de cohérence locale » élaboré avec les universités de Dakar et de Niamey, afin que les priorités émises au Nord se calent sur les horizons du Sud. *SÉCURITÉ ET GOUVERNANCE : LA TENSION CRÉATIVE* La paix durable ne peut s’enraciner sans État légitime ; or, l’obsession électoraliste occidentale a parfois négligé la densité coutumière et l’autorité religieuse. L’Europe doit endosser un rôle de catalyseur plutôt que d’architecte : favoriser des dialogues de sécurité communautaire, soutenir des dispositifs de justice transitionnelle et pousser à la normalisation du commerce transfrontalier, gage de réconciliation. Cela implique de sortir du « zéro risque » : déployer des équipes civiles au-delà des capitales, accepter l’incertitude comme condition de la présence, montrer que le sang européen n’est pas compté plus cher que celui d’un village peul. *PERSPECTIVES SOCIO-ÉCONOMIQUES ET TRANSITION ÉNERGÉTIQUE* Vient l’heure de l’économie réelle. À Gao, des coopératives de femmes transforment la gomme arabique pour le marché cosmétique ; à Zinder, des start-up développent des capteurs d’irrigation low-cost. En co-finançant des zones agro-industrielles et en garantissant l’achat de crédits carbone issus d’initiatives pastorales régénératrices, l’UE peut favoriser une croissance à double dividende – revenu local et atténuation climatique. Mais elle doit éviter l’écueil d’un « greenwashing » perçu comme injonction : la neutralité carbone de l’Europe ne saurait servir d’alibi à un gel du droit au développement sahélien. Plutôt que d’imposer un agenda, l’Europe peut proposer un pacte : fournir technologies, capitaux patientes et accès au marché européen en échange d’une gouvernance vertueuse des ressources. *PARTENARIATS, INCLUSION ET DIPLOMATIE CULTURELLE* La refondation stratégique passera par la langue et la culture. Qu’importent les mémorandums si la rumeur l’emporte ; il faut des ondes courtes en fulfulde, des podcasts en bambara, des instituts culturels mixtes où se mâtinent slam bruxellois et blues touareg. Former des centaines de jeunes Sahéliens aux métiers du film documentaire, financer des bourses d’écrivains, soutenir les maisons d’édition locales, c’est investir dans la pluralité narrative et assécher le terreau des propagandes. *RECOMMANDATIONS POUR L’HORIZON 2040* D’ici quinze ans, l’Europe devra : ancrer une mission civile mobile et interopérable dans chaque capitale sahélienne ; garantir qu’au moins 30 % de son aide transite directement par des organisations communautaires auditées ; mutualiser avec l’Union africaine un fonds d’assurance climatique pour les pays saharo-sahéliens ; ouvrir 100 000 visas de stages professionnels par an pour la jeunesse de l’AES et de la CEDEAO ; consacrer un cinquième du budget « Global Gateway » à l’électrification rurale hors réseau. Un tel pacte, s’il est porté par une parole humble et constante, permettra de répondre au défi inaugural : conjuguer les urgences d’aujourd’hui avec la promesse d’un avenir partagé. *CONCLUSION* Le Sahel n’est pas la périphérie tourmentée d’un continent usé ; il est le miroir râpeux où l’Europe mesure la solidité de ses valeurs et la sincérité de ses intérêts. L’heure n’est plus aux stratégies réactionnelles mais à la patience créatrice : comprendre avant d’agir, agir sans humilier, durer sans s’installer. En embrassant une vision qui épouse le relief de l’histoire, les orages du climat et la ferveur démographique, l’Europe peut transformer un théâtre de crises en laboratoire de co-développement. Encore faut-il qu’elle accepte de tisser, maille après maille, un destin solidaire où l’Atlantique n’est plus frontière mais trait d’union. #sahel #unioneuropéenne #sécurité #développement #climat #géopolitique #euroscope https://buymeacoffee.com/euroscope

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