EuroScope : la chaîne sur l’Europe
EuroScope : la chaîne sur l’Europe
June 3, 2025 at 09:17 PM
*ACCROISSEMENT DES ACCORDS GOUVERNEMENT-À-GOUVERNEMENT : QUAND LA DIPLOMATIE DE L’ACIER REDESSINE LA CARTOGRAPHIE DU POUVOIR* Sous le fracas des bombes en Europe orientale et le grondement lointain de batailles potentielles dans l’Indo-Pacifique, les capitales réinventent le contrat d’armement : non plus une simple vente d’équipements, mais une promesse souveraine scellée d’État à État. En 2024, les États-Unis ont enregistré 117,9 milliards de dollars de Foreign Military Sales (FMS) et un total historique de 318,7 milliards de transactions liées à la défense, prêts inclus ; jamais, depuis la fin de la guerre froide, les chiffres n’avaient atteint de tels sommets. Rarement, non plus, la demande d’une garantie politique n’aura été aussi pressante : l’Ukraine réveille la peur, la Mer Rouge envenime les routes maritimes, Taïwan cristallise les rivalités technologiques. Dans ce grand retour de l’Histoire, l’accord gouvernement-à-gouvernement (G2G) devient la clef d’une solidarité armée, offrant à l’acheteur la bénédiction politique du vendeur et, à ce dernier, l’assurance d’un marché captif. *LE MODÈLE AMÉRICAIN : DU FMS À LA DIPLOMATIE DES CRÉDITS* Inventé pour contenir l’expansion soviétique, le dispositif FMS a toujours marié contrôle technologique et influence stratégique ; désormais, il s’accompagne d’une ingénierie financière d’envergure. Entre septembre 2023 et décembre 2024, Varsovie a reçu plus de 11 milliards de dollars de garanties de prêt FMF pour financer F-35, HIMARS, Apache et Abrams ; un quadrillage d’équipements piloté par un centre de commandement intégré (IBCS) qui ancre les forces polonaises dans l’architecture de défense américaine. Parallèlement, le Département d’État a engagé dix réformes procédurales destinées à accélérer la chaîne d’autorisation, tandis que le Pentagone déployait sa « Tiger Team » pour réduire les délais contractuels jugés « trop lents pour l’ère de la compétition de grandes puissances ». *EUROPE : RÉVEIL INDUSTRIEL, ENTRE SOLIDARITÉ ET SOUVERAINETÉ* Depuis l’invasion russe de 2022, la consommation stratégique d’armes en Europe a presque doublé ; 55 % des importations majeures viennent désormais des États-Unis, mais l’Union européenne s’organise. En novembre 2024, la Commission a alloué 300 millions d’euros via l’instrument EDIRPA ; cinq projets d’achats conjoints ont été sélectionnés, parmi lesquels 1 500 missiles Mistral 3 pilotés par Paris avec huit partenaires, et l’initiative JAMIE pour le système sol-air IRIS-T portée par Berlin. À l’Est, la Slovaquie et la Tchéquie ont enchaîné deux accords G2G avec Stockholm pour près de 400 CV90, mutualisant formation, soutien logistique et pool de pièces ; de quoi abaisser de trente pour cent le coût de possession sur vingt ans, selon Prague. Rome, pour sa part, a fait de la diplomatie industrielle un axe majeur : C-27J pour Ljubljana, AW169M pour Vienne, AW149 pour Skopje, sans oublier un partenariat air-policing où l’Aeronautica Militare défend le ciel macédonien, prolongeant ainsi le « soft power » transalpin. *ISRAËL ET CORÉE DU SUD : LES NOUVEAUX ARCHITECTES DU G2G* Tel-Aviv, autrefois adepte du contrat commercial direct, voit désormais un tiers de ses exportations passer par SIBAT ; 13 milliards de dollars en 2023, portés par David’s Sling en Finlande et Arrow 3 en Allemagne, deux ventes tripartites nécessitant le feu vert du Congrès américain. Séoul, de son côté, a noué avec Varsovie un partenariat tentaculaire : 180 K2 puis 146 K9PL et 72 Chunmoo produits partiellement en Silésie, transfert de savoir-faire inclus. Cette stratégie, baptisée « K-Arsenal », associe des délais de livraison record – douze mois pour les premiers chars – à une localisation industrielle supérieure à cinquante pour cent, inversant le rapport habituel vendeur-acheteur. *LES NORDIQUES : LABORATOIRE D’UNE INTÉGRATION RÉGIONALE* La Suède, déjà pilier du Gripen, a mandaté en octobre 2024 une mission gouvernementale pour refondre son cadre G2G : élargissement des garanties via SEK/EKN, clarification des responsabilités entre FMV (acquisition nationale) et un futur guichet export. La Finlande, elle, a décliné la voie commerciale pour préférer un achat étatique des F-35, convaincue par la promesse d’un centre d’excellence régional co-financé par Lockheed Martin. Oslo pousse plus loin la logique : co-achat de sous-marins 212CD avec Berlin, puis mutualisation de la maintenance à Kiel, réalisant un gain estimé à dix pour cent sur la chaîne de soutien. *MÉCANISME FINANCIER : DU CRÉDIT SÉCURISÉ À LA « BANQUE G2G »* Le nerf de la guerre demeure l’argent. Washington dispose du FMF et d’un Trust Fund abondé par les acheteurs ; Séoul mobilise K-Sure et EXIM Korea pour des polices d’assurance couvrant jusqu’à 95 % du risque ; Rome explore la réactivation de la Cassa Depositi e Prestiti comme pivot de financements concessionnels ; Paris, enfin, teste les prêts du Trésor adaptés à son futur « modèle simplifié » post-CPG. Sur ce terrain, la concurrence est moins technique qu’ingénierie financière : celui qui offrira des échéanciers souples, un taux bonifié et un package de formation crédible remportera la manche. *PROBLÉMATIQUES DE TRANSPARENCE ET RISQUES DE DÉPENDANCE* Ces pactes d’État à État ne sont pas sans zones d’ombre : lourdeur administrative, dilution de la responsabilité industrielle, risque de « diplomatie du chéquier » où l’assistance se transforme en tutelle. La Pologne découvrira, dans quinze ans, la facture MCO de l’écosystème Abrams-Patriot-IBCS, entièrement indexée sur l’inflation américaine ; la Grèce interroge déjà la soutenabilité de ses engagements vis-à-vis du flight training center confié à Elbit sur vingt-deux ans. En Afrique ou en Asie du Sud-Est, certains observateurs redoutent une compétition où l’urgence sécuritaire sert de prétexte aux contournements d’appels d’offres, minant la transparence. *PERSPECTIVES 2030 : NUMÉRISATION, IA ET « G2G VERTICAL »* La prochaine décennie verra éclore des jumeaux numériques de flottes entières, gérés par cloud souverain ; l’accord G2G inclura alors la cyber-résilience, la gestion de data-lakes tactiques et des clauses d’IA embarquée. S’y ajoutera un « G2G vertical » où plusieurs pays mutualiseront non plus seulement l’achat, mais la R&D de briques critiques ; le programme trinational GCAP (Italie-Japon-Royaume-Uni) en est l’ébauche. Demain, la valeur se déplacera vers la maîtrise du code source et des algorithmes d’aide à la décision ; celui qui en conservera l’accès déterminera la géographie des alliances. *CONCLUSION* Les accords gouvernement-à-gouvernement représentent aujourd’hui bien davantage qu’un chemin administratif : ils sont le révélateur d’une époque où l’armement se fait à livre ouvert sur le bureau des chefs d’État, tissant des dépendances techniques aussi profondes que les traités de défense. Dans ce théâtre où la sécurité se mesure en capacités intégrées, l’Europe doit choisir : rester un agrégat d’acheteurs dispersés, ou structurer une offre politique et financière capable de rivaliser avec Washington et Séoul. À défaut, le futur du ciel continental, de ses blindés et de ses réseaux de missiles se jouera, non pas à Bruxelles ou Paris, mais entre Arlington et Séoul. https://www.army.mil/article/284089/usasac_talks_foreign_military_sales_unprecedented_surge_at_ausa_global #euroscope #défense #g2g #industriedeladéfense https://buymeacoffee.com/euroscope

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