EuroScope : la chaîne sur l’Europe
EuroScope : la chaîne sur l’Europe
June 3, 2025 at 09:23 PM
*L'OTAN À LA CROISÉE DES CHEMINS NUCLÉAIRES : ENTRE AUTONOMIE STRATÉGIQUE ET DISSUASION FRAGMENTÉE* La poudrière européenne crépite de nouveau, secouée par la résurgence des guerres de haute intensité, le retour de la coercition nucléaire et l’incertitude planant sur la garantie américaine. L’élection du président Trump, son tropisme indo-pacifique et ses appels martelés à un partage du fardeau ont fissuré les piliers d’une dissuasion étendue autrefois jugée intangible. Tandis que la Russie avance ses armes nucléaires en Biélorussie, que la Chine modernise à marche forcée son arsenal et que les régimes de contrôle des armements s’effritent, l’Alliance atlantique se trouve confrontée à un choix existentiel : consolider la dépendance à l’ombre du parapluie américain ou forger les prémices d’une souveraineté nucléaire européenne. *LES FONDEMENTS ÉBRANLÉS DE LA DISSUASION TRANSATLANTIQUE* Depuis 1949, le pari central de l’OTAN reposait sur la « couverture » nucléaire des États-Unis : par sa seule existence, elle assurait la cohésion politique de l’Alliance, décourageait la prolifération intra-européenne et contenait les ambitions soviétiques. Or cette architecture, conçue pour un monde bipolaire, s’étiole. La suspension du New START, l’exil programmé du traité FNI et la prolifération des systèmes à double capacité ternissent un édifice juridique déjà malade. Surtout, la guerre d’Ukraine a démontré que la dissuasion nucléaire éloigne certes l’affrontement direct, mais n’empêche ni la guerre conventionnelle, ni le chantage stratégique. *L’OFFRE NUCLÉAIRE FRANÇAISE : UN TOURNANT HISTORIQUE* C’est dans ce contexte que le président Emmanuel Macron a proposé d’ouvrir un dialogue sur l’extension possible de la force de frappe française à ses partenaires européens. Geste inédit qui fissure le dogme gaullien d’une dissuasion strictement nationale ; pourtant, les obstacles sont nombreux : taille limitée de l’arsenal tricolore, absence d’armes à faible rendement déclaré, coût budgétaire d’une éventuelle montée en puissance, et surtout, nécessité d’un consentement politique de Berlin, pivot indispensable. L’Allemagne, déchirée entre l’atlantisme historique et l’appel de l’autonomie, hésite encore ; mais le simple fait que Varsovie, Vilnius ou Tallinn saluent l’initiative montre combien le tabou nucléaire se délite à l’Est. *LE ROYAUME-UNI : UNE AUTONOMIE SEMI-SOUMISE* Londres dispose d’un dissuasif crédible, mais appuyé sur la technologie américaine des missiles Trident. Sa souveraineté décisionnelle n’efface pas la dépendance technique ; si jamais la relation spéciale s’érodait, le Royaume-Uni se verrait contraint de financer, concevoir et qualifier un vecteur balistique indigène – entreprise décennale aux coûts astronomiques. En cas de recul durable des États-Unis, Londres et Paris devraient donc inventer un condominium nucléaire sans précédent ; or ni l’histoire diplomatique, ni les cultures stratégiques, encore moins le Brexit, n’y préparent aisément. *LA TENTATION D’UNE DISSUASION « À LA CARTE » À L’EST DE L’EUROPE* La Pologne, traumatisée par trois décennies de voisinage russe, se rêve en puissance disposant d’une « clé nucléaire » – qu’elle souhaite américaine ou, à défaut, franco-britannique. Les pays baltes, eux, redoutent qu’une ambiguïté occidentale n’ouvre la voie à un scénario de fait accompli. Si l’ombre du parapluie français rassure symboliquement, elle ne remplacera la couverture américaine qu’à deux conditions : une intégration doctrinale et un continuum d’escalade crédible alliant capacités tactiques, commandement interallié et partage des charges financières. *RUSSIE : LA STRATÉGIE DU PALIER FLUANT* Moscou, consciente de son infériorité conventionnelle face à l’ensemble OTAN, mise sur le décloisonnement des seuils : déploiement d’armes à double usage en Biélorussie, manœuvres de frappe simulée, révision de doctrines abaissant le « seuil d’emploi ». Ces gestes ne relèvent pas de la simple démonstration ; ils visent à rendre toute intervention occidentale imprévisible, donc coûteuse. La réponse alliée nécessite un triptyque : durcissement de la posture nucléaire avancée, reconstitution massive des stocks de munitions conventionnelles, et renaissance d’un dialogue stratégique de crise pour éviter l’engrenage. *CHINE : RÉARME, OBSERVE ET CONTESTE* Pékin modernise ses forces : missiles intercontinentaux à leur troisième génération, missiles planants hypersoniques, tunnels de lancement multiples dans le Xinjiang. Officiellement, la Chine maintien l’engagement du non-emploi en premier ; officieusement, elle se prépare au choc d’une rivalité structurelle avec Washington. L’invitation pressante des États-Unis à un dialogue trilatéral est rejetée tant que l’équation arsenale reste asymétrique. Pour l’OTAN, le dilemme est évident : comment dissuader simultanément Moscou et Pékin sans dédoubler les ressources ? La réponse passe par un écosystème techno-industriel transatlantique robuste et par de nouveaux pactes de transparence nucléaire impliquant, demain, l’Inde et les puissances du Moyen-Orient. *LES TECHNOLOGIES DE RUPTURE : HYPERSONIQUE, IA, CYBER* Le temps de décision nucléaire se contracte : les planeurs hypersoniques russes et chinois contournent les radars traditionnels, les algorithmes d’alerte précoce promettent la détection en temps réel mais exposent à la méprise automatisée ; le cyber sabot peut paralyser un réseau C2 sans avoir déclenché un seul missile. La dissuasion de jadis – lente, basée sur la résilience du second coup – cède la place à une dissuasion instantanée, précaire, multidomaine. Sans nouveau Bretton Woods de la stabilité nucléaire englobant IA et cyberespace, le risque d’une escalade accidentelle augmente mécaniquement. *UKRAINE : MIROIR IMPLACABLE DE LA FAILLITE DES GARANTIES* En renonçant à l’arsenal soviétique au nom du Mémorandum de Budapest, Kiev croyait acheter la paix ; elle a récolté l’invasion. De Séoul à Riyad, la leçon est mémorisée : la dissuasion réside dans les vecteurs, non dans les traités. La crédibilité de l’architecture NPT dépendra de la capacité occidentale à offrir des garanties de sécurité tangibles et – surtout – à démontrer que l’agresseur nucléaire n’emporte pas de gains stratégiques durables. *MULTIPOLARITÉ NUCLÉAIRE : LE SPECTRE DE L’IMITATION RÉGIONALE* Si l’Europe normalise une dissuasion partiellement « natio-européenne », pourquoi Tokyo, Canberra ou Abou Dhabi s’en interdiraient-ils ? L’illusion d’un Occident pouvant imposer des seuils qu’il transgresse lui-même nourrira les velléités régionales. Les prochaines conférences d’examen du TNP risquent de se transformer en tribunaux politiques, contestant la légitimité de la minorité nucléaire historique. *CONCLUSION* L’OTAN doit choisir : renforcer l’ossature transatlantique en absorbant les demandes d’autonomie européenne ou laisser émerger une mosaïque de dissuasions nationales mal coordonnées, exposant l’Alliance à la paralysie décisionnelle. L’urgence n’est pas d’additionner les ogives, mais de refonder la grammaire stratégique : doctrine commune, partage réel des charges, chaîne de commandement claire, redynamisation du contrôle des armements et sanctuarisation des délais humains dans la boucle décisionnelle. Dans un monde où l’équilibre de la terreur devient volatil, le salut dépendra moins du nombre de missiles que de l’épaisseur de confiance et de la robustesse des garde-fous collectifs. Si l’Europe réussit à associer souveraineté accrue et cohésion atlantique, elle transformera la crise en opportunité historique ; sinon, la dissuasion glissera d’ambiguë à incertaine, ouvrant la porte à la tentation des aventurismes et à l’ombre portée de nouvelles proliférations. #euroscope #dissuasionnucléaire #otan #géopolitique #sécuritéstratégique https://buymeacoffee.com/euroscope

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