EuroScope : la chaîne sur l’Europe
EuroScope : la chaîne sur l’Europe
June 3, 2025 at 09:48 PM
*LA SOBRIÉTÉ ÉNERGÉTIQUE DES FORCES ARMÉES : DU SOUFFLE PROMÉTHÉEN À LA MURMURATION LOW-TECH* Chaque époque forge l’instrument qui reflète ses audaces et ses limites. La marine à voile puis à vapeur, le char rugissant de la Grande Guerre, le bombardier stratosphérique de la guerre froide : autant de métamorphoses qu’un même impératif anime, celui d’emmagasiner l’énergie, de la convertir en élan foudroyant, puis de la projeter vers l’ennemi. Or, au cœur du XXIᵉ siècle, l’aiguillon de la transition écologique vient fissurer la promesse d’abondance qui soutenait ce crescendo technologique. Raffineries fermantes, réseaux électriques vulnérables, métaux critiques disputés : l’architecture énergétique mondiale chancelle. Dès lors, les états-majors redécouvrent une sagesse que la démesure avait engloutie : concevoir des systèmes sobres, modulaires, réparables, capables de survivre dans l’ombre quand la grande fée‐kilowatt vacille. Cette étude, ample comme un sillage d’escadre, examine la dialectique entre haute technologie et low-tech, éclaire les franges invisibles de la logistique, ausculte la notion de mode dégradé et propose des pistes pour refonder la supériorité opérationnelle sur les fondations d’une sobriété créatrice. *CRISE ÉNERGÉTIQUE GLOBALE ET IMPACT SUR LA PUISSANCE MILITAIRE* L’ordre pétrolier né à la fièvre de 1945 s’effiloche. L’Europe, jadis constellée de raffineries, n’en conserve qu’une poignée ; le raffinage se déplace vers le Golfe arabo-persique et l’Asie, exposant les armées occidentales à d’immenses lignes de ravitaillement maritime, fragiles comme un filament de verre. À cette dépendance s’ajoute la révolution électrique : la guerre numérique exige serveurs de calcul, radars AESA, brouilleurs large bande et lasers à haute énergie. Or l’électricité, contrairement au gasoil, ne se stocke qu’imparfaitement ; produire sur théâtre nécessite micro‐réacteurs modulaires, turbines à biocarburant ou fermes solaires repliables que le moindre drone kamikaze peut réduire au silence. La puissance militaire devient, plus que jamais, l’art de faire jaillir un kilowatt-heure là où l’adversaire ne l’attend pas, tout en se protégeant de la panne énergétique comme d’une balle perdue. *MUTATION TECHNOLOGIQUE DES PLATEFORMES TERRESTRES* Le char des âges à venir n’est plus seulement un tube et un blindage, mais une centrale mobile truffée de processeurs. Sa tourelle accueille un radar pénétrant le brouillard électromagnétique, son flanc embarque des plaques de batteries solides, son moteur hybride s’alimente indifféremment de carburant synthétique ou de diesel soufré. Chaque tir de canon laser engloutit, en une bouffée de lumière, l’énergie nécessaire à vingt-quatre heures de patrouille de fantassins. Dans le même temps, la miniaturisation pousse l’infanterie à se barder de capteurs, de calculateurs balistiques, de radios maillées ; le fantassin devient porteur de cinquante watts permanents qui se rappellent à lui dès la première nuit sans générateur. L’écueil est double : plus l’équipement s’enrichit, plus la plate-forme s’alourdit ; plus elle s’alourdit, plus elle consomme ; plus elle consomme, plus la logistique gémit. La boucle est infernale si elle n’est brisée par une reconception où chaque électron dépensé doit apporter un avantage tactique mesurable. *VULNÉRABILITÉS LOGISTIQUES DANS LES THÉÂTRES CONTEMPORAINS* C’est sur la route, et non sur la ligne de front, que s’épuisent les armées. En Afghanistan, un convoi de carburant pour bases isolées mobilisait jusqu’à quarante soldats, deux drones d’escorte et des hélicoptères d’appui, pour franchir deux cents kilomètres de pistes exposées aux EEI ; un litre d’essence y coûtait parfois dix litres d’effort humain. Dans les steppes ukrainiennes, les convois russes, trop lents, furent harcelés par l’artillerie guidée, preuve éclatante qu’une colonne logistique surdimensionnée devient cible de valeur stratégique. Les forces spéciales occidentales, qui jadis comptaient sur leur agilité, redoutent désormais la signature thermique des générateurs diesels : toute nappe de chaleur repérée par satellite peut appeler un essaim de munitions rôdeuses. Le théâtre insulaire ajoute la contrainte maritime ; si un blocage du détroit de Malacca survenait, l’aviation de projection européenne manquerait de Jet A-1 en quelques semaines. Enfin, le Grand Nord, avec ses –40 °C, réduit l’efficacité des batteries de moitié et fige le gasoil en gelée paraffinée. Dans ces trois environnements, l’accès à l’énergie est une bataille avant la bataille. *CULTURE DU MODE DÉGRADÉ ET RENAISSANCE DU LOW-TECH* Face à ces goulets, les vieilles pratiques ressurgissent avec la vigueur d’un souvenir longtemps réprimé. Le mode dégradé, jadis relégué aux marges des manuels, redevient vertu cardinale. Sur une frégate, les timoniers revisitent la navigation astronomique en cas de brouillage GNSS ; dans les tranchées ukrainiennes, la carte papier et le compas redonnent sens à la topographie sous feu électronique. Le low-tech ne nie pas la modernité ; il la complète par la résilience. Un poste radio HF à manivelle offre une portée continentale sans besoin de satellite. Un drone-planeur en polystyrène, catapulté par sandow, transporte cinq kilos de plasma sans consommer d’électricité en vol. Un mortier lisse, dénué d’électronique, assure une permanence de tir quand les obus guidés manquent de balises. Ce n’est pas romantisme : c’est liberté d’action lorsque les flux énergétiques s’effondrent. *IMPLICATIONS INDUSTRIELLES ET DOCTRINALES* L’essor d’une base industrielle duale impose d’articuler deux filières. La première, high-tech, assemble semi-conducteurs ultrafins, tuiles GaN et batteries à électrolyte céramique ; elle exige propreté salle-blanche et chaîne logistique complexe. La seconde, low-tech, valorise l’usinage acier-aluminium, les circuits ouverts, la réparabilité sur terrain avec outillage commun. Une fusée éclairante ou un obus à empennage scanné en 3D puis imprimé sur site illustre cette seconde voie. Pour réussir cette cohabitation, la DGA devra inclure, dans tout cahier des charges, un paragraphe « capacité résiduelle sous contrainte énergétique » et favoriser les PME capables de concevoir des solutions rustiques. Les écoles, quant à elles, devront enseigner la mécanique embarquée, l’électrotechnique de campagne et l’algorithmie frugale ; un soldat du numérique doit savoir ressusciter son équipement en l’absence de valise diagnostique. Sur le plan doctrinal, les états-majors devront instaurer une « quotité énergétique » par unité ; commander c’est désormais distribuer watts et litres comme on répartit les munitions. *PERSPECTIVES PROSPECTIVES 2035* Imaginons une opération combinée dans l’archipel philippin à l’horizon 2035. Une force amphibie européenne débarque avec véhicules littoraux hybrides, capables de rouler quinze kilomètres en mode électrique pour préserver la discrétion, avant de basculer sur un turbogénérateur utilisant biocarburant issu d’algues locales. Autour des têtes de pont, un micro-réseau solaire-hydrogène alimente stations radar portatives, radios laser et chaînes de dessalement. Chaque section d’infanterie dispose de drones voilures fixes rechargés par vélos-générateurs, transformant l’effort physique en cent-cinquante watts de puissance. En arrière-plan, un atelier conteneurisé imprime pièces de rechange pour organes critiques et, en cas de panne totale, les chefs de groupe reviennent au carnet de chiffrement papier et aux signaux lumineux ; la supériorité n’est pas interrompue mais simplement ralentie. Scénario inverse : en Scandinavie, l’hiver polaire coupe lignes HT et gèle le carburant. Les bataillons franchissent la taïga grâce à véhicules chenillés au méthanol, plus stable sous –50 °C. Les toboggans-cargo tirés par drones-cerfs-volants rotomoulés transportent nourriture et munitions sans moteur, la portance éolienne compensant l’âpreté du relief. Les patrouilles artillent avec canons électromagnétiques lorsqu’ils disposent de pic d’énergie produit par petits réacteurs modulaires ; le reste du temps, fusils antichars sans recul, héritiers modernisés de 1943, percent les blindages légers ennemis. La clé de voûte réside dans la capacité à changer de posture énergétique avec l’agilité d’un chasseur, passant du full-electric à la propulsion chimique, du brouillage actif au camouflage passif, sans jamais franchir le seuil de la rupture logistique. *CONCLUSION* La guerre est, en dernière instance, l’affrontement de volontés nourries d’énergie. Quand l’énergie faiblit, la volonté s’effiloche ; mais lorsque la stratégie intègre la pénurie comme variable native, elle se mue en ascèse fertile. La modernité, loin de s’opposer à la sobriété, s’y inscrit : l’algorithme peut trier l’usage légitime de chaque watt, l’impression add-in-field ressuscite la pièce brisée, la tablette solaire inspire l’esquisse d’un camp autonome. Le low-tech n’est pas régression : il est rempart à l’entropie du monde. Au cœur du vacarme, il rappelle que la force se mesure au silence qui demeure lorsqu’on coupe le générateur : un sextant braqué vers la lune, un transmetteur à pédale, un moteur poli par une main experte suffisent alors à faire entendre, dans l’obscurité, la pulsation vivante d’une armée qui refuse de s’éteindre. https://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST-7322-2025-INIT/en/pdf #défense #énergie #sobriété #lowtech #résilience #euroscope https://buymeacoffee.com/euroscope

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