EuroScope : la chaîne sur l’Europe
EuroScope : la chaîne sur l’Europe
June 4, 2025 at 10:28 AM
*ITALIE : ENTRE LE RÊVE INDUSTRIEL ET LA RÉALITÉ DES STRATÉGIES DISPARATES* Au sortir des ruines de 1945, la Péninsule s’arma d’une volonté de fer : refondre son destin manufacturier pour rattraper, puis défier, les géants d’outre-Alpes. Des hauts fourneaux de Tarente aux chaînes de Mirafiori, l’État devint forgeron, tressant un réseau d’entreprises publiques qui, telles des cathédrales d’acier, élevèrent l’Italie dans le concert industriel mondial. Mais la splendeur des Trente Glorieuses se figea, et le glas de Maastricht retentit comme une invite à l’orthodoxie budgétaire. Dès lors, le souffle planificateur se mua en brises éparses : politiques horizontales, aides fragmentées, grands desseins sans gouvernail. De 2006 à 2024, le pays vécut cinq ères successives de stratégies industrielles, chacune promettant un renouveau qu’elle ne parvint qu’imparfaitement à incarner. Le récit qui suit, étoffé d’analyses inédites, retrace ce demi-siècle d’allers-retours entre volontarisme et dispersion, pour dégager les clés d’une renaissance durable. *DE L’ÂGE D’OR DES ENTREPRISES PUBLIQUES À LA CONTRAINTE EUROPÉENNE* À la fin des années 1950, l’IRI et l’ENI rayonnaient tels deux leviers titanesques, irrigant d’acier, de pétrochimie et d’électrons un tissu productif encore paysan. L’autoroute du Soleil traçait la modernité tandis que les machines-outils lombardes exportaient jusqu’aux confins de l’Inde. Pourtant, l’intégration communautaire imposa au début des années 1990 sa grammaire de concurrence et de discipline monétaire. L’Italie dut brader des joyaux, comprimer sa dépense industrielle – de 1,6 % du PIB en 1992 à 0,2 % en 2013 – et confier la dynamique du capital à un marché encore frileux. Dès lors, la politique industrielle perdit son épicentre : elle devint mosaïque d’incitations, rarement articulées, souvent évanescentes. *LES CINQ ACTES D’UNE AMBITION MORCELÉE* *PIANO INDUSTRIA 2015 : SONGE AVORTÉ D’UNE POLITIQUE DE FILIÈRE* En 2006, le gouvernement Prodi brandit « Industria 2015 », croyant ranimer par des Projets d’Innovation Industrielle l’énergie, la mobilité durable ou les biotechnologies. Mais les crédits se délitèrent dans les méandres administratifs ; seules trois filières reçurent financement, et encore sous-dosé. Ainsi s’installa le premier paradoxe : une vision stratégique affranchie de ses moyens, prémisse d’une décennie de discontinuités. *LA DÉCENNIE DÉFENSIVE : DEUX RÉCESSIONS POUR UNE MÊME DÉSERTION* Le double choc de 2008 et 2012 vitrifia la boussole industrielle. L’État, acculé, choisit la survie : Garantie Centrale pour PME, fonds anticrise et crédits d’impôt temporaires. Si la lueur du Startup Act (2012) esquissa une culture entrepreneuriale neuve, le reste fut cautérisation de plaies béantes : la production manufacturière s’éroda de 17 %, la géographie productive se polarisa autour du Nord, laissant le Mezzogiorno en jachère. *PIANO INDUSTRIA 4.0 : L’ESPOIR NUMÉRIQUE* Sous Matteo Renzi, l’Italie s’enflamma pour la « Quatrième Révolution ». Hyper-amortissements, crédits R&D, pôles de compétence et plan Ultra-Large Bande tressèrent un faisceau d’incitations visant robotique, cloud, IoT. L’effet fut tangible : bond des investissements technologiques, modernisation accélérée des PMI, essor de l’emploi qualifié. Mais l’accessibilité demeura inégale : 74 % des bénéficiaires se concentraient dans le Triangle industriel, reconduisant l’historique fracture territoriale. *TRANSIZIONE 4.0 : VERDISSEMENT TIMIDE, DISPERSION PERSISTANTE* À partir de 2018, les gouvernements Conte prolongèrent l’aventure 4.0, y greffant un vernis vert et un embryon de souveraineté technologique. Le Fonds National Innovation, la filière batteries et les premiers IPCEI signalèrent une ouverture stratégique vers l’Europe. Pourtant, l’inflation de micro-fonds, la superposition d’agences et le gigantisme budgétaire du Superbonus 110 % assombrirent la lisibilité d’ensemble : on dépensa sans toujours orienter, on subventionna sans toujours conditionner. *PNRR : PROMESSE EUROPÉENNE, LABYRINTHE ITALIEN* Le Plan National de Relance (2021-2026) déversa plus de 190 milliards d’euros, articulés autour des missions « Digitalisation », « Transition Verte » et « Recherche ». S’il fit décoller la couverture fibre, l’hydrogène et les bus électriques, son exécution révéla l’éternel talon d’Achille : faible capacité d’absorption des ministères et gouvernances éclatées. À fin 2024, moins d’un tiers des fonds était réellement dépensé, la moitié absorbée par des bonus fiscaux non ciblés. *UN BILAN EN DEMI-TEINTE* *STRATÉGIE DISCONTINUE, PRIORITÉS MUTES* Sur dix-huit ans, l’Italie aura oscillé entre volontarisme sectoriel, pansements horizontaux et virages technologiques, sans pérenniser une vision liant territoires, compétences et chaînes de valeur. La mission-oriented policy, qui irrigue désormais l’Europe, reste clairsemée ; la logique place-based, cruciale dans un pays polarisé, demeure incantatoire. *OUTILS MONOCHROMES, CONDITIONNALITÉS FAIBLES* Près de 40 % des instruments recensés sont des subventions ou garanties, simples à octroyer, peu exigeantes en retours. À l’inverse, l’investissement patient en capital, le couplage d’aides et d’obligations de réinvestissement, ou la commande publique stratégique ne représentent qu’une fraction du panel. Résultat : un risque d’effets d’aubaine et de capture par les acteurs établis. *GOUVERNANCE EN ARCHIPEL, ÉVALUATION LACUNAIRE* Du ministère du Made in Italy à Invitalia, de CDP aux clusters régionaux, la constellation d’opérateurs agit souvent sans boussole commune, accumulant fonds et appels à projets sans cadastre ni autopsie d’impact. Faute de métriques rigoureuses, les réussites – réelles – se noient dans la brume des dépenses, et les échecs se perpétuent faute de retour d’expérience. *RECOMMANDATIONS POUR UN RÉVEIL INDUSTRIEL* *PLANTER UNE BANNIÈRE COLLECTIVE* Il faut hisser l’élaboration d’une STRATÉGIE INDUSTRIELLE NATIONALE, co-construite avec régions, entreprises, syndicats et centres de recherche, autour de missions claires : décarboner la sidérurgie, souverainiser les semi-conducteurs de puissance, remailler la mobilité méridionale, sanctuariser l’agro-biodiversité. Chaque mission doit s’arrimer à un agenda financier, réglementaire et éducatif lisible sur dix ans. *RÉORIENTER LES RESSOURCES PAR LA RÉCIPROCITÉ* Les incitations futures devraient lier aides publiques et obligations de résultat : partage de brevets, création d’emplois qualifiés, relocalisation de compétences, verdissement mesurable. Un euro public doit se transformer en bien public, et non en rente. *FORTIFIER LES CAPACITÉS DE L’ÉTAT PARTENAIRE* Cartographier les talents, numériser les procédures, fusionner les fonds redondants : telle est l’armature nécessaire pour passer d’un État subventionneur à un État stratège. Inspirons-nous des « Team France 2030 » ou de la KfW allemande pour faire de CDP et MCC les bras armés cohérents d’une politique orientée vers l’impact et la démocratisation des retombées. *CONCLUSION* L’Italie porte en elle deux héritages : la grandeur industrielle des années miraculeuses et la vulnérabilité d’un tissu productif morcelé. Entre ces pôles, dix-huit ans de politiques industrielles ont tracé une ligne sinueuse, ponctuée d’éclairs de génie et d’ombres de dispersion. À l’orée d’une décennie décisive, où la souveraineté technologique se gagne à coups de gigafactories et de cloud européens, le pays doit renouer avec l’audace de ses pionniers tout en cultivant la rigueur d’une gouvernance moderne. S’il parvient à orienter ses ressources vers des missions partagées, à conditionner ses aides à la création de valeur collective, et à renforcer l’expertise publique qui veille à leur exécution, alors l’Italie pourra redevenir, non plus l’atelier fragile du vieux continent, mais le laboratoire résilient d’une Europe réinventée. #politiqueindustrielle #italie #transitionverte #innovation #souveraineté #euroscope https://buymeacoffee.com/euroscope

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