
EuroScope : la chaîne sur l’Europe
June 5, 2025 at 07:28 PM
*LE PRIX DE LA SOUVERAINETÉ NUMÉRIQUE : QUAND LE DIGITAL EURO MET À CONTRIBUTION LA BANQUE EUROPÉENNE*
En s’engageant sur la voie d’un euro numérique accessible à chaque citoyen de la zone euro, la Banque centrale européenne promet à l’Europe un sésame de paiement universel, aussi fluide qu’une pensée, aussi sûr que la pierre angulaire de la monnaie fiduciaire. Mais derrière l’horizon radieux de la modernité monétaire se dresse une montagne de coûts, de contraintes techniques et d’interrogations stratégiques pour les banques de détail. Commandée par les associations bancaires européennes et menée par PwC, l’étude « Digital Euro Cost Study » élève le débat : elle chiffre, questionne, alerte. C’est à ce témoignage chiffré que nous prêtons ici notre plume, afin d’en extraire les enjeux politiques, économiques et technologiques pour la défense de la souveraineté financière européenne.
*UN CHANTIER COLOSSAL, UN INVESTISSEMENT SANS GARANTIE DE RETOUR*
Les chiffres claquent comme des drapeaux dans le vent : plus de deux milliards d’euros de coûts d’adaptation rien que pour l’échantillon de dix-neuf banques sondées, soit cent dix millions en moyenne par établissement. Extrapolé aux 2 100 institutions de crédit concernées dans l’Union monétaire, l’addition grimperait à dix-huit milliards. Dans un scénario plus ambitieux—intégrant comptes multiples, mode hors ligne et intermédiation élargie—la note pourrait atteindre trente milliards. Or ces montants ne couvrent que les dépenses de changement sur quatre ans ; ils laissent de côté les frais récurrents d’exploitation et les évolutions réglementaires futures.
*L’ÉPREUVE TECHNIQUE : LÀ OÙ S’ÉGARENT LES EUROS*
Trois quarts de la dépense se concentrent dans la couche technique. Il faut refondre applications mobiles et web, injecter l’euro numérique dans les autorisations de paiement et les dispositifs anti-fraude, doter les automates bancaires d’interfaces NFC ou QR Code, convertir les parcs de terminaux commerçants, bâtir des passerelles vers la future plateforme du Système européen de banques centrales. Le fragment technologique européen—ses systèmes hérités, ses architectures fédérées, ses multiples standards—multiplie les chantiers et sape les économies d’échelle.
*LE PARADOXE DES BRANCHES ET DES DISTRIBUTEURS AUTOMATIQUES*
Au moment même où la fréquentation des agences décline et où le nombre de distributeurs recule, l’euro numérique demande aux banques de rendre ces réseaux aptes au chargement et au déchargement de portefeuilles digitaux. Faut-il prolonger la vie de guichets que la clientèle déserte ? Investir dans des automates dont l’usage baisse de cinq pour cent l’an ? Le risque est de consacrer des capitaux à des infrastructures que la transition digitale rend obsolètes, au nom d’un service d’inclusion financière qui pourrait être assuré autrement.
*UNE CARTE PHYSIQUE POUR UNE MONNAIE DÉMATÉRIALISÉE ?*
La BCE envisage une carte euro numérique pour ceux que la technologie mobile rebute. Mais l’essor fulgurant des portefeuilles électroniques interroge la pérennité d’un tel support. À quoi bon forger du plastique high-tech si l’utilisateur, sitôt la carte reçue, l’enrôle dans son smartphone ? Ici encore, la lourdeur des coûts s’oppose à la légèreté de l’usage.
*CONTRAINTES OPÉRATIONNELLES : L’OMBRE DU BESOIN HUMAIN*
Au-delà des euros, ce sont les femmes et les hommes qui manquent. Près de la moitié des effectifs spécialisés devraient se dévouer, quatre années durant, à l’implémentation du projet. Chaque ligne de code pour l’euro numérique sera une ligne qui ne servira ni à la cybersécurité, ni à la finance durable, ni à l’intelligence artificielle bancaire. La capacité d’innovation du secteur s’en trouvera bridée, tandis que les acteurs non bancaires, eux, pourront intégrer gratuitement l’euro numérique à leur écosystème et concurrencer les établissements européens sans supporter la même charge.
*RISQUES DE DÉPENDANCE ET D’ATTRACTION DES GÉANTS DU NUMÉRIQUE*
L’intention première est de réduire la dépendance face aux plateformes étrangères. Pourtant, en imposant l’acceptation obligatoire de l’euro numérique et en permettant à n’importe quel portefeuille tiers de s’y connecter, le projet pourrait au contraire consolider la position dominante de ces mêmes plateformes globales, capables d’absorber l’euro numérique comme une fonction supplémentaire de leurs empires.
*RÉÉQUILIBRER L’AMBITION ET LA PRUDENCE*
Avant de sceller le destin de la monnaie digitale, une évaluation coûts-avantages exhaustive s’impose :
– Élaborer un modèle de rémunération équitable pour les intermédiaires chargés de l’onboarding, de la surveillance KYC/AML et de la gestion de liquidité.
– Prioriser la réutilisation d’infrastructures existantes pour minimiser la duplication des investissements.
– Hiérarchiser les fonctionnalités : distinguer le cœur de service (paiement en ligne P2P et P2B) des options complexes (hors-ligne, multi-compte) qui renchérissent le projet sans garantie d’utilité.
– Mesurer l’impact compétitif sur les initiatives de marché déjà en gestation, telles qu’EPI ou EuroPA, pour éviter de fragiliser l’écosystème européen au profit de solutions exogènes.
*CONCLUSION*
À l’heure de la souveraineté stratégique, l’euro numérique incarne la volonté de l’Europe de tenir son rang dans la bataille planétaire des paiements. Mais la souveraineté a un prix. Si l’Union voulait bâtir un pont de lumière entre la monnaie publique et le monde digital, elle découvre qu’il faut d’abord consolider les piles de pierres qui le soutiennent : systèmes, talents, réseaux, modèles économiques. Sans quoi le pont risque de vaciller avant même d’accueillir le premier passager. L’enjeu n’est pas seulement d’innover ; il est de le faire avec discernement, dans une alliance lucide entre banque, technologie et intérêt général.
https://www.ecb.europa.eu/paym/digital_euro/html/index.fr.html
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