
EuroScope : la chaîne sur l’Europe
June 5, 2025 at 11:11 PM
*CHANGEMENTS POUR LE MEILLEUR ? UNE PLONGÉE AU CŒUR DES MÉTAMORPHOSES DES PLANS NATIONAUX DU RRF*
Au lendemain de la tempête pandémique, l’Union européenne fit naître, tel un géant de papier devenu colosse de chair, la Facilité pour la reprise et la résilience (RRF). Jamais auparavant pareille somme – plus de 800 milliards d’euros – n’avait été mise au service d’une ambition commune : réparer les chairs meurtries de nos économies, mais aussi préparer, dans le même mouvement, l’avenir énergétique, numérique et industriel du continent. Trois années ont passé ; les plans nationaux ont grandi, mué, parfois vacillé, souvent été retouchés. En retraçant l’odyssée de ces métamorphoses jusqu’au 6 juin 2025, nous interrogeons les raisons profondes, les mécanismes juridiques et les implications démocratiques d’un processus qui, à la manière des grands romans d’Émile Zola, révèle la vigueur autant que les failles d’une Europe en chantier.
*CADRE JURIDIQUE DES RÉVISIONS*
Le législateur, conscient que l’urgence commande la souplesse, a inscrit dans le règlement RRF trois portes de sortie : la porte financière, ouvrant sur les ajustements de subventions, de prêts ou l’adjonction du chapitre REPowerEU ; la porte des circonstances objectives, lorsqu’obstacles d’inflation, pénuries de matériaux ou alternatives techniques supplantent l’architecture première ; la porte enfin de la plateforme STEP, destinée aux technologies stratégiques. Chaque État peut pousser l’un de ces battants en adressant à la Commission un plan révisé ; celle-ci, après une valse serrée d’échanges confidentiels, adresse son appréciation positive au Conseil qui adopte un nouveau Décision CID. Si le texte fut écrit dans l’encre de l’exception, la pratique, elle, révéla combien l’exception pouvait devenir règle : quatre-vingt-huit CIDs modifiés ont déjà été avalisés, tandis que dix-sept demandes demeuraient en suspens à la fin mai 2025.
*MÉTAMORPHOSE DES PLANS NATIONAUX*
Le relief des révisions n’est ni uniforme ni anodin. Italie, Espagne, Belgique et Irlande ont chacune vu leurs plans retouchés quatre fois, tandis que la Bulgarie ou la Croatie n’ont, à ce jour, qu’une seule révision à leur actif. En volume, plus de deux mille mesures furent concernées ; deux-tiers l’ont été au nom de circonstances objectives, signe que la réalité des chantiers, plus rugueuse qu’espéré, a bousculé maints calendriers. Les ajustements liés à REPowerEU – nécessaire conversion du mix énergétique après l’invasion de l’Ukraine – représentent un huitième des modifications. Quant à la marge de prêts additionnels, dix États y ont recouru ; l’Espagne, dans un geste hugolien de grandeur, a porté son enveloppe de prêts à plus de 84 milliards, quand la Belgique l’utilisait pour compenser la contraction de ses subventions.
Sous la loupe des proportions – ratio entre mesures modifiées et corpus total – trois pays émergent : Portugal, Lituanie, Pologne. Le cas lusitanien illustre la plasticité extrême du dispositif : en trois révisions, Lisbonne a remanié une fois et demie la totalité de ses mesures, parfois pour accroître l’ambition verte, parfois pour substituer à un objectif jugé chimérique une alternative prétendue équivalente. Ce tourbillon soulève une question centrale : où finit l’adaptation légitime, où commence le renoncement masqué ?
*ACTEURS ET TRANSPARENCE*
L’article 19 du règlement proclame la coopération étroite entre Commission et États ; l’article 26 institue un dialogue avec le Parlement. Dans les faits, les couloirs où se négocient les amendements demeurent ouatés de silence : fiches justificatives non publiées, échanges bilatéraux hors lumière, scoreboard parcellaire. Or, comme le rappelle le pacte démocratique scellé depuis Jean Monnet, le secret, fût-il bienveillant, engendre la suspicion ; la suspicion, la défiance. Une implication plus précoce et plus substantielle du Parlement, dépositaire de la voix citoyenne, renforcerait l’assise d’une politique dont chaque euro engage la crédibilité de l’Union.
*MOTEURS PROFONDS DES MODIFICATIONS*
Quatre ressorts émergent. D’abord la complexité : plus le plan est volumineux et calibré sur un appareil administratif fragile, plus les retouches s’imposent. Ensuite les chocs exogènes : flambée des prix de l’acier, ruptures logistiques, guerre aux portes orientales, autant de cailloux dans l’engrenage. Troisième levier : la granularité de la conception ; certains États ont choisi une mosaïque de micro-cibles, d’autres de vastes tuiles englobantes, modifiant d’autant la facilité des révisions. Enfin, la variable politique : changement de majorité ou proximité électorale peuvent encourager l’inflexion, subtile ou affichée, des priorités, même si notre examen, faute de transparence, n’établit pas de corrélation fermement causale.
*LE LIEN AVEC LA TEMPORALITÉ POLITIQUE*
Entre juin 2021 et aujourd’hui, vingt-six États – la Bulgarie mise à part tant ses scrutins se sont répétés – ont connu un renouvellement électoral. Certains, tel l’Irlande, ont multiplié les ajustements sans changer de coalition ; d’autres, comme la Croatie, n’ont quasiment pas touché à leur plan malgré des élections. L’Espagne se singularise : longtemps réticente à emprunter, elle sollicita soudain la quasi-totalité de son quota de prêts à la veille des législatives de 2023, manière de doter la campagne d’un trésor de guerreKeynésien. Ici encore, l’ombre de la politique plane, mais le brouillard documentaire empêche de démêler l’intérêt général de l’opportunité partisane.
*ENSEIGNEMENTS ET PISTES POUR L’APRÈS-RRF*
L’histoire encore inachevée du RRF livre plusieurs leçons. Primo, toute flexibilité doit s’adosser à un socle de redevabilité : plus les portes sont larges, plus la maison doit être vitrée. Secundo, la notion de « meilleure alternative » gagnerait à être gravée dans un marbre méthodologique précis, faute de quoi l’ambition initiale risque d’être rabotée. Tertio, confier à un même instrument des objectifs multiples – relance, autonomie stratégique, compétitivité – revient à charger un navire de voiles contradictoires ; la règle de Tinbergen nous rappelle l’élégance d’un objectif par outil. Enfin, si l’Union envisage de pérenniser un mécanisme d’investissement commun au-delà d’août 2026, elle devra associer le Parlement de bout en bout, instituer un guichet public des échanges techniques, et veiller à ce que chaque révision demeure l’exception motivée, non la facilité routinière.
*CONCLUSION*
La Facilité pour la reprise et la résilience aura été, tout ensemble, la cathédrale de nos ambitions post-covidiennes et le miroir grossissant de nos limites institutionnelles. Comme dans les pages de Romain Gary, où l’homme oscille sans cesse entre grandeur et défaillance, l’Europe s’est révélée capable de forger un outil financier sans précédent, mais encore hésitante à en dompter les ressorts politiques. À l’orée de la date fatidique du 31 août 2026, il nous appartient d’exiger la clarté, de cultiver la cohérence, et de faire de chaque révision non un constat d’échec, mais l’acte II d’une ambition rehaussée. Alors seulement, le géant né de la crise se dressera, non plus comme un colosse aux pieds d’argile, mais comme un bâtisseur résolu d’une souveraineté partagée.
https://ec.europa.eu/economy_finance/recovery-and-resilience-dashboard/index.html
#euroscope #rrf #planderelance #unioneuropéenne #transparence
https://buymeacoffee.com/euroscope