
EuroScope : la chaîne sur l’Europe
June 6, 2025 at 02:43 PM
*STRATÉGIE POUR UN MARCHÉ UNIQUE RÉENCHANTÉ : RÉDUIRE LES MURS, LIBÉRER LES ÉNERGIES*
Il y a plus de trois décennies, le Marché unique jaillissait telle une vaste plaine fertile, débarrassée des frontières qui, jadis, morcelaient le continent. Aujourd’hui encore, il irrigue un espace de 450 millions de citoyens et pèse près de 18 000 milliards d’euros de richesse ; pourtant, les sillons qu’il pourrait féconder demeurent, selon la Commission européenne, trop peu labourés. Dans la lignée des rapports Letta (2024) et Draghi (2024), l’exécutif a dévoilé le 21 mai 2025 une stratégie pour « raviver la flamme » du Marché unique. L’heure n’est plus aux déclarations lyriques : la concurrence américaine et chinoise gronde, les guerres commerciales se multiplient, l’inflation ronge les marges, et nombre d’entreprises peinent à franchir les cloisons réglementaires dressées par vingt-sept interprétations nationales. C’est à cette pesanteur que la nouvelle feuille de route entend s’attaquer.
*UNE VISION GUIDÉE PAR CINQ LEVIERS STRUCTURANTS*
La Commission pose d’abord le diagnostic : la croissance des échanges de services intra-européens stagne, le foisonnement normatif décourage l’investissement, et les PME – colonne vertébrale de l’économie – manquent encore d’oxygène administratif. Pour y remédier, elle décline une partition concertante autour de cinq thèmes.
*PREMIER LEVIER : REMETTRE LE SERVICE AU CŒUR DE L’INTÉGRATION*
Le commerce des services représente deux tiers du PIB européen mais moins d’un quart des échanges transfrontaliers. Pour libérer ce potentiel, l’exécutif annonce une future « Construction Services Act » destinée à harmoniser les règles de qualification, de responsabilité décennale et de marchés publics, puis un « EU Delivery Act » appelé à remplacer la directive postale et le règlement sur les colis. À terme, il s’agit d’alléger les licences multiples et de faciliter l’activité des installateurs, réparateurs, architectes et logisticiens d’un État à l’autre, réduisant de 10 % le coût moyen d’entrée sur un nouveau marché.
*DEUXIÈME LEVIER : PROPULSER LES PME ET LES ENTREPRISES À MOYENNE CAPITALISATION*
Quatre-vingt-dix-neuf pour cent des firmes européennes relèvent de la catégorie « petite ou moyenne ». Beaucoup s’essoufflent à force de formulaires dissemblables ; la Commission propose une carte d’identité numérique unique – le « SME ID » – qui certifiera en temps réel leur statut dans toute l’Union. Parallèlement, une catégorie intermédiaire – les « small mid-caps » – couvrira désormais 38 000 sociétés jusqu’ici coincées entre la « PTME » et la grande entreprise. Davantage d’exonérations de reporting et un accès élargi aux guichets de financement leur sont promis.
*TROISIÈME LEVIER : FAIRE DE LA NUMÉRISATION LA NOUVELLE NORME ADMINISTRATIVE*
Après trois paquets « omnibus » de simplification, un quatrième réduit déjà la paperasse annuelle de 400 millions d’euros ; l’objectif global vise désormais moins 25 % pour tous et moins 35 % pour les PME d’ici 2029. L’envoi électronique des certificats de conformité produits ou des attestations de conformité REACH deviendra la règle. Des projets connexes – Digital Networks Act, plate-forme de billetterie ferroviaire unique, mobilité fret sans papier – viendront cimenter ce virage.
*QUATRIÈME LEVIER : ASSURER UNE APPROPRIATION POLITIQUE AU SOMMET DES CAPITALES*
Trop souvent, les directives sont transposées avec un zèle additif ; surgissent alors les fameuses « surtranspositions » qui minent la compétitivité. Chaque État devra nommer un « Sherpa du Marché unique », interlocuteur direct de Bruxelles, chargé de prévenir ces excroissances et de publier un rapport annuel d’écart de conformité. Cette responsabilité politique est censée transformer le principe d’integration en engagement national visible.
*CINQUIÈME LEVIER : DÉMANTELER LES « DIX OBSTACLES LES PLUS NUISIBLES »*
Une task-force conjointe Commission-États-membres-entreprises dressera chaque année la liste noire des barrières réglementaires jugées les plus néfastes pour la libre circulation : quotas de prestataires, exigences de ré-enregistrement, ou régimes de licence redondants. En s’attaquant à ces « terrible ten », Bruxelles espère relancer de 1 % le commerce intérieur et accroître l’investissement direct intra-UE de 65 milliards d’ici 2030.
*COHÉRENCE AVEC LES PRIORITÉS LETTA ET DRAGHI*
Enrico Letta avait plaidé pour une « Constitution économique » du Marché unique ; Mario Draghi, pour un sursaut de compétitivité industrielle. La stratégie 2025 fait écho aux deux : elle vise la densification des services (diagnostic Letta) tout en attaquant le coût réglementaire (diagnostic Draghi). En somme, fluidifier l’environnement domestique pour attirer les chaînes de valeur « friend-shore » plutôt que de courir derrière les subventions étrangères.
*DÉFIS DE MISE EN ŒUVRE ET RÉACTIONS DES ACTEURS*
La route reste pavée d’embûches. Certaines capitales redoutent une « standardisation par le bas » de leurs exigences sociales ou environnementales. Les syndicats craignent que l’harmonisation des services de construction n’érode les conventions collectives nationales. À l’inverse, de nombreux industriels saluent la fin annoncée des licences croisées et la reconnaissance mutuelle des formations. Au Parlement européen, les commissions IMCO et ITRE préparent déjà leurs rapports ; la GUE-NGL promet des amendements pour encadrer la sous-traitance transfrontalière, tandis que le PPE applaudit le principe du Sherpa mais réclame un mécanisme de sanction contre les surtranspositions.
*IMPLICATIONS GÉOPOLITIQUES ET COMPÉTITIVES*
Dans un monde où Washington renforce l’Inflation Reduction Act et Pékin multiplie ses incitations fiscales, l’UE choisit, plutôt qu’une fuite en avant budgétaire, de moderniser son marché domestique. En libérant les marges administratives, elle espère rapatrier des investissements qui s’orientent vers l’Asie ou l’Amérique. Mais cette stratégie ne vaudra que si les États membres, souvent promptes à défendre leurs prérogatives réglementaires, consentent à une discipline collective – condition sine qua non pour que « Choisir l’Europe » devienne l’option naturelle des entreprises.
*CONCLUSION*
Le Marché unique fut jadis comparé par Jacques Delors à un « diamant mal taillé ». Trente-deux ans après, la Commission entreprend de repolir la pierre. Elle parie que l’élimination des aspérités nationales libérera une énergie créatrice égale, sinon supérieure, à celle des grands plans budgétaires d’outre-Atlantique. Mais le diamant n’atteindra son éclat que si chaque État accepte que l’intérêt commun prime les routines nationales. Faute de quoi, la stratégie 2025 ne sera qu’un chapitre de plus dans la longue chronique des ambitions bridées. À l’inverse, si le pari est tenu, l’Union montrera qu’elle sait, à l’heure des empires techno-industriels, transformer la diversité européenne en un avantage compétitif irrésistible.
https://commission.europa.eu/news/bringing-down-barriers-single-market-create-opportunities-all-2025-05-21_en
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