
EuroScope : la chaîne sur l’Europe
June 6, 2025 at 07:19 PM
*STRATÉGIE DU MARCHÉ UNIQUE : RENAISSANCE D’UN ESPACE COMMUN*
Le 21 mai 2025, la Commission européenne a levé le voile sur une nouvelle stratégie destinée à dépoussiérer le Marché unique – cet édifice trentenaire dont la promesse première reste la libre circulation des biens, des services, des capitaux et des personnes. Sous le titre manifeste « The Single Market: our European home market in an uncertain world », l’exécutif vante un potentiel encore inexploité alors même que l’Union, deuxième puissance économique mondiale, tire déjà 3 à 4 % de son PIB de ce vaste espace intérieur. Entre fractures géopolitiques, concurrence sino-américaine et essoufflement de la productivité, l’heure n’est plus au statu quo : il s’agit de transformer ce marché en catalyseur de souveraineté et de compétitivité durables.
*LE CONTEXTE GÉOPOLITIQUE ET LES ORIGINES DU SURSAUT*
Deux rapports ont servi d’étincelle : celui d’Enrico Letta en avril 2024, qui plaide pour un saut qualitatif dans l’intégration, et celui de Mario Draghi, en octobre 2024, qui sonne l’alarme sur l’érosion de la compétitivité européenne. Tous deux convergent : l’enchevêtrement normatif et la fragmentation administrative entravent la croissance et détournent l’épargne vers des horizons extra-européens. Leur diagnostic a trouvé écho dans la Boussole pour la compétitivité, cette boussole politique qui fixe les jalons d’un continent plus productif, plus innovant, plus résilient.
*UNE AMBITION EN CINQ PILIERS POUR UN MARCHÉ PLUS SIMPLE*
La Commission trace cinq axes d’attaque. D’abord, abattre les dix barrières les plus toxiques – le « Terrible Ten » – identifiées par les entreprises. Ensuite, ranimer le commerce des services, parent pauvre de l’intégration, via deux lois sectorielles : l’une pour la construction, l’autre pour la livraison postale et les colis. Troisièmement, placer les PME et les « small mid-caps » au cœur des réformes, en leur ouvrant les avantages réglementaires jadis réservés aux micro-entreprises et en créant un passeport numérique baptisé « SME ID ». Quatrième chantier : numériser l’ensemble des procédures administratives grâce à un quatrième paquet « omnibus » qui promet déjà 400 millions d’euros d’allègement annuel. Enfin, responsabiliser les gouvernements : chaque capitale devra nommer un « Sherpa » chargé de guetter les surtranspositions et de veiller à la mise en œuvre homogène des règles communes.
*POURQUOI LES SERVICES RESTENT LE TALON D’ACHILLE DE L’INTÉGRATION*
Si l’industrie européenne exporte allègrement au-delà des frontières, les échanges de services végètent depuis une décennie. Le secteur de la construction illustre cette inertie : certificat de qualification différent à chaque frontière, assurance décennale intransférable, standards techniques divergents. Selon l’étude d’impact de la Commission, une harmonisation partielle pourrait ajouter 0,5 % de PIB à l’Union d’ici 2030 en réduisant les coûts de transaction et en accélérant la transition énergétique des bâtiments. La future loi sur la livraison vise, elle, à moderniser une directive postale devenue obsolète à l’ère du commerce électronique et à garantir l’équité tarifaire entre métropoles et zones rurales.
*LES PME AU CŒUR DE L’ÉQUATION EUROPÉENNE*
Dans un continent où 99 % des entreprises sont des PME, la compétitivité se joue à l’échelle des ateliers et des startups. Le « SME ID » – un sésame numérique adossé à eIDAS 2.0 – permettra à un menuisier de Bretagne ou à une fintech de Sofia de prouver instantanément son statut et d’accéder aux régimes préférentiels de quarante programmes européens. Mieux : la nouvelle définition de « small mid-cap », qui couvre 38 000 entreprises de taille intermédiaire, étend les exemptions administratives aux sociétés en forte croissance et soutient le passage à l’échelle. La Commission y voit un antidote aux « fintech-exits » précoces vers les États-Unis.
*NUMÉRISER POUR UNIFIER : VERS LA FIN DU PAPIER*
Passer d’un marché fondé sur les documents à un marché fondé sur la donnée : telle est la révolution promise. Les entreprises pourront fournir notices d’utilisation, certificats de conformité, voire bilans financiers sous forme électronique. L’Once-Only Technical System, fort de 80 000 autorités interconnectées, réduira les re-saisies et les déplacements. D’ici 2027, l’UE ambitionne de remplacer l’intégralité des formulaires papier liés à la libre circulation des marchandises par des échanges machine-à-machine sécurisés. Ce saut technologique s’inscrit dans l’Interoperable Europe Act et anticipe le déploiement du portefeuille d’identité numérique pour les entreprises.
*GOUVERNANCE PARTAGÉE : LE RÔLE DES « SHERPAS » ET DES ÉTATS MEMBRES*
Le succès du Marché unique ne dépend pas seulement de la qualité des textes, mais de leur application. C’est la raison d’être des « Sherpas » : hauts fonctionnaires chargés de repérer les transpositions zélées, les exemptions inexplicables et les goulets bureaucratiques. En parallèle, un tableau de bord révisé publiera chaque semestre la liste des entraves persistantes – qu’il s’agisse d’un permis de travail trop long, d’une taxe locale discriminante ou d’un standard technique exorbitant. L’Europe mise sur le « naming and shaming » pour transformer le marché intérieur en véritable espace sans coutures.
*DÉFIS POLITIQUES ET ÉCONOMIQUES : ENTRE RÉSILIENCE ET SOUVERAINETÉ*
Rien n’est gagné d’avance. La tentation protectionniste resurgit lorsque les chaînes d’approvisionnement se tendent ; la pression budgétaire freine les investissements dans la digitalisation des administrations nationales ; enfin, la concurrence fiscale et sociale demeure un angle mort de la stratégie, même si la future Union de l’épargne et des investissements devra canaliser les 33 000 milliards d’euros d’épargne européenne vers l’industrie verte et numérique. Tourner la page de la fragmentation implique aussi de concilier l’ouverture commerciale avec la volonté de réduire les dépendances critiques, conformément au Pacte pour une industrie propre et au Plan ReArm Europe.
*CONCLUSION*
Victor Hugo rappelait que « la liberté commence où l’ignorance finit ». En simplifiant, numérisant et harmonisant la mosaïque réglementaire, la stratégie de mai 2025 entend libérer l’énergie créatrice d’un continent de 450 millions d’âmes. Cette renaissance du Marché unique n’est pas une opération de retouche, mais la condition sine qua non pour que l’Europe fasse jeu égal avec les géants économiques et géopolitiques du siècle. Reste à savoir si les États membres sauront dépasser leurs réflexes souverainistes pour embrasser pleinement cette ambition. Sans cette volonté partagée, le Marché unique restera un chantier inachevé ; avec elle, il redeviendra le plus puissant accélérateur de prospérité et de cohésion que l’Europe ait jamais forgé.
https://commission.europa.eu/news/bringing-down-barriers-single-market-create-opportunities-all-2025-05-21_en
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