
EuroScope : la chaîne sur l’Europe
June 7, 2025 at 10:27 AM
*RÉFORMER L’AIDE D’ÉTAT AU LOGEMENT : VERS UNE NOUVELLE DONNE EUROPÉENNE*
Dans l’échiquier complexe des traités, l’Union européenne a souvent veillé sur la pureté de son marché intérieur comme un jardinier jalouse ses plates-bandes ; or le 5 juin, la Commission a entrouvert la grille pour y laisser entrer la question brûlante du logement abordable. À travers une vaste consultation publique, elle propose de retoucher les règles encadrant les services d’intérêt économique général, ces SIEG qui, tels des digues, autorisent des dérogations ciblées aux strictes disciplines de la concurrence lorsque la justice sociale l’exige. L’exercice vise à offrir aux États la liberté d’arroser de fonds publics la construction et la rénovation d’habitations à prix modéré, sans que ces subsides n’inondent le marché privé au point de le déformer. La manœuvre, tout autant juridique que politique, pourrait redessiner la géographie résidentielle du continent.
*LE CADRE JURIDIQUE ACTUEL : UNE NAPPE TROP ÉTROITE*
Les règles aujourd’hui en vigueur reposent sur la Décision SGEI 2012, texte qui, dans le sillage de l’article 106§2 du Traité, permet à un État d’indemniser une mission d’intérêt général sans approbation préalable de Bruxelles, pourvu qu’il s’agisse de « logement social » stricto sensu. Mais le terme reste cantonné aux foyers les plus fragiles et, sitôt que les ambitions s’élargissent aux classes moyennes étranglées par la flambée des loyers, la compensation bute sur un plafond de quinze millions d’euros par an ; au-delà, s’ouvre alors la jungle des notifications, des formulaires et des analyses au cas-par-cas sous le régime plus lourd du Cadre SGEI ou de l’article 107§3 c). Depuis 2020, la Commission n’a accordé que trois dérogations ponctuelles – en Suède, en Irlande et en Tchéquie – illustration d’une voie étroite, lente et chronophage, loin des besoins d’un secteur évalué à plus de deux cents milliards par an d’investissements supplémentaires.
*LA CRISE DU LOGEMENT : UN RISQUE SYSTÉMIQUE*
Sous les lucarnes tapies dans nos centres historiques comme dans la périphérie des métropoles, la crise du logement est devenue une onde de choc : loyers indexés sur une demande urbaine explosive, parc ancien énergivore à rénover d’urgence, raréfaction du foncier, concurrence du tourisme court séjour, fragmentation territoriale qui creuse l’écart entre régions prospères et bassins d’emploi déclinants. La proportion de ménages consacrant plus de 40 % de leurs revenus aux charges immobilières ne cesse de croître, n’épargnant plus les jeunes actifs ni même la frange médiane de la population. Face à cet écueil, la Commission a désigné un Commissaire au Logement, installé une Task Force dédiée et annoncé pour 2026 un Plan européen du logement abordable apte à épauler les États sans violer la subsidiarité. La révision des règles d’aide d’État en est la clé de voûte financière.
*L’AMBITION DE LA RÉVISION : FLEXIBILITÉ SANS DISTORSION*
Le projet de Bruxelles repose sur un triptyque. Il s’agit d’abord d’introduire dans la Décision SGEI une définition opérationnelle de l’« habitat abordable » : un logement offrant un loyer ou un prix accessible, satisfaisant des normes minimales, notamment en performance énergétique, au bénéfice de ménages exclus du marché libre par ses imperfections. Ensuite, la Commission envisage de lever le plafond de quinze millions ou, à tout le moins, de l’ajuster fortement, afin de permettre des programmes de taille critique, qu’il s’agisse de nouvelles constructions ou de rénovations lourdes visant la neutralité climatique. Enfin, la révision précisera un faisceau de garde-fous – ciblage des bénéficiaires selon des indicateurs de tension locale, durée minimale de l’obligation d’accessibilité, critères qualitatifs sur l’efficacité énergétique et la connectivité numérique, rôle des acteurs publics ou privés – de sorte que l’argent public ne chasse pas l’initiative privée mais colmate ses angles morts.
*IMPACTS ATTENDUS : ÉCONOMIE, COHÉSION, CLIMAT*
Une Décision assouplie nourrirait plusieurs cercles vertueux. Les gouvernements et collectivités territoriales gagneraient un outil simple et rapide pour conjuguer réforme sociale et transition écologique, en mobilisant davantage de capitaux, notamment via la Banque européenne d’investissement ou les obligations vertes. Les entreprises du bâtiment – dont un quart des emplois dépendent déjà des commandes publiques – bénéficieraient d’une visibilité accrue, stimulant l’innovation dans les matériaux bas carbone, la préfabrication modulaire et la rénovation énergétique profonde. Les ménages, en accédant à des logements mieux isolés, verraient leurs factures d’énergie diminuer, réduisant d’autant la précarité et les émissions de CO₂. Enfin, la concurrence, loin d’être sacrifiée, devrait s’en trouver clarifiée : le secteur privé, rassuré par des règles transparentes et proportionnées, pourra mieux calibrer ses propres investissements sans céder le terrain aux spéculations inflationnistes.
*CALENDRIER ET PROCHAINES ÉTAPES*
La consultation, ouverte jusqu’au 31 juillet 2025, sera suivie d’un atelier de « réalité terrain » à l’automne et d’un dialogue d’implémentation avant Noël. Au premier trimestre 2026, la Commission publiera la version remaniée de la Décision SGEI – voire de la Communication afférente – accompagnée d’un document de travail évaluant coûts et bénéfices de la réforme. Les États, fédérations du secteur, associations de locataires et bailleurs sociaux sont ainsi conviés à déposer leurs observations ; l’enjeu est de taille, car il s’agit de dessiner la charpente juridique d’une politique européenne de l’habitat qui, jusqu’ici, se déroulait presque exclusivement dans les chancelleries nationales.
*CONCLUSION*
À l’heure où les loyers s’envolent comme des moineaux effarouchés et où chaque euro d’investissement public doit conjuguer justice sociale, souveraineté énergétique et exigence climatique, la révision du régime SIEG résonne comme une promesse d’air frais dans les couloirs souvent confinés du droit de la concurrence. Elle ne fera pas, seule, tomber les murs de la crise immobilière ; mais elle pourrait ouvrir des fenêtres nouvelles sur un horizon où l’accès à un toit décent redevient un pilier de la citoyenneté européenne plutôt qu’un privilège fortuit. Il appartient désormais aux États membres, aux municipalités, aux constructeurs et aux citoyens de souffler dans la voile de cette réforme pour transformer la pierre grise de nos faubourgs en arc-en-ciel de possibles.
https://ec.europa.eu/info/law/better-regulation/have-your-say/initiatives/14708-Review-of-the-State-aid-rules-on-the-Services-of-General-Economic-Interest-SGEI-_en
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