
EuroScope : la chaîne sur l’Europe
June 8, 2025 at 09:04 PM
*TAÏWAN, DRONES ET LE LITTORAL DU MONDE : L’EUROPE FACE À LA RÉVOLUTION SILENCIEUSE DE LA GUERRE NAVALE*
Il est des révolutions qui ne font pas de bruit. Pas de chars, pas de bombes nucléaires. Seulement une image tremblante sur un écran nocturne, une silhouette d’acier immobile, et puis soudain, un souffle. Le 1er juin 2025, quelque part au-dessus de la mer Noire, un essaim de drones ukrainiens a frappé l’invulnérable : des bases aériennes russes situées à des milliers de kilomètres, hors de portée de l’artillerie classique, protégées par les meilleurs systèmes de défense du monde post-soviétique. Les avions ont brûlé, le béton a cédé. Et avec lui, une doctrine militaire vieille d’un siècle.
Mais ce n’est pas seulement le front ukrainien qui a tremblé. À Pékin, à Taipei, et à Bruxelles, l’onde de choc a traversé les cartes d’état-major. Car une question, depuis lors, taraude les cercles de sécurité : et si cette frappe annonçait le crépuscule de l’invasion amphibie traditionnelle ? Et si Taïwan, île assiégée de la démocratie asiatique, pouvait être défendue par des drones aussi discrets qu’efficaces ? Et surtout, quelle place pour l’Europe dans ce basculement stratégique ?
*LE LITTORAL DE LA PUISSANCE : TAÏWAN COMME LABORATOIRE DES CONFLITS À VENIR*
Depuis les plages de Normandie jusqu’aux marais de l’Irak, les débarquements amphibies ont façonné la guerre moderne. L’armée populaire de libération chinoise (APL) n’échappe pas à cette tradition : sa doctrine reste construite autour d’un assaut massif sur une façade côtière étroite, avec chars amphibies, navires mères, aéroglisseurs et barges logistiques. La récente révélation d’un système mobile de pont flottant — une suite de barges articulées capables de créer un quai temporaire directement sur une plage — en atteste : la Chine prépare une guerre du XXe siècle avec des moyens du XXIe.
Mais voilà : une guerre ne se gagne plus seulement avec du blindage et de la masse. L’Ukraine, modeste par sa taille mais géante par sa ruse, l’a démontré : un essaim de drones, doté de munitions précises, relié par un réseau décentralisé à très faible latence (grâce à des relais 5G ou par satellite), peut anéantir un convoi motorisé, faire exploser un dépôt, couler un navire. Surtout, il peut harceler, désorganiser, filmer, frapper à volonté, et puis disparaître. Sans soldats. Sans remords.
Dans un débarquement à Taïwan, où les engins chinois avanceraient lentement depuis la ligne d’horizon, dans une mer peu profonde, sans couverture aérienne totale, chaque barge deviendrait un cercueil potentiel. Un drone capable d’atteindre un véhicule amphibie à 20 km, et de le percer avec une ogive de 2 kg dirigée vers le réservoir ou la soute, n’a pas besoin de supériorité technologique. Il a seulement besoin d’une bonne carte, d’un signal et d’un plan. Et cela, des groupes civils peuvent aujourd’hui l’assembler avec quelques milliers d’euros.
*UNE STRATÉGIE DES FAIBLES QUI REDEFINIT LA PUISSANCE*
C’est ici que l’Europe entre en scène, non par la géographie, mais par la doctrine. Ce que révèle l’éventuelle transposition des tactiques ukrainiennes à la défense de Taïwan, c’est un bouleversement stratégique profond : la montée en puissance d’une guerre asymétrique littorale, où les acteurs non-hégémoniques peuvent imposer un coût insupportable à des armées conventionnelles.
L’Union européenne, souvent reléguée au rang d’observateur du théâtre indo-pacifique, ne peut ignorer cette mutation. D’abord parce que Taïwan est un fournisseur critique de semi-conducteurs pour l’industrie européenne. Ensuite parce qu’une guerre en mer de Chine orientale entraînerait inévitablement une recomposition des routes maritimes globales, affectant jusqu’aux ports d’Anvers, de Gênes et du Pirée. Enfin parce que ce nouveau paradigme tactique questionne directement le positionnement capacitaire et industriel de l’Europe en matière de défense.
*LA NAISSANCE D’UNE CULTURE DRONALE EUROPÉENNE ?*
Le Vieux Continent peut-il rester dépendant des chaînes d’approvisionnement américaines pour son autonomie stratégique ? L’expérience de l’Ukraine montre que la fabrication, l’adaptation et le déploiement de drones low-cost mais redoutables peut être localisée, modulaire, territorialisée. La Lituanie, la Pologne et la France ont toutes expérimenté cette montée en compétence. Mais une vision européenne coordonnée reste à construire.
À Taïwan, ce sont potentiellement des milliers de drones, agissant en réseau, qui pourraient être lancés depuis des plages, des camions ou des parkings urbains. Il ne s’agit plus de défendre un espace aérien avec des F-35 ou des frégates multimissions, mais de saturer une ligne d’approche avec une grappe d’objets volants autonomes, indétectables, sacrifiables. En cela, l’Europe doit adapter ses doctrines navales, ses programmes d’armement et ses visions de la dissuasion.
Et pourquoi pas, imaginer une doctrine « dronale littorale européenne » : un ensemble de concepts permettant à des États du littoral (Finlande, Estonie, Grèce, Portugal) de se doter de capacités défensives par saturation, au coût marginal très faible, et adaptées à une logique de résilience territoriale. Un tel paradigme pourrait servir non seulement à dissuader des incursions classiques, mais aussi à neutraliser des menaces hybrides dans les zones grises de la souveraineté maritime.
*AU-DELÀ DE LA TECHNOLOGIE : UNE NOUVELLE POLITIQUE DE LA GUERRE*
Mais il serait réducteur de voir dans cette transformation une simple affaire de technologie. Ce que montrent les leçons de Taïwan et de l’Ukraine, c’est une redéfinition du politique par le militaire. C’est la capacité pour une démocratie, aussi menacée soit-elle, de riposter par l’intelligence distribuée, par l’innovation populaire, par le courage des marges.
Et ce message-là, l’Europe doit s’en emparer. Dans un monde multipolaire et instable, où les mers deviennent le terrain de jeu des empires, il ne s’agit plus simplement de défendre ses intérêts commerciaux. Il s’agit d’inventer une souveraineté des peuples, capable de s’ancrer dans la technologie comme dans la solidarité.
L’Europe ne sauvera pas Taïwan par des armes lourdes. Mais elle peut offrir, par la recherche, la coopération, la doctrine, les financements et la diplomatie, les conditions pour que l’île résiste. Et au-delà, elle peut se doter elle-même de cette capacité nouvelle à penser la guerre autrement, à la hauteur de ses valeurs.
*CONCLUSION*
Taïwan n’est pas qu’un îlot en mer de Chine. C’est un miroir tendu à notre époque. L’irruption des drones ukrainiens dans le champ maritime bouleverse les équilibres stratégiques les plus établis, rappelle que l’asymétrie n’est pas la faiblesse, et que l’innovation peut vaincre l’arrogance technologique.
L’Europe doit lire ce message. Elle doit comprendre que la mer, loin d’être un espace lointain, est l’avant-poste des futurs conflits, et que ses rivages sont les veines ouvertes de sa sécurité. En s’inspirant de Taïwan, en apprenant de l’Ukraine, en réinventant sa propre grammaire stratégique, elle peut, peut-être, faire du drone non pas un simple outil, mais un symbole d’une souveraineté partagée.
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