
EuroScope : la chaîne sur l’Europe
June 10, 2025 at 12:16 PM
*L'HEURE DES EUROBONDS : VERS UNE AUTONOMIE FINANCIÈRE EUROPÉENNE*
Quand le président américain Donald Trump proclama, le 2 avril 2025, une « Journée de Libération » aux relents douaniers, il fit trembler le socle même sur lequel repose la finance mondiale : la confiance. Dix jours suffirent pour que le rendement des bons du Trésor à dix ans bondisse de cinquante points de base et offre, au grand jour, la fragilité d’un privilège monétaire longtemps tenu pour inattaquable. Dans l’ombre de cette secousse, Berlin s’interroge : et si le moment était venu pour l’Europe de se doter, enfin, d’un actif souverain à la mesure de son économie ? Cette réflexion n’est pas neuve, mais elle trouve dans l’embardée américaine une urgence inédite. Car si la puissance s’exprime au canon ou à la turbine, elle s’enracine d’abord dans la monnaie.
*LE POUVOIR MONÉTAIRE – UN HÉRITAGE ET UN FARDEAU*
Depuis l’abandon de Bretton Woods, le dollar règne en empereur capricieux. À Washington, la planche à billets finance guerres lointaines et déficits abyssaux ; ailleurs, banques centrales et fonds de pension se ruent sur ces mêmes créances, faute d’alternative liquide et sûre. L’économiste Benjamin Cohen nomme cette situation « pouvoir monétaire » : la capacité d’esquiver l’ajustement et de refiler la facture au reste du monde. Mais tout empire porte en lui les germes de son déclin ; lorsque la dette fédérale franchit les cent trente pour cent du PIB et que le Congrès brandit l’idée de perpétuer certaines obligations, l’aura de sécurité s’effrite. La récente dégradation de Moody’s n’est que le premier craquement audible.
*L’EUROPE FACE À L’EXORBITANT PRIVILÈGE*
Pour l’Allemagne, le souvenir des dévaluations imposées – du franc Poincaré aux accords du Plaza – reste vivace. C’est pour échapper à ces traumatismes que la RFA, puis l’Union, ont bâti l’euro : un rempart collectif contre la volatilité extérieure. Pourtant, vingt ans après la mise en circulation des billets bleus, la zone euro reste orpheline d’un marché obligataire unique. L’Italien emprunte plus cher que l’Allemand ; le Portugais plus cher encore. Cette fragmentation alimente une prime de risque qui pèse sur l’investissement, renchérit la transition verte et affaiblit l’euro comme prétendant au trône des monnaies de réserve.
*TRUMP 2.0 : UN ÉLECTROCHOC STRATÉGIQUE*
Les nouvelles barrières tarifaires de Washington ne menacent pas seulement les excédents commerciaux de Stuttgart ou de Milan ; elles sapent la prévisibilité de la gouvernance économique mondiale. À la panique douanière s’ajoute un budget américain – le fameux « One Big Beautiful Bill » – qui galope vers un déficit cumulé de 4 500 milliards de dollars. Les « bond vigilantes », longtemps assoupis, ouvrent un œil. Si l’Amérique peine à refinancer ses ambitions, l’Europe dispose d’un limpide avantage comparatif : une dette agrégée plus modeste (environ 90 % du PIB), une épargne domestique abondante et une banque centrale aguerrie aux programmes d’achats d’actifs. Encore faut‑il transcender la mosaïque des dettes nationales en un océan liquide capable d’absorber les flots de capitaux en quête de refuge.
*EUROBONDS : DE L’IDÉE À L’INGÉNIERIE*
Mario Draghi, depuis son rapport sur la compétitivité, évalue à huit cents milliards d’euros par an les investissements requis pour défendre le climat, numériser l’économie et militariser la paix. Comment mobiliser pareille somme sans étrangler Rome ni priver Varsovie de souplesse ? La réponse porte un nom : titres de dette communs, seniors, adossés aux recettes de TVA transférées à Bruxelles. Le schéma Blanchard‑Ubide propose d’échanger jusqu’à un quart du PIB de chaque État contre ces Eurobonds, soit cinq mille milliards d’euros, premier palier d’un marché enfin comparable aux trente mille milliards des Treasuries. L’argument clé tient en cinq syllabes : liquidité. Sans elle, point de contrats à terme, point de repo, point d’adossement pour les colosses de l’assurance‑vie et de la gestion passive.
OBSTACLES ET GARANTIES
Les sceptiques brandissent le spectre du « péché » – Schuld, en allemand – et redoutent la mutualisation des fautes budgétaires. Mais l’architecture suggérée sanctuarise la responsabilité nationale : chaque gouvernement couvre les intérêts des obligations émises en substitution des siennes. Le danger d’aléa moral se voit ainsi cantonné, tandis qu’un double marché – dette bleue et dette junior – discipline sans saigner. Reste à adapter les traités ou, à défaut, les interpréter avec audace, comme on le fit pour la Banque centrale européenne lors des heures sombres de 2012.
*IMPACT MACROÉCONOMIQUE ET RÉGULATION*
IUn marché unique de la dette engendrerait une courbe des taux européenne, réduirait le coût du capital pour les entreprises, briserait le lien toxique banques‑États et offrirait à la BCE un levier monétaire plus efficient. Les programmes d’achats deviendraient politiques neutres, libres de contraintes de capital keys, tandis que les banques pourraient gérer leurs collatéraux sans amplifier les divergences nationales. L’euro, nanti d’un actif de référence unique, conquerrait sa place dans les bilans de Pékin, de Riyad et de Brasilia.
*GÉOPOLITIQUE : VERS UN MONDE MULTIDEVISES*
La souveraineté n’est pas un luxe mais une condition d’existence dans l’arène sino‑américaine. Un panier monétaire où le dollar, l’euro et peut‑être le renminbi équilibrent leurs forces réduirait les chantages extraterritoriaux, qu’ils soient financiers ou technologiques. Pour l’Union, disposer d’une « arme tranquille » – selon l’expression de Jean‑Claude Juncker – signifie aussi protéger ses entreprises contre les sanctions secondaires et négocier d’égal à égal les normes de la transition énergétique, du numérique ou de la dette climatique.
*CONCLUSION*
Les peuples jugeront les dirigeants à leur capacité d’ériger des digues avant que la tempête ne déferle. L’Europe a, devant elle, une fenêtre historique : profiter des doutes qui assaillent la bannière étoilée pour hisser l’euro au rang d’astre monétaire majeur. Faute de quoi, elle demeurera un marché riche mais un nain stratégique, ballotté entre les rafales de Washington et de Pékin. Les Eurobonds ne sont pas une panacée ; ils sont, toutefois, le socle indispensable d’une souveraineté partagée. Comme l’écrivait Victor Hugo, « l’avenir est une porte, le passé en est la clé ». Il est temps de forger la serrure européenne.
Lire la proposition détaillée : https://www.piie.com/blogs/realtime-economics/2025/now-time-eurobonds-specific-proposal
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