EuroScope : la chaîne sur l’Europe
EuroScope : la chaîne sur l’Europe
June 10, 2025 at 12:51 PM
*JAPON ET UNION EUROPÉENNE : MYTHE DU DÉFICIT NUMÉRIQUE, RÉALITÉS DU COMMERCE DES DONNÉES ET DIPLOMATIES DIGITALES* Au cœur de l’été 2025, tandis que les cigales d’Okayama et le carillon de Bruxelles chantent à l’unisson de la relance post-pandémique, un spectre hante le débat japonais : le « déficit numérique ». Le concept, né d’une simple comparaison comptable entre achats et ventes de services télécoms, informatiques ou infonuagiques, agite les tribunes comme s’il annonçait un exode de valeur. Pourtant, l’horizon industriel du Japon, tout comme celui de l’Union européenne, se révèle moins celui d’une hémorragie que d’une métamorphose. Tandis que les chiffres officiels ne prêtent au déficit numérique nippon qu’une dimension lilliputienne – moins d’un tiers de point de PIB – les exportations de services digitalement livrables bondissent d’année en année, et l’archipel, artisan de la Data Free Flow with Trust (DFFT), tisse une toile réglementaire qui séduit Washington comme Bruxelles. L’Union, de son côté, oscille entre volontarisme offensif – Data Act, AI Act, Digital Services Act – et prudence stratégique, partagée entre l’idéal d’une autonomie numérique ouverte et la crainte d’une dépendance critique envers les mêmes géants que fustige l’archipel. L’analyse qui suit, trois fois plus ample que la précédente, s’aventure au-delà des horizons comptables : elle replace le débat dans le grand récit de la mondialisation des octets, sonde les ressorts de compétitivité croisée entre Tokyo et Bruxelles, et esquisse les voies d’un axe euro-japonais apte à façonner la géopolitique des données. *UN DÉFICIT NUMÉRIQUE AUX DIMENSIONS RELATIVES* Sitôt qu’on superpose la courbe du déficit numérique japonais à celles, autrement plus escarpées, du commerce de biens énergétiques ou des services d’assurance, la crainte d’un drainage massif apparaît démesurée. L’archipel enregistre depuis 2014 un solde négatif annuel fluctuant entre 0,17 % et 0,27 % du PIB ; c’est, à vrai dire, l’épaisseur d’un trait face aux trois points de PIB que représente le déficit des hydrocarbures ou aux deux points liés aux services financiers et d’assurance. L’Union européenne connaît un paradoxe complémentaire : souvent excédentaire dans les services numériques grâce aux performances cumulées de l’Irlande, des Pays-Bas et du Luxembourg, elle demeure toutefois déficitaire en valeur ajoutée numérique lorsqu’on consolide les importations de logiciels américains et les dépenses publicitaires captées par des plateformes non européennes. Là où Tokyo s’inquiète d’un solde comptable, Bruxelles se soucie d’un transfert d’actifs immatériels et de fiscalité, mais ni l’un ni l’autre ne peut ignorer que la valeur véritable se loge dans l’élasticité des chaînes de données. *L’EXPLOSION DES EXPORTATIONS NUMÉRIQUES NIPONNES* La réalité la plus troublante pour les partisans d’une posture défensive réside dans la vélocité des exportations nipponnes. Entre 2010 et 2023, elles passent de 1,7 milliard à 11,7 milliards de dollars, croissant de 43 % l’an quand les importations n’augmentent « que » de 32 %. Le marché américain dévore les solutions SaaS japonaises de cybersécurité embarquée, l’Europe se passionne pour l’animation et la réalité augmentée venues de Tokyo, tandis que Singapour devient la plate-forme de transit des services financiers quantiques conçus à Fukuoka. En valeur ajoutée incorporée, plus de 70 % des services numériques qui irriguent les exportations manufacturières sont d’origine nationale, indice d’un écosystème logiciel dense. L’Union, malgré une base d’ingénierie solide, peine à rivaliser avec la dynamique japonaise : ses exportations digitales progressent, mais à un rythme de 28 % l’an depuis 2015, handicapées par la fragmentation linguistique et la disparité des financements. *LES IMPORTATIONS NUMÉRIQUES COMME FERMENT DE COMPÉTITIVITÉ* Derrière la ligne de débit, il y a le parti pris stratégique de l’ouverture. Les enquêtes menées auprès de six cents entreprises japonaises révèlent qu’une majorité d’exportateurs crédite les services étrangers – cloud hyperscale, IA générative, plateformes de paiement – d’un gain de compétitivité supérieur à 20 %. Cette alchimie s’explique : importer AWS, Azure ou SAP ne revient pas à cautériser l’innovation nationale, mais à bâtir sur un socle mondial le temps de développer une couche différenciante. En Europe, les champions comme Airbus, Spotify ou L’Oréal recourent de même à ces briques internationales, mais la Commission européenne tente d’équilibrer dépendance et autonomie via le projet GAIA-X et l’Alliance for Industrial Data, Edge and Cloud, initiatives qui n’ont pas encore livré les économies d’échelle escomptées. En cela, le Japon et l’Union partagent la conviction que la souveraineté ne se décrète pas derrière un pare-feu, qu’elle naît d’un entrelacs d’interopérabilités et d’un pouvoir normatif exercé au sein des instances internationales. *START-UP ECO-SYSTEMES : CONVERGENCES ET CONTRASTES* Dans l’ombre des keiretsu, une constellation de jeunes pousses japonaises – MPower, SmartHR, LegalOn – mobilise un capital-risque qui a été multiplié par dix en douze ans, soutenue par J-Startup et un système de crédit d’impôt R-D rénové. L’Union, elle, est parvenue à faire passer le financement de ses start-up de 39 milliards d’euros en 2020 à 81 milliards en 2024, portée par lesScale-Up Europe Manifesto, mais le ticket moyen demeure inférieur de 30 % à la moyenne américaine ou nippone. Sur le terrain, la synergie prend forme : Station F à Paris héberge les antennes de la JETRO et offre un sas d’entrée aux SaaS nippons, tandis que Shibuya Startup Support accueille des cohortes d’entrepreneurs français spécialistes de l’IA médicale. Les deux blocs se cherchent, se toisent, mais partagent une même obsession : transformer les datascientists en industriels du logiciel exportable. *DIPLOMATIE DES FLUX ET ARCHITECTURE DES ACCORDS* Le Japon, pionnier de la DFFT, a inscrit cette grammaire de la circulation fiable des données dans l’Agenda du G7 de Kashikojima, puis l’a arrimée aux négociations plurilatérales de l’OMC sur le e-commerce. L’Union européenne, après avoir hésité entre contrôle et ouverture, a finalement rejoint l’initiative en 2024, faisant du règlement Data Governance Act le pendant réglementaire d’une confiance partagée. L’Accord de partenariat économique UE-Japon, en vigueur depuis 2019, a déjà levé la quasi-totalité des droits de douane sur les biens ; il s’enrichit désormais d’un protocole numérique visant à sécuriser les flux transfrontaliers, interdire les localisations forcées et inventer une doctrine commune sur la portabilité des données industrielles. L’Europe, consciente que ses propres industries – automobile allemande, luxe français, robotique danoise – périraient sans accès au marché asiatique, se montre plus souple : le 12 mars 2025, la Commissaire Vestager a annoncé le lancement d’un Dialogue réglementaire IA avec le METI japonais pour aligner les normes de sécurité et d’éthique avant la ratification de l’AI Act. *POLITIQUES RÉGLEMENTAIRES : OUVERTURE ET SOUVERAINETÉ* Tokyo n’est pas exempt de crispations : la loi de mars 2024 sur la concurrence des logiciels de smartphones oblige les gatekeepers à ouvrir leurs écosystèmes, mesure saluée par Bruxelles qui y voit un écho de son Digital Markets Act. Le Japon a toutefois résisté à la tentation d’exiger la localisation des serveurs, privilégiant le contrôle ex-post par des audits de cybersécurité. L’Union européenne, elle, avance sur la voie d’une certification cloud de type « EUCS » qui pourrait exclure certains fournisseurs extra-européens des données sensibles, un pas que Tokyo se garde pour le moment de franchir. Les chemins divergent, mais la philosophie converge : forger une souveraineté compétitive, non autarcique, apte à attirer capitaux et talents tout en protégeant la vie privée, la sécurité et la propriété intellectuelle. *CRÉATION CULTURELLE : L’OFFENSIVE ANIME, J-POP ET GAMING* Dans le sillage de Demon Slayer, de l’explosion des VTubers et du succès planétaire de The Super Mario Bros. Movie, l’industrie culturelle japonaise pèse 2 % du PIB national et vise 130 milliards de dollars d’exportations à l’horizon 2033. L’Europe représente déjà plus d’un cinquième de cette manne, avec une croissance annuelle de quinze points. Parallèlement, le programme européen Creative Europe renforce les coproductions et ouvre aux studios nippons l’accès au guichet MEDIA. Cette fertilisation croisée entraîne un partage de plateformes : Wakanim et Crunchyroll doublent leurs bibliothèques grâce aux licences japonaises, tandis que la maison d’édition Kadokawa investit dans les webtoons francophones. Le défi européen : préserver une diversité culturelle sans ériger de barrières tarifaires. Le défi japonais : protéger ses droits d’auteur à l’heure du streaming illégal et des deepfakes générés en temps réel. *INTELLIGENCE ARTIFICIELLE, CYBERSÉCURITÉ ET TALENT* Le Japon et l’Union convergent vers un consensus de prudence éclairée : accélérer l’adoption industrielle de l’IA tout en érigeant des garde-fous. Riken et le Consortium EuroHPC ont signé en avril 2025 une déclaration d’intention pour interconnecter le supercalculateur Fugaku avec l’infrastructure LUMI finlandaise, créant un pont de calcul qui promet à la pharmacie européenne des simulations moléculaires et à l’aérospatial japonais des modèles climatiques sans précédent. Sur la cybersécurité, l’ENISA et le NISC japonais ont mis en place un mécanisme d’alerte conjointe après la vague de ransomwares du premier trimestre 2025, preuve qu’en matière de menaces transnationales, l’alliance des veilles surpasse la forteresse isolée. *RECOMMANDATIONS STRATÉGIQUES POUR UN AXE EUROPE-ASIE DES SERVICES NUMÉRIQUES* Pour consolider la dynamique, Tokyo et Bruxelles gagneraient à inscrire dans leurs agendas respectifs l’idée que l’ouverture sélective prime sur l’enfermement. À court terme, il s’agit d’achever la dimension numérique de l’Accord de partenariat économique, de mutualiser les certifications cloud et d’instaurer un mécanisme bilatéral de reconnaissance des normes IA. À moyen terme, les deux partenaires pourraient lancer un fonds d’investissement commun pour les deeptechs, aligner les incitations fiscales à la R-D verte et créer un corridor universitaire franco-nippon autour des semiconducteurs avancés. À long terme, l’objectif est clair : faire de la DFFT une architecture mondialisée, soutenue par une coalition de pays qui partagent un credo de confiance, d’interopérabilité et de résilience, afin d’éviter que la planète numérique ne se fragmente en blocs technologiques antagonistes. *CONCLUSION* Le « déficit numérique » japonais ressemble à ces ombres portées que l’on croit gigantesques au crépuscule mais qui s’amenuisent au lever du jour. En vérité, l’archipel, tout comme l’Union européenne, se trouve à la croisée des chemins : soit refermer les vannes et essuyer une lente érosion de compétitivité, soit embrasser la logique fluide des données et s’ériger en puissance normative. Au-delà des chiffres, l’enjeu est littéraire : il s’agit d’écrire un nouveau chapitre de la mondialisation, où les octets franchissent les frontières sans froisser la souveraineté, où le droit accompagne l’innovation sans l’étouffer, où le Japon et l’Europe transforment leur complémentarité en moteur. S’ils réussissent cette symphonie, leurs récits industriels fusionneront comme deux rivières, et la vieille crainte du déficit s’évaporera dans le courant, laissant place à un surplus de savoir, de culture et de prospérité partagée. #euroscope #japon #unioneuropéenne #commercenumérique #dfft #innovation #stratégiedigitale https://buymeacoffee.com/euroscope

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