
EuroScope : la chaîne sur l’Europe
June 10, 2025 at 01:50 PM
*STRATÉGIE NUMÉRIQUE INTERNATIONALE DE L’UNION EUROPÉENNE : L’EUROPE EN QUÊTE D’UN PASSEPORT DIGITAL PLANÉTAIRE*
Tel un phare dressé sur la mer houleuse des rivalités technologiques, Bruxelles vient de dévoiler sa Stratégie numérique internationale. Derrière la prose diplomatique, trois impératifs s’entrelacent : étendre un réseau d’alliances capables d’aimanter partenaires et capitaux, offrir au monde une technologie marquée du sceau européen, façonner les règles d’une gouvernance numérique fidèle aux valeurs de la démocratie libérale. Cette triple ambition éclaire la conjonction de deux urgences : combler l’écart de productivité qui sépare toujours le Vieux Continent des États-Unis et contenir les tentations hégémoniques qui fragmentent l’internet en sphères d’influence concurrentes.
*LES FONDEMENTS D’UNE DIPLOMATIE NUMÉRIQUE RENOUVELÉE*
L’Europe, forte d’un marché intégré de 450 millions de consommateurs et d’une tradition réglementaire qui fait école, entend transformer ses normes en levier de puissance douce. Son arsenal est impressionnant : RGPD pour les données personnelles, AI Act pour l’intelligence artificielle, Data Act pour les flux industriels, NIS2 pour la cybersécurité. Jusqu’ici ces textes portaient surtout une portée interne. Désormais, l’Union les projette à l’extérieur pour nouer des partenariats « à géométrie variable » avec toute nation partageant, sinon les mêmes institutions, du moins le respect de principes fondamentaux. Ainsi se dessine un multilatéralisme pragmatique, où l’alignement réglementaire devient monnaie d’échange contre investissements, connectivité et transferts de savoir-faire.
*L’EXPANSION DES PARTENARIATS : UNE CARTOGRAPHIE GÉOPOLITIQUE*
Le nouveau réseau d’alliances se déploie sur quatre cercles concentriques.
– Le premier cercle regroupe les partenaires de confiance déjà ancrés dans l’écosystème européen : Japon, Corée du Sud, Singapour, Canada. Ils servent de laboratoires avancés pour des projets pilotes en cybersécurité 5G/6G, identité numérique ou semi-conducteurs.
– Le deuxième cercle cible les puissances techno-démographiques — Inde, Taïwan, Brésil — dont l’essor des start-up et la masse critique d’ingénieurs constituent des relais de croissance pour les PME européennes.
– Le troisième cercle concerne le voisinage stratégique : Balkans, Ukraine, Moldavie, Maghreb. L’enjeu est ici de préparer l’intégration progressive de leurs marchés dans le « Digital Single Market » tout en reportant hors des frontières de l’UE le front de la résilience cyber.
– Le quatrième cercle, enfin, s’ouvre aux dialogues prudents avec la Chine et les pays du Golfe, où la recherche d’équilibres commerciaux l’emporte sur la convergence normative. Le sommet UE-Chine de juillet 2025 testera la solidité de cette approche, tant sur la question des chaînes d’approvisionnement en IA que sur la protection de la propriété intellectuelle.
*UNE OFFRE TECHNOLOGIQUE “TEAM EUROPE” : DU LABORATOIRE À LA SCÈNE MONDIALE*
Consciente que la compétitivité passe par l’industrialisation rapide des découvertes scientifiques, la Commission articule un « Tech Business Offer ». Dans cette grammaire nouvelle, les financements Horizon Europe et Digital Europe s’agrègent aux outils de la Banque européenne d’investissement, aux crédits export des États membres et aux capitaux privés pour proposer aux partenaires des solutions modulaires : satellites IRIS², câbles sous-marins sécurisés, réseaux 5G-ORAN, clouds souverains fondés sur Gaia-X, jumeaux numériques pour les villes résilientes. L’approche « Team Europe » garantit l’alignement de ces instruments, souvent jugés dispersés, et sert de pont entre l’expertise industrielle allemande, l’excellence logicielle française, le leadership optique finlandais ou la robotique italienne.
*GOUVERNANCE NUMÉRIQUE : LA QUÊTE D’UNE LÉGITIMITÉ MONDIALE*
En se portant candidate à l’avant-garde de la gouvernance, l’Union poursuit un double objectif : consolider la légitimité d’un modèle humaniste du numérique et empêcher la dérive vers un cyber-occident isolé. Elle mise pour cela sur trois vecteurs.
D’abord la normalisation internationale, où la voix européenne se fait entendre dans l’ITU comme à l’ISO afin de codifier des standards ouverts et sécurisés — enjeu décisif pour le futur Web 4.0, l’informatique quantique ou la gouvernance algorithmique.
Ensuite la protection des infrastructures critiques, qu’il s’agisse des câbles transatlantiques, futurs nerfs optiques de l’économie de la donnée, ou des constellations satellitaires qui mailleront l’orbite basse.
Enfin, la lutte contre les manipulations informationnelles et le rançongiciel, fléaux que l’UE veut endiguer en articulant le Cyber Resilience Act à des accords d’entraide pénale et à un futur mécanisme d’attribution collective des attaques.
*L’UNION EUROPÉENNE FACE À SES PROPRES DÉFIS*
Reste que l’ambition extérieure dévoile, en creux, les faiblesses internes. La fragmentation du capital-risque, la rareté des scale-ups, la dépendance aux GPU américains ou taïwanais, la flambée énergétique des centres de calcul, menacent la capacité de l’UE à tenir son rang. Le rapport Draghi pointe un écart de productivité de plus de vingt points avec les États-Unis, largement imputable à la moindre diffusion des technologies d’IA et de cloud avancé. D’où l’urgence de mettre en œuvre les axes suivants : accélérer l’unification du marché de la donnée industrielle, lancer des « AI Factories » inter-États, doter l’Europe d’un véritable Nasdaq, sécuriser l’accès aux matériaux critiques pour la nano-gravure et réserver une part significative des achats publics aux solutions européennes.
*SYMBIOSE AVEC LE JAPON : VERS UN G2 DES FLUX DE DONNÉES ?*
Le rapprochement euro-japonais, cristallisé par la Data Free Flow with Trust et un chapitre sur les flux transfrontières de données, illustre la convergence de deux puissances cherchant à contrer le duopole sino-américain. Tandis que Tokyo redoute un « déficit numérique » qu’elle juge encore modeste, Bruxelles s’inquiète d’une dépendance stratégique à l’égard des hyperscalers. Les deux rivaux-alliés trouvent pourtant un terrain d’entente : échanges de semi-conducteurs, interconnexion de supercalculateurs (Fugaku-LUMI) et projets conjoints sur la certification cloud. Cette symbiose pourrait préfigurer un axe de souveraineté partagée, capable de peser sur la prochaine reconfiguration de l’économie des données.
*CONCLUSION*
À travers sa nouvelle Stratégie numérique internationale, l’Union européenne revendique une place d’architecte dans la cathédrale numérique mondiale. Mais l’architecture ne suffit pas : il faudra cimenter l’édifice par des succès industriels tangibles, une ouverture équilibrée à la concurrence extérieure et une capacité à fédérer partenaires et citoyens autour d’un récit technologique crédible. Si elle parvient à conjuguer puissance réglementaire, innovation concrète et alliances diversifiées, l’Europe transformera son passeport digital en sésame géopolitique, ouvrant un chemin où prospérité, sécurité et liberté ne s’excluent plus mais s’alimentent mutuellement.
https://digital-strategy.ec.europa.eu/en/library/joint-communication-international-digital-strategy-eu
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