
EuroScope : la chaîne sur l’Europe
June 11, 2025 at 01:19 PM
*SIMPLIFICATION NUMÉRIQUE : LE MANIFESTE POLONAIS POUR DÉGAGER L’HORIZON EUROPÉEN*
Le 6 juin 2025, dans la touffeur administrative du Conseil « Télécommunications » réuni à Luxembourg, la présidence polonaise a déposé sur la table un épais manuscrit : « Balancing Regulation and Innovation in the Technology-Driven Economy ». À travers ce texte, Varsovie invite l’Europe à accomplir l’exercice le plus délicat de la modernité : démêler l’écheveau législatif pour que l’innovation respire sans renoncer aux principes qui fondent le modèle continental. L’enjeu dépasse la seule ergonomie réglementaire : il s’agit de soutenir la compétitivité, de fortifier la souveraineté numérique et de ranimer l’esprit d’entreprise, tout en scellant une unité de marché que les divergences d’interprétation menacent de fissurer.
*CONSTAT DES COMPLEXITÉS EUROPÉENNES*
Depuis une décennie, l’Union européenne bâtit, pierre après pierre, l’édifice de sa « Constitution numérique » : RGPD, Data Governance Act, Data Act, Digital Services Act, Digital Markets Act, NIS2, Cyber Resilience Act, AI Act. Chaque texte répond à une faille identifiée, mais leur superposition forme désormais un labyrinthe. Les définitions varient d’un règlement à l’autre, les obligations de compte rendu se répètent, les délais de conformité se télescopent. Les autorités nationales – souvent tentées par le « gold-plating » pour prouver leur zèle – appliquent les normes avec des aiguilles d’horloge différentes. Ainsi le marché intérieur, pensé comme un océan sans frontière, se lézarde en flaques réglementaires où s’embourbent PME et start-up.
*LA MÉTHODE POLONAISE : CLARIFIER, HARMONISER, DÉMATÉRIALISER*
La Pologne propose d’abord d’écrire le droit en clair. Chaque règlement serait publié sous forme consolidée, hiérarchisé et annoté ; un glossaire central – labyrinthe inversé – offrirait une grammaire commune à tous les juristes et contrôleurs du continent. Ensuite, l’évaluation d’impact préalable intégrerait un test d’interopérabilité : avant de graver une nouvelle règle, l’Europe mesurerait sa cohérence avec celles déjà en vigueur et prévoirait les ponts techniques à bâtir.
Deuxième pilier : l’harmonisation des reportings. Au lieu de déposer des déclarations parallèles, l’entreprise traverserait un guichet unique national, jumeau numérique d’un portail européen capable de centraliser, de préremplir, d’automatiser. Les obligations seraient modulées : un formulaire simplifié pour les TPE, un canevas pré-formaté pour les ETI, un protocole API pour les géants, afin que la charge administrative diminue de 35 % pour les PME – objectif gravé par le Conseil européen le 20 mars 2025.
Troisième axe : la conformité repensée. Les certifications existantes, qu’elles relèvent d’ISO, de CEN-CENELEC ou de schémas de cybersécurité nationaux, seraient mutuellement reconnues. Un audit unique – adoubé par plusieurs règlements – remplacerait les inspections en cascade. Pour les petites structures, des modèles de documentation standardisés guideraient la rédaction des analyses d’impact et autres registres.
*CYBERSÉCURITÉ : VERS UNE PLACE FORTE NUMÉRIQUE EUROPÉENNE*
Parce que la menace cyber ignore les frontières, Varsovie suggère une plateforme paneuropéenne de notification d’incidents : une seule interface, reliée par API aux bases nationales, éviterait le doublon des alertes. Dans la même logique, une méthodologie partagée classerait les fournisseurs selon des critères de confiance, libérant acheteurs publics et privés d’évaluations redondantes. Les marchés publics adopteraient des clauses types conformes aux exigences NIS2 et CRA.
*DROITS ET DONNÉES : CONVERGENCE DES RÈGLES, RESPIRATION DU MARCHÉ*
Le document pointe l’imbroglio entre RGPD, Data Act, DMA et ePrivacy. Il propose de mieux aligner les champs d’application, d’encourager des infrastructures communes d’échange sécurisé et de recourir aux « data spaces » sectoriels pour mutualiser les preuves de conformité. L’impact serait immédiat pour la mobilité, la santé numérique ou l’industrie 5.0, où le partage de données à haut débit conditionne la compétitivité.
*RÈGLEMENT IA : UN CHEMIN DE CONFIANCE PROGRESSIVE*
Le règlement sur l’intelligence artificielle, premier du genre au monde, effraie nombre de créateurs. La Pologne plaide pour élargir les exemptions, instaurer des voies rapides pour les PME et reporter certaines obligations complexes. Des « sandboxes » copilotées par les autorités de protection des données offriraient un laboratoire législatif vivant ; un outil d’auto-évaluation guiderait l’entité selon le niveau de risque, transmettant ensuite un rapport clair aux instances de contrôle. Les exigences les plus lourdes seraient différées jusqu’à la publication de normes techniques harmonisées, afin d’éviter l’effet de falaise qui paralyse l’investissement.
*VERS UN OMNIBUS DE LA SIMPLIFICATION*
Les ministres réunis à Luxembourg ont confirmé la nécessité d’une œuvre législative transversale : la Commission s’est engagée à présenter, à l’automne, un texte « omnibus » qui traduira ces principes en dispositions juridiques précises. Il s’agirait d’ajuster plus de dix règlements en parallèle, d’y insérer des passerelles communes et d’officialiser les guichets uniques.
*IMPACT POTENTIEL : UN NOUVEAU VENT DANS LES VOILES EUROPÉENNES*
Si ces propositions se concrétisent, l’Europe pourrait réduire de 37 milliards d’euros la charge administrative pesant sur ses entreprises. Les start-up convertiraient ces économies en R&D, les industriels en lignes de production intelligentes, les investisseurs en tours de financement internes plutôt qu’exilés à Palo Alto. L’unicité de marché retrouverait son élan, tandis que la gouvernance robuste préserverait la confiance des citoyens dans la protection de leurs données et de leurs valeurs.
*CONCLUSION*
La simplification n’est pas le démantèlement ; elle est l’art de la charpenterie juridique : retirer les poutres inutiles, consolider les arches maîtresses, ouvrir des baies sur le large. Par sa proposition, la présidence polonaise rappelle qu’une règle n’est légitime que si elle se laisse embrasser d’un regard, qu’un marché ne prospère que s’il demeure lisible, qu’une souveraineté numérique s’affirme mieux dans l’agilité que dans le mille-feuille. À l’automne, lorsque la Commission dévoilera son texte omnibus, l’Union européenne devra prouver qu’elle sait forger l’équilibre entre protection et innovation ; alors, le navire digital européen pourra capter les vents porteurs sans craindre d’être déchiré par les rafales réglementaires.
https://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST-9383-2025-INIT/en/pdf
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